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«Les gens sont impatients de voir les fruits de la révolution»
Maître Ayachi Hammami, membre de l'instance de la révolution tunisienne
Publié dans Le Midi Libre le 26 - 04 - 2011

Maître Ayachi Hammami est membre du Conseil tunisien de l'instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Communiste sans être affilié à aucun parti et militant de la ligue tunisienne des droits de l'Homme, Hammami fut opposant acharné au régime de Ben Ali. Nous l'avons rencontré samedi passé au centre diocésain d'El Biar à Alger en marge du Forum-atelier « vérité, justice et processus de transition démocratique » organisé par la Coalition d'association de victimes- CFDA, Sos Disparus, Somoud et Djazaïrouna.
Maître Ayachi Hammami est membre du Conseil tunisien de l'instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Communiste sans être affilié à aucun parti et militant de la ligue tunisienne des droits de l'Homme, Hammami fut opposant acharné au régime de Ben Ali. Nous l'avons rencontré samedi passé au centre diocésain d'El Biar à Alger en marge du Forum-atelier « vérité, justice et processus de transition démocratique » organisé par la Coalition d'association de victimes- CFDA, Sos Disparus, Somoud et Djazaïrouna.
Midi Libre : Où en est la révolution tunisienne ?
Maître Ayachi Hammami : On est en train de préparer une loi électorale qui va servir pour l'élection de l'assemblée constituante, cette loi a été conçue par le Conseil de l'instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. La majorité des partis politiques, qui s'étaient opposés à Ben Ali y siègent ainsi que la majorité des associations, des ONG et des représentants des régions. Le Conseil de l'instance supérieure est composé aussi de quelque 70 indépendants et d'un panel d'experts. C'est cette structure qui a été chargée de superviser le processus électoral qu'on veut libre et transparent depuis la préparation matérielle jusqu'à la proclamation des résultats. Cela pour l'aspect politique. Quant à l'aspect socio-économique, les choses ne sont pas aussi simples, il y a de grands problèmes, surtout à l'intérieur du pays, les gens sont impatients de voir les fruits de la révolution, et ça tarde parce que, outre que ce n'est pas facile, à mon avis le gouvernement provisoire ne fait pas assez pour prendre le train en marche. Sa mission à mon sens manque de clarté, il dit qu'il veut réussir les élections, mais pour les faire aboutir, faire uniquement de la politique est insuffisant, il faut aussi avoir une politique économique et sociale. Certes les problèmes demeurent, mais ce n'est plus comme au début. La protestation y est moins violente. Cela dit, on est en train de nous préparer pour cette date très importante qu'est le 24 juillet, où doivent se tenir les élections de l'Assemblée nationale constituante.
Vous planchez donc sur le projet du décret-loi portant organisation des élections de la constituante, que prévoit-il ?
Ce décret-loi prévoit le vote de liste à majorité, et le vote à la proportionnelle, de type « au plus fort reste » qui favorise les petits partis. L'originalité de cette loi réside dans le fait qu'elle consacre la parité au niveau des candidatures entre hommes et femmes et ce, avec un listage alterné. Autrement dit, les listes, en plus de comporter 50 % de femmes et 50 % d'hommes, assurent l'alignement en alternance des noms qui y figurent, un nom de femme est suivi d'un nom d'homme ou vice-versa. Nous avons fait en sorte de fournir le plus de chance possible aux femmes afin qu'elles puissent être élues à la constituante. Autre originalité de cette loi : elle interdit aux responsables du RCD, le parti de Ben Ali, et aux membres qui ont eu à travailler dans son gouvernement depuis 23 ans, de se présenter aux élections. La même interdiction frappe ceux qui ont appelé Ben Ali, à se représenter en 2014, en un mot tout ceux qui ont pris le peuple tunisien en otage depuis 2010. Mais je dois de dire que l'article relatif à l'exclusion des RCDistes, et des membres du gouvernement de Ben Ali, pourrait faire l'objet d'une révision par le gouvernement provisoire, parce qu'il y a des forces qui plaident pour que la décision de l'exclusion ne s'applique pas aux gens dont les années de service ne dépasse pas 10 ans au lieu des 23 ans. Ces forces veulent aussi épargner les responsables locaux du parti RCD arguant que seuls les responsables nationaux et régionaux méritent d'être écartés. On est encore au stade de la réflexion, mais c'est le gouvernement qui va décider dans les jours qui viennent.
