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«Ce ne sont pas les bombes et les bateaux qui vont résoudre toute cette histoire»
Mohammed Arkoun à cœur ouvert sur l'Islam m
Publié dans La Tribune le 16 - 09 - 2010

Entretien réalisé par Patrice de Beer et Henri Tincq
Le Monde : La violence est-elle consubstantielle à l'islam ?
Mohammed Arkoun : Poser ainsi la question est choquant. C'est isoler l'islam de toute la problématique anthropologique de la violence. Bien avant l'intervention de ce qu'on nomme l'islam, il y avait dans toutes les sociétés primitives des rites sacrificiels, des actes de violence guerrière. Et cela continue dans nos sociétés dites modernes. Or comment expliquer que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les affrontements soient presque tous mis d'abord en relation avec le djihad islamique, ce qui a construit l'idée tenace que la guerre sainte est consubstantielle à l'islam ? Comme on parlait de banque islamique, de commerce islamique, d'architecture islamique. A-t-on jamais observé ce phénomène avec le christianisme ou le judaïsme ?J'admets que la responsabilité de cet usage non critique incombe aux musulmans eux-mêmes, qui lient effectivement l'islam aux combats en cours, soit dans les sociétés dites aussi islamiques, soit avec des adversaires désignés par le terme fortement idéologisé «d'Occident». Si des acteurs sociaux dans les pays dits musulmans font des usages doctrinalement infondés de «leur» religion, il appartient à l'analyste et aux observateurs critiques de déconstruire le discours social adressé à l'imaginaire collectif pour le mobiliser dans des luttes dont les enjeux sont exclusivement politiques et sociaux. Les racines du mal relèvent d'une anthropologie plus profonde, dans ce que René Girard a analysé comme une rivalité mimétique autour d'un même capital symbolique. Une rivalité mimétique qui remonte à l'âge de Mahomet et opposait déjà chrétiens, juifs et musulmans naissants autour de trois piliers : le monothéisme, la fonction prophétique, la Révélation. Ce capital symbolique avait déjà été monopolisé pendant des siècles par la Bible hébraïque et par le message de Jésus de Nazareth. Or voilà qu'un troisième acteur surgit et dit que ce qui a été transmis par les précédents prophètes n'est pas complet, que leur message a été altéré. La rivalité mimétique commence par la différenciation : une autre expression du divin surgit, qui concurrence celles qui existent. Sans cette différenciation, il n'y a pas d'islam. Mais cette rivalité engendre de la violence entre les peuples du Livre dès les premiers temps de l'islam.On est en face d'un «triangle» composé des trois forces mobilisatrices que sont la violence, le sacré et la Vérité. René Girard n'a étudié que les rapports entre violence et sacré. Moi, j'ajoute la Vérité. C'est la sourate 9 du Coran qui m'a ouvert les yeux. C'est elle qui justifie le djihad par l'idée de Vérité. C'est au nom d'une Vérité religieuse que j'accepte d'aller au combat et de me sacrifier, que je peux avoir à tuer d'autres hommes. Mais ce triangle anthropologique de la sacralisation de la violence n'est pas propre à l'islam ni à toute vérité religieuse. Elle peut être la Vérité de la patrie à défendre, comme c'était le cas pour les soldats de la guerre de 1914. Le pouvoir sacralisateur de la réalité religieuse ou de la patrie charnelle, c'est la même chose.
Comment expliquer que l'exégèse plutôt tolérante et humaniste de l'islam au Moyen-Age soit restée bloquée en cours de route ?
J'ai passé ma thèse de doctorat à la Sorbonne sur «L'Humanisme arabe» au Xe siècle. Oui, il y a eu une pensée humaniste arabe dans tout le Moyen-Age, fondée sur la philosophie, la morale et la religion. Que s'est-il passé pour que nous ne puissions plus en parler au présent ? Qu'est devenu cet humanisme tolérant ? Ce n'est pas la faute au Coran puisqu'il n'a pas empêché le mouvement humaniste de s'exercer, de Cordoue à Téhéran. Ce qui est en jeu cette fois, c'est l'histoire économique et militaire dans l'espace méditerranéen telle qu'elle s'est déroulée à partir des XIIe et XIIIe siècles, c'est-à-dire de cette époque où l'Europe prend son essor intellectuel, scientifique, technique et devient dominante. De mimétique, la rivalité devient militaire et tourne principalement autour des routes du commerce.Les centres politiques de l'islam disparaissent peu à peu au profit de confréries religieuses. L'Etat central, qui était porteur de cet humanisme arabe, s'affaiblit. Quand les Français arrivent en Algérie, ils trouvent des confréries, pas des Etats. C'est ce qui va permettre une colonisation facile. Une colonisation qui apporte des fragments d'une modernité vivante, dynamique, émancipatrice,
mais des fragments seulement, et que des élites arabes, très étroites, vont accueillir avec reconnaissance.Le basculement qui va intervenir dans le dernier quart du siècle, disons entre 1960 et 2000, achève cette période, et il est effroyable. Toute cette violence est imputée à l'islam, mais c'est une violence liée plutôt à la dialectique des forces politiques et économiques qui s'exercent depuis le XIIIe siècle, amplifiée par la colonisation et les guerres de libération. On retrouve aujourd'hui le même affrontement entre des imaginaires sociaux nourris par l'histoire ou la culture et, pour ce qui nous concerne, par ce que j'oserais appeler l'occultation officielle de l'histoire de la souveraineté française sur l'Algérie. Avec le débat sur la torture, une petite porte a été entrouverte, mais je crois que si l'on avait ouvert plus franchement et plus tôt cette page d'histoire, on serait mieux armé aujourd'hui pour traiter de cette question de la violence dans l'islam et pour supporter le drame que nous vivons.
