Les relents racistes qui émaillent les commentaires de certains analystes sont en décalage flagrant avec de simples prévisions de bon sens. Sans parler des prospectives à court terme de démographes et autres spécialistes qui, eux, ont fait le pari de ce réveil des minorités et de leur implication décisive dans les jeux politiques et les joutes électorales. Encore que la sociologie du dernier vote américain n'a fait que révéler une autre fracture à côté d'autres fractures de la société américaine.Ce qui est appelé fracture n'est à proprement que cette accentuation prévisible d'une tendance désormais lourde. Un rapide et simple comparatif entre les résultats de 2008 et ceux de 2012 montre bien que Barack Obama a épousé la tendance et poursuivi un même travail de captation des voix qui lui étaient objectivement acquises. Dans un sens et dans l'autre, il a poursuivi le même creusement des écarts. Alors qu'en 2008, il recueillait 43 % des voix chez les blancs, quatre ans plus tard, ce chiffre est descendu à 39 %. Le constat est également confirmatif pour le vote des Hispaniques avec 71 contre 67 %. Son rival Mitt Romney avait pourtant tout fait pour capter une partie de ce vote, sachant que les Hispaniques représentent 10 % de la population. Même percée significative du candidat démocrate chez les Afro- américains qui l'ont largement plébiscité avec 93 % des voix, en diminution de 3 points par rapport à 2008. La percée est plus forte chez les Asiatiques qui lui ont massivement offert leurs voix : 73 %, en progression de 10 points par rapport au précédent scrutin.
Riches-pauvres Il convient, toutefois, de se garder de ne voir de lignes de démarcation que par rapport aux critères de l'origine ethnique. Il s'agissait bien d'une compétition entre deux candidats différents par leurs programmes et leurs projets politiques et économiques, tant en politique intérieure qu'extérieure. Lors de cette élection, le clivage entre les riches et les pauvres était très présent. Il est indéniable que l'électorat pauvre et des classes moyennes a largement profité à Obama qui avait donné le ton avec une baisse des impôts effective, faveur de cette catégorie, et mis en œuvre son engagement de la sécurité sociale pour les Américains démunis. Il a été payé en retour, puisque 52 % des électeurs, gagnant moins de cinquante mille dollars par an, ont voté pour lui, en augmentation de 2 points par rapport à 2008. A l'inverse, les plus riches se sont massivement rangés du côté du républicain Romney qui leur a promis de ne pas augmenter leurs impôts et de remettre en cause la sécurité sociale pour les plus démunis. Au final, si les minorités ont assuré à Obama sa réélection, Romney leur doit sa défaite avec son discours particulièrement dur sur l'immigration pour obtenir l'investiture de son parti. En mai dernier, en France, le phénomène du vote des minorités a également joué. D'abord timidement, avant de finir par être révélé et démontré par des enquêtes d'opinion post-électorales, réalisées par des instituts habitués à ce genre de sondage. Par bien des aspects, les lignes de démarcation des deux candidats américains ont traversé les programmes et campagnes des candidats Hollande et Sarkozy. Mais l'évaluation est plus difficile pour la France où les statistiques ethniques sont interdites et l'évaluation des différents groupes de population trop sujette aux variations et aux considérations politiques. Le seul point d'accord est la reconnaissance de l'islam comme deuxième religion de France avec des estimations du nombre de musulmans oscillant entre cinq et six millions. Pour l'Ifop, un des instituts qui ont pignon sur rue, «il est intéressant de s'interroger sur le comportement électoral des musulmans», car «la question de l'islam et de sa place dans la société française a été débattue pendant la campagne et (…) l'issue du scrutin a été serrée». Son enquête, menée en juillet 2012, deux mois après l'élection de Hollande, a montré «un très fort vote à gauche de cet électorat», dès le premier tour de l'élection en avril. L'Ifop relève que cette tendance, déjà très forte, s'est trouvée «confirmée de manière spectaculaire au second tour avec un score de 86 % pour François Hollande, soit plus de 34 points de plus que sa moyenne nationale. D'après les données dont nous disposons, aucune autre catégorie de la population n'a aussi massivement voté pour le candidat socialiste (ou contre Nicolas Sarkozy) que les musulmans. Ce sur-vote très important (34 points de plus que la moyenne nationale) enregistré dans ce segment -constituant on le rappelle environ 5 % des inscrits- représente 1,5 point du corps électoral… soit l'avance qui a permis à François Hollande de l'emporter».Le vote étranger (essentiellement musulman et maghrébin) a-t-il eu la peau de Sarkozy ? Pour des raisons évidentes, en particulier l'ostracisation de l'immigration et des musulmans par le candidats de droite, la réponse ne peut qu'être affirmative. A. S.
«Minorités majoritaires» Pour les démographes attentifs à l'évolution de la population des Etats-Unis dans ses différentes strates, la nouvelle n'a rien de surprenant. Mais pour tous les autres, elle fait au moins sursauter, à défaut de provoquer un choc psychologique. Les bébés blancs dans les maternités américaines sont descendus de la barre des 50%, a révélé le Bureau du recensement dans des statistiques qu'il a publiées et qui portent sur une période de 15 mois d'avril 2010 à juillet 2011. Sans connotation raciste, des spécialistes parlent d'un début de «basculement racial» de la société américaine et dont les effets les plus visibles apparaîtront en 2040 quand la population d'origine «blanche» sera inférieure à 50%. Mais pour le moment elle est encore de 63, 4%, plus que les enfants de moins d'un an qui, eux, sont descendus à 49, 6%.En réalité, il s'agit d'une évolution démographique normale et largement anticipée. Le phénomène est déjà une réalité dans certains Etats comme la Californie ou le Nouveau-Mexique où le «basculement» dont il est question est en train de s'opérer. Dans ces Etats, il y a une inversion de fait des principales composantes de la population, la «majorité» se laissant devancer par les «minorités». La tendance est naturellement appelée à s'amplifier, car depuis 2000 le nombre de la population d'origine asiatique et hispanique a enregistré une progression de 40%, due en grande partie à l'immigration et à la natalité. Au total, les Hispaniques seraient près de 17% de la population, maintenant une forte avance sur les Noirs qui représentent 12, 3%. Bien qu'en forte progression, le nombre d'Américains d'origine asiatique reste inférieur à 5%. Ce changement de visage de la société américaine appelle nécessairement des transformations politiques, culturelles et sociales. Le vote dit ethnique qui a fait la différence dans la dernière élection présidentielle en est une des premières manifestations. A. S.