Nicolas Sarkozy a assuré, hier matin, que dans le cas où il serait réélu chef de l'Etat il n'y aura pas de ministres Front national dans son gouvernement, comme il n'y aura aucun accord avec le parti d'extrême-droite lors des élections législatives de juin prochain.Il fallait bien que le président sortant prenne cet engagement, en guise de mise au point après ses déclarations de la veille qui ont soulevé une tempête d'indignations et de protestations émanant de personnalités politiques et de plusieurs médias. Une mise au point qui semble sans effet.Dans sa démarche qui vise à amadouer le maximum d'électeurs qui ont voté au premier tour pour la candidate de l'extrême-droite, Marine Le Pen, dont les voix lui sont indispensables pour battre François Hollande le 6 mai, le candidat de l'UMP s'est aventuré dans les thèmes prisés par le parti de l'intolérance : sécurité, immigration, Islam, défense des frontières, etc. pour finir par délivrer un certificat de démocrate et de républicain à une formation politique autour de qui Jacques Chirac, alors président, avait placé un cordon sanitaire.Mardi dernier à Longjumeau, banlieue parisienne, Sarkozy a passé en revue certains problèmes que poseraient l'Islam, sans le citer, et l'immigration avant de déclarer que «si Marine Le Pen a le droit de se présenter c'est qu'elle est compatible avec la République». C'est la phrase qu'il a ajouté, hier, complétant en quelque sorte celle de la veille, en disant que le FN est «un parti démocratique», qui a soulevé de multiples et vives réactions d'oppositions amenant même le quotidien Libération à consacrer toute sa Une à un portrait de Sarkozy avec en surimpression sa citation : «Le Pen est compatible avec la République.»Face à la réaction indignée de l'UMP criant à la «désinformation», le journal a maintenu son affirmation en insérant dans son site Internet la vidéo témoin des dires de Sarkozy et en publiant une mise au point de son directeur de la rédaction. «Si nous avons décidé, hier, d'en faire la manchette, c'est qu'une telle déclaration n'est pas un épisode de la campagne présidentielle, mais une date cruciale dans l'histoire des droites en France», peut-on lire dans la mise au point.Cette appréciation est partagée par le Monde qui consacre au sujet l'éditorial de son édition d'aujourd'hui. «Le problème, écrit-il, - lourd, blessant, presque humiliant pour tout républicain, de droite comme de gauche - est que le président sortant a franchi, depuis deux jours, la frontière entre compréhension et compromission […], il a désormais adopté le langage, la rhétorique et, partant, les idées, ou plutôt les obsessions, de Mme Le Pen. Ainsi de cette façon d'attiser les peurs de la société française plutôt que de tenter de les apaiser. Ainsi de cette stigmatisation des “élites”, jetées en pâture au “peuple”. Ainsi de cette dénonciation du «système», dont on se demande bien ce qu'il est sinon la République dont il devrait être le garant. Cette empathie constitue une faute politique.» Pour le Monde, c'est également «une faute morale», car «en politique, comme ailleurs, la fin ne justifie pas tous les moyens» et «un aveu d'impuissance» pour n'être pas parvenu en cinq ans de présidence à «apporter des réponses au désarroi ou au désespoir de cette France qui souffre».Pour se faire réélire, Sarkozy semble bien jouer son va-tout en amplifiant la droitisation de son discours, au risque de perdre des électeurs centristes et même une frange de l'UMP allergique aux thèses de l'extrême-droite, toujours chiraquienne. Une frange qui aurait encore en tête ce passage du tome 2, le Temps présidentiel, des mémoires de l'ancien président, consacré à l'extrême-droite : «C'est une machine de guerre contre la raison, une idéologie de combat fondée sur le rejet des valeurs démocratiques, le refus du progrès économique et la haine des différences, qu'elles soient ethniques ou culturelles. Il n'y a pas et il n'y aura jamais de dialogue ou de compromis possible avec l'extrême droite. Tous ceux qui s'y sont essayés, pensant jouer au plus fin ont trouvé sur leur chemin plus forts et plus cyniques qu'eux. Ils ont fini submergés et vaincus.»Dans une campagne électorale qui s'emballe, où tous les coups semblent permis, François Hollande, qui a donné une conférence de presse, hier après-midi, poursuit sa campagne en cherchant, lui aussi, à capter des électeurs qui ont voté Front national mais en précisant qu'il «ne doit rien céder à l'extrême-droite», donc pas entrer dans le champ de ses thèmes, en faisant le distinguo entre ceux qui adhèrent à son idéologie et ceux qui ont juste exprimé «une colère». C'est cette seconde catégorie d'électeurs qui l'intéresse pour amplifier son résultat du premier tour et sortir victorieux de son duel avec le président sortant.