Le «martyre», le suicide que choisissent les terroristes, en Israël ou dans les réseaux afghans, a-t-il une quelconque validité dans l'islam ?
Je récuse le mot de «martyre» utilisé dans les cas que vous citez. Bien sûr que le mot chahid existe dans le Coran, mais il est ici complètement décontextualisé, comme le font toutes les exégèses à caractère idéologique et politique, surtout lorsque l'acte terroriste entraîne la mort de tant d'innocents absolus.Dans le Coran, le martyr, le héros est toujours celui qui meurt pour la face de Dieu. Mais de quelle grande cause s'agit-il ici ? S'agit-il de défendre une oumma blessée par une force matérialiste, athée, par un Occident qui aurait décrété la mort de Dieu ? C'est le discours nationaliste qu'ils entendent dans leurs écoles. On répète comme une litanie que l'Occident est impérialiste et colonial, que l'islam fut puissant avant d'être détruit par l'Occident. On leur dit que l'islam avait donné un modèle de construction politique de la cité autrement plus efficace que les prétendues démocraties européennes ou américaines.
On leur demande de couper toute relation avec cet Occident qui leur a fait tant de mal. Voilà les «mots» qui construisent des mythes sans rapport avec une réalité historique et c'est tout ce travail de déconstruction des mythes qu'il faut entreprendre.Ces Palestiniens, Afghans, Algériens, qui ont grandi dans un climat nationaliste farouche et religieux - dans le sens d'une religion confisquée par l'Etat - sont habités par une vision aussi imaginaire que celle de l'Occident sur l'islam. L'islam est théologiquement protestant et politiquement catholique. C'est-à-dire que le musulman est théologiquement habilité au libre examen des Ecritures sacrées, qu'un Luther, dans le christianisme, ne va réclamer qu'au XVIe siècle. Mais tous les Etats post-coloniaux ont fait un coup de force théologique en détournant à leur profit la liberté spirituelle des musulmans d'avoir accès au libre débat sur les lectures du texte coranique.
Dans cette construction des mythes et ce travail de déconstruction à opérer, quelle est la part de la fascination pour des Lieux saints ?
Ne prenons qu'un exemple, mais il est le plus révélateur : Jérusalem. Comme Médine, divisée au début de l'hégire entre les polythéistes, les juifs, les chrétiens et les premiers musulmans, Jérusalem est devenue l'espace favori de cette rivalité mimétique entre peuples du Livre. A la prise de Jérusalem par les Arabes, la construction du dôme du Rocher avait été un acte politique, mais surtout un acte de prise de possession du capital symbolique de cette ville hors du commun. Ainsi Jérusalem est-elle devenue cet espace, unique au monde, où se sont retrouvés les signes les plus sacrés des trois religions monothéistes.Mais pour que ces trois expériences spirituelles du divin puissent s'exprimer pacifiquement, il aurait fallu créer à Jérusalem une culture du religieux capable d'accueillir les différences. Au lieu de cela, une rivalité mimétique est née, qui a détruit cette expérience humaine incomparable, capitalisée à partir de ces trois textes fondateurs que sont la Bible, l'Evangile et le Coran, et devenue une référence essentielle pour l'esprit humain. La responsabilité en revient en partie à la pensée européenne qui, du fait des excès des Lumières, n'a pas su créer les conditions de cette culture du religieux, pourtant propre à toute expérience humaine.Si cette culture moderne, humaniste du religieux a une place magnifique pour s'exprimer, c'est à Jérusalem. Si le travail de déconstruction des mythes, que j'appelle de mes vœux, est opéré, c'est à Jérusalem que devront converger les aspirations de tous ceux qui ont soif de spiritualité, de morale et qui, las du dieu dollar ou du primat économique ou marchand, veulent restituer à l'homme sa juste place et son âme.