Officiellement la police politique a été dissoute, y a-t-il un moyen de le vérifier sur le terrain ?
C'est une question de rapport de force, le plus important c'est que nous avons réussi à obliger le gouvernement à dissoudre cette police politique et à en faire publiquement l'annonce. Mais effectivement, on peut se poser la question, où est-elle passée, qu'est-ce qu'elle fait, et est-ce que le contrôle qu'exerçait cette police sur la société se maintient aujourd'hui ? Nous sommes convaincus que oui. Cette police est toujours présente, il y a toujours des écoutes téléphoniques même si ça n'a pas l'ampleur que cela avait par le passé. Ce ne sont plus les mêmes agents, les têtes ont changé. C'est vous dire que sa réduction relève du combat quotidien.
D'après les échos qui nous sont parvenus, le retour de Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste, a eu pour conséquence le réveil du réseau dormant que constituaient les mosquées, y a-t-il un péril islamiste en Tunisie?
Le parti Ennahda de Ghannouchi, d'après ce que nous constatons et savons depuis le début, est pour le moment le plus grand parti en Tunisie. Il a des militants partout dans le pays, il est en train d'ouvrir des locaux partout dans les régions et même dans les délégations (circonscriptions administratives intermédiaires entre le gouvernorat et le secteur (imada .NDLR). Ses meetings sont bien garnis, beaucoup de militants y assistent. Ennahda a commencé à éditer sa propre publication « Al-fadjr », un hebdomadaire qui paraît déjà depuis 4 semaines. Oui le parti Ennahda est très fort, mais il faut aussi dire qu'il n'a rien à voir avec les Frères musulmans d'Egypte, ou les wahhabites de l'Arabie saoudite. Je crois qu'on peut le rapprocher plutôt du parti marocain Justice et développement. Aussi certains lui trouvent des ressemblances avec les islamistes turcs. Il est vrai que ce parti tunisien a des traits originaux. Par exemple il a défendu la parité hommes-femmes avec une liste alternée dans le projet de loi. Il ne faut pas l'oublier, Ennahda a des représentants au sein du Conseil de la haute instance et a défendu publiquement l'idée de consacrer la parité dans la représentation entre les deux sexes. Sous Ben Ali, le parti Ennahda avait du reste signé avec le parti communiste, le PDP et d'autres partis regroupés au sein du mouvement du 18-Octobre, 3 textes très importants par lesquels il s'engage à œuvrer pour construire une société démocratique. Les documents en question soulignent la nécessité de respecter les droits de la femme tels que nous les connaissons en Tunisie, la liberté de culte et la nécessité d'opérer une certaine différentiation entre la religion et la politique. Sous les auspices du Conseil de haute instance, on planche actuellement sur un texte qu'on va appeler peut-être le contrat républicain, qui énoncera un certain nombre de principes que toutes les parties membres du Conseil doivent respecter, y compris Ennahda. N'importe quel parti qui accédera au pouvoir est ainsi appelé à respecter le droit à la différence, et à l'alternance, etc. Ce contrat républicain doit être signé avant d'aller à la constituante. Dans le cadre du Conseil de haute instante, on s'est mis d'accord sur le fait qu'il faut s'adresser au peuple pour lui dire, voilà en tant qu' islamistes, communistes, libéraux, nationalistes arabes et indépendants, nous nous sommes mis d'accord sur la nature du régime que nous voulons bâtir. Quelle que soit la majorité qui émergera, elle est tenue de respecter ce cadre-là. Ça veut dire que les membres de la direction d' Ennahda s'inscrivent tout à fait dans la ligne démocratique générale. Est-ce qu'ils vont y renoncer lorsqu'ils seront assez forts ? J'espère que non. Mais il appartient au courant de gauche et aux progressistes d'être très vigilants. Il faut veiller à ce que l'Etat qu'on veut construire ait des pouvoirs dotés de contre-pouvoirs. Il y a nécessité d'avoir une cour constitutionnelle. Elle sera d'un précieux concours après l'adoption de la nouvelle constitution. Il ne faut pas donner l'occasion à une majorité qu'elle soit islamiste ou communiste, de changer à son gré les fondements de l'Etat, et vider la constitution de son contenu via de nouvelles lois, etc, Donc, ça sera une lutte permanente qui nous attend.
