Par rapport aux pays maghrébins, et même par rapport aux pays arabes, il a été remarqué que l'Algérie est le seul pays à n'avoir pas sombré vers l'islamisme lors des élections législatives passées. Cela a été énoncé sur des chaî- nes étrangères lors des débats menés sur les plateaux de TV. Evidemment, des explications qui ne paraissaient pas totalement fondées avaient été émises. Notre problème est que l'on ne dispose pas sur ces plateaux d'observateurs qui pouvaient s'appuyer sur une proximité culturelle qu'ils ne peuvent pas posséder. Par contre, du côté des pouvoirs publics, nos responsables politiques se sont enferrés dans des explications contradictoires. Bien avant le " printemps arabe ", nos hommes politiques affirmaient que les manifestations d'octobre 88 étaient le résultat de manipulations qui impliquaient la main étrangère. Plus tard, ils y avaient vu une manipulation à l'intérieur du système. Après le printemps arabe, les mêmes hommes politiques disaient cette fois-ci qu'il s'agissait d'une révolution menée par le peuple et que par conséquent, celui-ci ne voulait pas bouger car il a eu sa révolution. Les explications sont indexées à l'intérêt politique du moment. Ne perdraient-ils pas leur crédit, ces hommes politiques, d'être pris en flagrant délit de " manipulations " d'évènements qui ont une implication importante sur le devenir du pays ? Devrons-nous donc à chaque fois, à de tels moments importants, revenir sur le passé pour montrer les contradictions et pour également montrer que nos hommes politiques ont une seule conviction, que l'intérêt du moment est prioritaire ? Revenir sur le passé à travers un processus qui n'introduisait pas d'éléments de rupture à une tendance que le monde voyait évoluer de façon linéaire ? De la Concorde civile à la réconciliation nationale, avec toujours une posture qui combine les moyens de la réintégration avec ceux de l'emploi de forces, les pouvoirs successifs ont évolué sur la même ligne directrice stratégique. Toute démarche s'inscrit dans la sortie d'un immobilisme dégradateur des facteurs de tension et afin que n'arrive pas la situation où le pire serait de changer de stratégie au pire moment. Tant que le pouvoir possède l'initiative, il demeure maître du terrain. Ceux dont il était dit qu'ils étaient les deux principaux responsables de la tragé- die nationale sont encore sur le terrain de façon différente, toujours à se partager les tâches, à partir de l'étranger et du territoire national. Comment agissaient-ils pour ratisser large? Du côté des dirigeants du parti dissout, les deux leaders les plus en vue se complétaient l'un par des éclaircies conditionnelles, l'autre par des positions radicales, espérant ainsi ratisser le plus large possible et pourquoi pas, induire des contradictions au sein des pouvoirs publics. Du côté des groupes armés, l'extrême violence était le point de départ de leur stratégie avec une combinaison des massacres, éventuellement pour démontrer que la menace terroriste était plus crédible que la protection de l'Etat, et des embuscades aux forces de sécurité pour faire accréditer la thèse d'un conflit interne armé, thèse qui avait reçu une écoute outre-méditerranée. Du côté du pouvoir, c'était la menée en simultané de la rahma pour provoquer l'érosion dans les rangs des groupes armés et de l'emploi des moyens de force dans un contexte de graves difficultés économiques , privant ainsi l'Etat des ressources nécessaires pour relancer la machine économique et abaisser le niveau des frustrations socio-économiques des populations. Les grands massacres commis durant l'année 1997 et suivante expliquent en grande partie que la campagne électorale présidentielle qui en avait suivi fut centrée sur le thème de la paix. C'est ainsi que le candidat Bouteflika, devenu président, dut, conformément à ce qu'il avait annoncé dans son programme, commencer son premier mandat par la démarche dite Concorde civile, en parfaite continuité avec la ligne directrice de ses prédécesseurs à savoir Boudiaf avec son appel "je tends la main", Ali Kaffi avec la politique de la rahma, Zeroual qui recommandait dans sa première circulaire présidentielle de mars 1994, dans la première instruction par laquelle il débutait celle-ci de "réaliser la concorde entre tous les Algériens ". Bien lire entre " tous les Algériens ". Cela revient à dire que dès le commencement de la violence, il y a eu une continuité des grandes politiques de l'Etat, que le pouvoir politique n'avait jamais confié de mandat d'éradication aux forces de sécurité et que l'armée ne s'était jamais inventé son propre mandat, encore moins celui de l'éradication. La concorde civile n'avait pas prétendu ramener totalement la paix en éteignant définitivement la source de la violence, la preuve étant que la durée de sa validité était limitée à six mois. L'important était d'arriver à extraire du champ de la violence le plus d'éléments possibles des groupes armés.