L'islam est-il capable de se réformer en se tournant vers l'avenir, ou seulement en se retournant vers ses origines ?
Le réformisme a été l'un des piliers de l'histoire de l'islam. Pendant la période classique, jusqu'au XIIIe siècle, il y a eu des réformistes comme Ghazali ou les Andalous Shatibi et Ibn Hazou. Les classiques étaient inventifs. Ils proposaient des alternatives herméneutiques. La pensée était pluraliste et aucune école ne pouvait faire prévaloir sa solution sans débat.Le décor a changé complètement quand les Etats post-coloniaux ont pris le pouvoir. On a assisté à une étatisation de la religion, dans laquelle le ministre des Affaires religieuses prenait les décisions sous le contrôle du parti unique. On ne peut plus parler de réformisme. Les oulémas sont la voix de leur maître qui les paie. Après 1945, le discours nationaliste va monopoliser tous les pouvoirs. Il n'y a plus d'alternative à l'expression idéologisée et à la transcription fondamentaliste de la religion. C'est pourquoi, il est urgent de créer cette alternative, seule réponse possible en Europe à la violence fondamentaliste. Ce ne sont pas les bombes et les bateaux qui vont résoudre toute cette histoire.
A quoi attribuez-vous l'incompréhension du monde occidental envers l'islam ?
Fernand Braudel a lancé la première grande aventure historique sur le monde méditerranéen. Il est le premier à avoir ouvert les archives turques, comme européennes, pour regarder le jeu des puissances et leurs rivalités de l'époque. La Méditerranée a connu des ruptures successives. D'abord en 1492 avec l'expulsion d'Espagne des Juifs et des musulmans, une date que nous devrions apprendre à nos enfants. L'Europe s'est tournée vers l'Atlantique tout en prenant possession de la Méditerranée. Or l'histoire de l'espace
méditerranéen qui continue d'être enseignée dans nos écoles ignore la rupture idéologique qui s'est effectuée, sur la base de la rupture religieuse de 1492 et qui s'est accentuée avec la colonisation : on enseigne encore la séparation totale entre les deux rives de la Méditerranée. La ligne de Braudel, selon laquelle il faut regarder tous les protagonistes qui ont façonné le visage des peuples de la
Méditerranée, n'est pas reprise par les Français eux-mêmes. Au contraire, on assiste à une polarisation, à une fantasmisation du regard européen sur l'islam. Les acteurs sociaux musulmans ont fait un usage tellement envahissant et idéologique de l'islam que les observateurs extérieurs sont presque obligés de faire la même chose. Que des gens pressés reprennent ce discours, soit. Mais je
n'accepte pas que les «historiens patentés de l'islam» dans les grandes universités occidentales adoptent cette même approche
idéologisée, c'est-à-dire non analysée. En vous écoutant, on comprend l'importance que vous accordez à l'éducation pour améliorer les relations entre les mondes musulman et européen, comme pour moderniser l'islam et l'ouvrir sur le reste du monde. Un grand nombre d'Algériens comme moi ont grandi avec la connaissance lucide de la pensée française critique, que nous aimons et qui nous fait ce que nous sommes. Mais nous sommes en même temps extrêmement sévères et exigeants à l'égard d'un imaginaire français et occidental nourri par une double démission : l'occultation officielle de la page coloniale de l'histoire française, comme l'ont montré les réactions officielles à propos de la torture en Algérie, et l'occultation au niveau de l'enseignement de l'histoire réelle des peuples méditerranéens. Les manuels d'histoire gomment des pages entières de l'histoire de France, comme celles qui touchent à la présence de la France au Maghreb. Les relations entre la France et le Maghreb ne seraient pas ce qu'elles sont si Maghrébins et Français avaient entendu de la bouche de leurs professeurs des exposés tels que la grande tradition historique française est capable d'en faire.L'islam doit être enseigné dans un espace intellectuel et scientifique qui dépasse ses expressions cultuelles. Les professeurs devraient être formés et un enseignement organisé dans les lycées, collèges et institutions de recherche scientifique. Or très peu de mes collègues chercheurs en France, en Amérique ou en Europe, sont convaincus de la nécessité d'une islamologie appliquée faisant appel à l'érudition, utilisant toutes les ressources des sciences sociales et qui soit appliquée au terrain. Or, ce terrain est occupé par les fondamentalistes qui se livrent à un lavage de cerveau des jeunes sans défense. Et je devrais, moi l'érudit, rester absent de ce combat ?
P. B. et H. T.


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