Est-ce vrai que le parti de Ghannouchi a repris le contrôle des mosquées ?
Oui et non. Il faut savoir que les imams qui officiaient dans les mosquées à l'époque de Ben Ali étaient tous, en tous cas dans leur majorité, des imams inféodés au pouvoir. Le prêche du vendredi finissait toujours par des louanges à Ben Ali. Dès les premiers jours de la révolution, les fidèles ont chassé ces imams. Il avait donc fallu en désigner d'autres. Dans une majorité de mosquées, des groupes ont élu un imam parmi leur rang. Il y a sûrement des imams d'Ennahda qui ont été choisis. Mais comme nous avons une société civile progressiste, très forte, bruyante et vigilante, on a dès le début dénoncé l'instrumentalisation de la religion en faveur d'Ennahda. Tout de suite nous avions appelé à ce que ce manège cesse immédiatement. Il y a eu des articles dans la presse, dans la télé. L'effet a été immédiat puisqu'on a constaté une sorte de repli de la part d'Ennahda, car ce parti s'était auparavant engagé à ne pas instrumentaliser les mosquées à des fins politiques. Aujourd'hui Ennahda évolue dans la liberté, il a des locaux, des journaux, il fait des réunions, il n'y a pas lieu d'avoir des mosquées. Donc Ennahda a compris, il a dit ok. Mais je suis sûr que le maillage des mosquées perdure tout de même, et là aussi c'est une question de rapport de forces. Il faut être vigilants.
Qu'est-ce qui expliquerait le changement d'Ennahda de Ghannouchi, avant son départ en exil, il n'avait pas, nous croyons, l'esprit de tolérance, les principes qu'il a aujourd'hui
Il faudrait peut-être poser la question aux gens d'Ennahda. Pour ma part, je peux faire le constat, que ce ne sont pas seulement les islamistes qui ont changé mais aussi les communistes. Dans les années 60 et 70, certains communistes croyaient que la démocratie était un leurre bourgeois, ils croyaient uniquement à la démocratie centrale, marxiste-léniniste. Les islamistes croyaient pour leur part que la démocratie était une bidâa (innovation) occidentale, mais depuis l'histoire a évolué. Aujourd'hui les communistes et les islamistes courent respectivement après ce leurre bourgeois, et cette bidâa occidentale et croient tous, autant qu'ils sont, que c'est le seul vrai moyen pour arriver au développement. S'il est vrai que cette profession de foi reste au niveau du slogan, il va falloir attendre pour voir si elle a vraiment un contenu démocratique. C'est la pratique qui va le montrer. Mais je ne nie pas aussi qu'il y a une certaine évolution des mouvements islamistes tunisiens par rapport aux mouvements islamistes arabo-musulmans. Les mouvements tunisiens sont devenus plus tolérants, plus respectueux des autres, plus compréhensifs à l'égard des femmes, plus ouverts à l'évolution de la société. J'ai rapporté tout à l'heure cette expérience du mouvement du 18 octobre, qui a duré de 2005 à 2010. Cette expérience, première du genre dans la pensée politique arabo-musulmane, avait lancé le débat sur ce que devrait être un Etat démocratique.
Est-ce que la notion de laïcité fait-elle débat chez vous ?
Oui le concept a été depuis toujours évoqué en Tunisie, il y a même une association qui milite pour la laïcité qui y active. Ben Ali avait refusé de la légaliser. Elle existe désormais depuis la révolution. Il y a certes des laïcs en Tunisie, mais on est en droit de se poser la question : sont-ils des laïcs à la française ? Je réponds par la négative. C'est quoi un Etat laïc ? Le concept consacré en France, signifie la séparation entre l'Etat et la religion, est-ce qu'aujourd'hui nous avons intérêt afin de construire une Tunisie démocratique de recourir à cette séparation ? Imaginez qu'on décide en vertu de ce principe de supprimer les programmes de l'éducation religieuse dispensés à l'école. Puisque l'Etat est distinct de la religion, il ne peut pas faire étudier la religion. Conséquence, les familles vont emmener leurs enfants aux kouttabs, aux mosquées, aux écoles religieuses privées. Imaginez ce qui peut se passer au niveau des programmes. Ce sont les salafistes, les wahhabites, et même d'autres sectes qui vont devoir enseigner leur doctrine respective. Et imaginez les conséquences d'un désistement de l'Etat du religieux, en n'ayant pas de politique vis-à-vis des mosquées, vis-à-vis des discours des imams et du prône du vendredi, tout ce qui est excessif dans la religion va émerger à la surface. Je crois qu'il faut éviter de séparer l'Etat de la religion. L'Etat a intérêt à avoir une politique religieuse, qu'il doit traduire dans les fait dans les programmes scolaires. J'opte pour la séparation du religieux du politique, plutôt que la séparation de l'Etat de la religion.
