Trois ans se sont écoulés déjà. Les Japonais ont observé mardi une minute de silence pour commémorer la tragédie du 11 mars 2011. Un séisme, un raz-de-marée et un accident nucléaire ont fait quelque 20 000 morts et laissé exsangue toute une région.
A l'heure précise du tremblement de terre de magnitude 9 (14h46, soit 06h46 en Suisse), les voix se sont tues, les visages se sont baissés, les mains se sont jointes pour se souvenir de ce jour terrible, le pire qu'ait enduré le pays depuis la guerre. Une cérémonie officielle nationale avait lieu à Tokyo en présence du couple impérial et du Premier ministre à la mémoire des personnes emportées par la déferlante qui s'est abattue le long du littoral des préfectures de Miyagi, Iwate et surtout Fukushima, un nom qui est aujourd'hui synonyme de désastre atomique. L'empereur Akihito a exprimé ses profondes condoléances en souvenir des quelque 20 000 victimes décédées ou disparues le jour même ou plus tard des suites du triple drame.
La reconstruction piétine Trois ans se sont écoulés, mais sur le terrain la reconstruction piétine et les corps des 18 517 personnes immédiatement emportées par la vague n'ont pas été repêchés. Quelque 270 000 personnes n'ont pas encore pu regagner leurs maisons, détruites par le raz-de-marée ou rendues inhabitables par la radioactivité. Près de 100 000, souvent âgées, vivent toujours dans des habitations provisoires préfabriquées où elles souffrent de la promiscuité. Malgré les promesses répétées du gouvernement, beaucoup risquent de ne pas être relogées avant plusieurs années. Seulement 3,5% des maisons pérennes promises ont été bâties dans les provinces d'Iwate et Miyagi.
Remettre en fonction des réacteurs Quant aux ex-habitants des environs du complexe atomique de Fukushima, certains ne reviendront jamais dans leur maison parce qu'ils n'y seront pas autorisés ou qu'ils ne le veulent pas, par peur de la contamination radioactive. Selon une enquête de la chaîne publique NHK, 95% des Japonais se disent encore anxieux de la situation à Fukushima Daiichi. Même si 80% des citoyens nippons pensent que le rôle de l'énergie nucléaire doit être réduit autant que possible, le gouvernement Abe est décidé à remettre en service les réacteurs qui seront jugés sûrs par l'Autorité de régulation nucléaire.
Le pire est passé Noir absolu: c'est dans l'obscurité totale que le 11 mars 2011 une poignée d'hommes désespérés ont tout tenté pour empêcher le pire à la centrale atomique Fukushima Daiichi. En vain. Trois ans après, on revient là où s'est joué le drame dont ne sort pas indemne le Japon, ni sa politique énergétique: la salle de contrôle des unités 1 et 2. En guise de témoignage, il reste seulement des notes griffonnées sur les parois, entre manettes, cadrans, boutons et voyants éteints. Dates et chiffres écrits maladroitement, empreintes visibles de ces premières heures infernales, après le séisme et le tsunami qui ont ébranlé le site, et plongé dans le noir ceux qui luttaient. 24 heures sur 24, pendant des jours, ils ont bataillé, mais ont dû battre en retraite. Que se passait-il dans le cœur des réacteurs, les opérateurs n'en savaient rien. Les gars qui étaient là ne travaillent plus à la centrale. Ils ont reçu trop de radiations, explique Kenichiro Matsui, un responsable de la compagnie Tokyo Electric Power (Tepco). Il faut toujours un masque intégral, une combinaison, un bonnet, un casque, trois paires de gants, autant de chaussettes et des chaussures couvertes pour enjamber des câbles, des tuyaux, passer par un labyrinthe étroit, des escaliers, et arriver jusque-là, mais, surprise: la salle est propre, éclairée. Et pourtant, à une quarantaine de mètres, dans les réacteurs détruits, règne encore une radioactivité si phénoménale qu'ils ne sont pas près d'y aller. Ainsi va la vie à Fukushima Daiichi. Paradoxale: des progrès très visibles sur une partie du site (nettoyage des bâtiments), et une impression de chaos ailleurs, près des réservoirs d'eau contaminée notamment. La gestion de cette eau n'est toujours pas satisfaisante, confirme Dale Klein, ex-président de l'Autorité américaine de régulation nucléaire et membre d'un comité de suivi de la crise. Quatre pas en avant, deux en arrière: chaque nouvelle fuite d'eau ruine presque toute la confiance un peu regagnée, déplore cet expert selon qui Tepco doit faire davantage et plus vite pour gérer les près de 450 000 tonnes de liquide radioactif accumulé dans 1.200 réservoirs disséminés sur le site. Et on continue d'en construire par dizaines. 3 000 à 4 000 travailleurs s'escriment tous les jours, dans des conditions incroyablement pénibles, pour déblayer, installer des équipements, bâtir un mur souterrain, retirer le combustible usé des piscines d'entreposage, ou simplement trier les vêtements, chaussures, masques et casques. Logistique folle. Trois ans c'est long mais ce n'est rien, même pas un dixième du temps qu'il faudra pour démanteler 4 des 6 tranches de Fukushima Daiichi. Et pendant ce combat titanesque, à Tokyo on espère bien en relancer d'autres ailleurs.
Energie nucléaire = une ressource importante L'énergie nucléaire est une ressource de base importante, martèle le Premier ministre conservateur Shinzo Abe, pour qui les réacteurs jugés sûrs devront être remis en exploitation. Arrivé au pouvoir fin 2012, son gouvernement s'est empressé d'enterrer le projet du précédent exécutif de centre-gauche de zéro nucléaire d'ici à 2040. Une dizaine d'unités (sur 50 arrêtées) sont actuellement examinées depuis plus de six mois, et ce n'est pas fini. Si le gouvernement et l'Autorité nucléaire (chargée de certifier les réacteurs) considéraient vraiment la catastrophe de Fukushima comme une priorité, ils auraient mis plus de ressources au lieu de les concentrer sur les études de redémarrage d'autres réacteurs, s'agace Hisayo Takada qui suit le dossier au sein de l'organisation écologiste Greeenpeace. L'opinion, elle, ne bouge plus guère, elle espère juste que les installations nucléaires seront moins employées qu'avant, tandis que les industriels du secteur estiment qu'il faudra non seulement relancer des réacteurs mais aussi en construire de nouveaux pour assurer un approvisionnement stable. Le camp des pro-nucléaires autour de Shinzo Abe avance trois arguments. Economique, d'abord. Le Japon doit importer à prix d'or des quantités faramineuses de gaz et pétrole pour faire tourner à plein régime ses centrales thermiques, une situation qui entraîne des déficits commerciaux insoutenables. Diplomatique: l'indépendance énergétique est vitale, même si, pour les centrales nucléaires, le Japon reste tributaire de l'uranium importé. Ecologique, enfin. Les centrales thermiques produisent des gaz à effet de serre, ce qui empêche le Japon de remplir ses engagements internationaux, même s'il promet d'augmenter la part des énergies renouvelables (fermes solaires et éoliennes). S'ajoutent à cela un peu d'orgueil (la maîtrise de technologies de pointe) et pour certains nationalistes une arrière-pensée militariste (et si le Japon se dotait de la bombe atomique?). Du coup, le gouvernement martèle sur tous les tons que le Japon veut certes diminuer la part nucléaire mais ne peut s'en passer s'il veut rester une grande puissance économique indépendante et soucieuse du changement climatique.