En dehors d'Ennahda, comment se présente l'échiquier politique tunisien ?
S'agissant des partis, ils sont nombreux et divers. Il y a des partis politiques de toutes les tendances, nous sommes arrivés à plus de 50 partis reconnus et légalisés, il y a un centaine de partis qui ont déposé des dossiers, il y a des journaux qui arrivent avec. Ça fait mosaïque, sur le plan de l'audience, il y a des partis plus forts que d'autres, on a le Parti démocratique progressiste (PDP), dont le chef est Néjib Chebbi qui existe depuis 83. Il s'était illustré particulièrement par son opposition constante durant les années 2000 au régime de Ben Ali. Ce parti a son poids. Il y a le parti ouvrier communiste tunisien, les partis du courant nationaliste démocrate, morcelé en 3 organisations, quoiqu'ils sont en train de se réunir toutes les semaines à l'effet de faire bloc. Il y a aussi les nationalistes arabes, morcelés en 3 ou 4 partis. Nous avons fait un mode de scrutin qui ne permet à aucune organisation de dominer la constituante, même si un parti obtient plus de 50 % des voix, il n'aura pas plus de 50 % des sièges. Ce mode a fait consensus y compris parmi les gens d'Ennahda. Sauf surprise Ennahda, sera couronné premier parti mais il ne sera pas dominant.
Midi Libre : Où en est la révolution tunisienne ?
Maître Ayachi Hammami : On est en train de préparer une loi électorale qui va servir pour l'élection de l'assemblée constituante, cette loi a été conçue par le Conseil de l'instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. La majorité des partis politiques, qui s'étaient opposés à Ben Ali y siègent ainsi que la majorité des associations, des ONG et des représentants des régions. Le Conseil de l'instance supérieure est composé aussi de quelque 70 indépendants et d'un panel d'experts. C'est cette structure qui a été chargée de superviser le processus électoral qu'on veut libre et transparent depuis la préparation matérielle jusqu'à la proclamation des résultats. Cela pour l'aspect politique. Quant à l'aspect socio-économique, les choses ne sont pas aussi simples, il y a de grands problèmes, surtout à l'intérieur du pays, les gens sont impatients de voir les fruits de la révolution, et ça tarde parce que, outre que ce n'est pas facile, à mon avis le gouvernement provisoire ne fait pas assez pour prendre le train en marche. Sa mission à mon sens manque de clarté, il dit qu'il veut réussir les élections, mais pour les faire aboutir, faire uniquement de la politique est insuffisant, il faut aussi avoir une politique économique et sociale. Certes les problèmes demeurent, mais ce n'est plus comme au début. La protestation y est moins violente. Cela dit, on est en train de nous préparer pour cette date très importante qu'est le 24 juillet, où doivent se tenir les élections de l'Assemblée nationale constituante.
Vous planchez donc sur le projet du décret-loi portant organisation des élections de la constituante, que prévoit-il ?
Ce décret-loi prévoit le vote de liste à majorité, et le vote à la proportionnelle, de type « au plus fort reste » qui favorise les petits partis. L'originalité de cette loi réside dans le fait qu'elle consacre la parité au niveau des candidatures entre hommes et femmes et ce, avec un listage alterné. Autrement dit, les listes, en plus de comporter 50 % de femmes et 50 % d'hommes, assurent l'alignement en alternance des noms qui y figurent, un nom de femme est suivi d'un nom d'homme ou vice-versa. Nous avons fait en sorte de fournir le plus de chance possible aux femmes afin qu'elles puissent être élues à la constituante. Autre originalité de cette loi : elle interdit aux responsables du RCD, le parti de Ben Ali, et aux membres qui ont eu à travailler dans son gouvernement depuis 23 ans, de se présenter aux élections. La même interdiction frappe ceux qui ont appelé Ben Ali, à se représenter en 2014, en un mot tout ceux qui ont pris le peuple tunisien en otage depuis 2010. Mais je dois de dire que l'article relatif à l'exclusion des RCDistes, et des membres du gouvernement de Ben Ali, pourrait faire l'objet d'une révision par le gouvernement provisoire, parce qu'il y a des forces qui plaident pour que la décision de l'exclusion ne s'applique pas aux gens dont les années de service ne dépasse pas 10 ans au lieu des 23 ans. Ces forces veulent aussi épargner les responsables locaux du parti RCD arguant que seuls les responsables nationaux et régionaux méritent d'être écartés. On est encore au stade de la réflexion, mais c'est le gouvernement qui va décider dans les jours qui viennent.
Officiellement la police politique a été dissoute, y a-t-il un moyen de le vérifier sur le terrain ?
C'est une question de rapport de force, le plus important c'est que nous avons réussi à obliger le gouvernement à dissoudre cette police politique et à en faire publiquement l'annonce. Mais effectivement, on peut se poser la question, où est-elle passée, qu'est-ce qu'elle fait, et est-ce que le contrôle qu'exerçait cette police sur la société se maintient aujourd'hui ? Nous sommes convaincus que oui. Cette police est toujours présente, il y a toujours des écoutes téléphoniques même si ça n'a pas l'ampleur que cela avait par le passé. Ce ne sont plus les mêmes agents, les têtes ont changé. C'est vous dire que sa réduction relève du combat quotidien.
D'après les échos qui nous sont parvenus, le retour de Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste, a eu pour conséquence le réveil du réseau dormant que constituaient les mosquées, y a-t-il un péril islamiste en Tunisie?
Le parti Ennahda de Ghannouchi, d'après ce que nous constatons et savons depuis le début, est pour le moment le plus grand parti en Tunisie. Il a des militants partout dans le pays, il est en train d'ouvrir des locaux partout dans les régions et même dans les délégations (circonscriptions administratives intermédiaires entre le gouvernorat et le secteur (imada .NDLR). Ses meetings sont bien garnis, beaucoup de militants y assistent. Ennahda a commencé à éditer sa propre publication « Al-fadjr », un hebdomadaire qui paraît déjà depuis 4 semaines. Oui le parti Ennahda est très fort, mais il faut aussi dire qu'il n'a rien à voir avec les Frères musulmans d'Egypte, ou les wahhabites de l'Arabie saoudite. Je crois qu'on peut le rapprocher plutôt du parti marocain Justice et développement. Aussi certains lui trouvent des ressemblances avec les islamistes turcs. Il est vrai que ce parti tunisien a des traits originaux. Par exemple il a défendu la parité hommes-femmes avec une liste alternée dans le projet de loi. Il ne faut pas l'oublier, Ennahda a des représentants au sein du Conseil de la haute instance et a défendu publiquement l'idée de consacrer la parité dans la représentation entre les deux sexes. Sous Ben Ali, le parti Ennahda avait du reste signé avec le parti communiste, le PDP et d'autres partis regroupés au sein du mouvement du 18-Octobre, 3 textes très importants par lesquels il s'engage à œuvrer pour construire une société démocratique. Les documents en question soulignent la nécessité de respecter les droits de la femme tels que nous les connaissons en Tunisie, la liberté de culte et la nécessité d'opérer une certaine différentiation entre la religion et la politique. Sous les auspices du Conseil de haute instance, on planche actuellement sur un texte qu'on va appeler peut-être le contrat républicain, qui énoncera un certain nombre de principes que toutes les parties membres du Conseil doivent respecter, y compris Ennahda. N'importe quel parti qui accédera au pouvoir est ainsi appelé à respecter le droit à la différence, et à l'alternance, etc. Ce contrat républicain doit être signé avant d'aller à la constituante. Dans le cadre du Conseil de haute instante, on s'est mis d'accord sur le fait qu'il faut s'adresser au peuple pour lui dire, voilà en tant qu' islamistes, communistes, libéraux, nationalistes arabes et indépendants, nous nous sommes mis d'accord sur la nature du régime que nous voulons bâtir. Quelle que soit la majorité qui émergera, elle est tenue de respecter ce cadre-là. Ça veut dire que les membres de la direction d' Ennahda s'inscrivent tout à fait dans la ligne démocratique générale. Est-ce qu'ils vont y renoncer lorsqu'ils seront assez forts ? J'espère que non. Mais il appartient au courant de gauche et aux progressistes d'être très vigilants. Il faut veiller à ce que l'Etat qu'on veut construire ait des pouvoirs dotés de contre-pouvoirs. Il y a nécessité d'avoir une cour constitutionnelle. Elle sera d'un précieux concours après l'adoption de la nouvelle constitution. Il ne faut pas donner l'occasion à une majorité qu'elle soit islamiste ou communiste, de changer à son gré les fondements de l'Etat, et vider la constitution de son contenu via de nouvelles lois, etc, Donc, ça sera une lutte permanente qui nous attend.
Est-ce vrai que le parti de Ghannouchi a repris le contrôle des mosquées ?
Oui et non. Il faut savoir que les imams qui officiaient dans les mosquées à l'époque de Ben Ali étaient tous, en tous cas dans leur majorité, des imams inféodés au pouvoir. Le prêche du vendredi finissait toujours par des louanges à Ben Ali. Dès les premiers jours de la révolution, les fidèles ont chassé ces imams. Il avait donc fallu en désigner d'autres. Dans une majorité de mosquées, des groupes ont élu un imam parmi leur rang. Il y a sûrement des imams d'Ennahda qui ont été choisis. Mais comme nous avons une société civile progressiste, très forte, bruyante et vigilante, on a dès le début dénoncé l'instrumentalisation de la religion en faveur d'Ennahda. Tout de suite nous avions appelé à ce que ce manège cesse immédiatement. Il y a eu des articles dans la presse, dans la télé. L'effet a été immédiat puisqu'on a constaté une sorte de repli de la part d'Ennahda, car ce parti s'était auparavant engagé à ne pas instrumentaliser les mosquées à des fins politiques. Aujourd'hui Ennahda évolue dans la liberté, il a des locaux, des journaux, il fait des réunions, il n'y a pas lieu d'avoir des mosquées. Donc Ennahda a compris, il a dit ok. Mais je suis sûr que le maillage des mosquées perdure tout de même, et là aussi c'est une question de rapport de forces. Il faut être vigilants.
Qu'est-ce qui expliquerait le changement d'Ennahda de Ghannouchi, avant son départ en exil, il n'avait pas, nous croyons, l'esprit de tolérance, les principes qu'il a aujourd'hui
Il faudrait peut-être poser la question aux gens d'Ennahda. Pour ma part, je peux faire le constat, que ce ne sont pas seulement les islamistes qui ont changé mais aussi les communistes. Dans les années 60 et 70, certains communistes croyaient que la démocratie était un leurre bourgeois, ils croyaient uniquement à la démocratie centrale, marxiste-léniniste. Les islamistes croyaient pour leur part que la démocratie était une bidâa (innovation) occidentale, mais depuis l'histoire a évolué. Aujourd'hui les communistes et les islamistes courent respectivement après ce leurre bourgeois, et cette bidâa occidentale et croient tous, autant qu'ils sont, que c'est le seul vrai moyen pour arriver au développement. S'il est vrai que cette profession de foi reste au niveau du slogan, il va falloir attendre pour voir si elle a vraiment un contenu démocratique. C'est la pratique qui va le montrer. Mais je ne nie pas aussi qu'il y a une certaine évolution des mouvements islamistes tunisiens par rapport aux mouvements islamistes arabo-musulmans. Les mouvements tunisiens sont devenus plus tolérants, plus respectueux des autres, plus compréhensifs à l'égard des femmes, plus ouverts à l'évolution de la société. J'ai rapporté tout à l'heure cette expérience du mouvement du 18 octobre, qui a duré de 2005 à 2010. Cette expérience, première du genre dans la pensée politique arabo-musulmane, avait lancé le débat sur ce que devrait être un Etat démocratique.
Est-ce que la notion de laïcité fait-elle débat chez vous ?
Oui le concept a été depuis toujours évoqué en Tunisie, il y a même une association qui milite pour la laïcité qui y active. Ben Ali avait refusé de la légaliser. Elle existe désormais depuis la révolution. Il y a certes des laïcs en Tunisie, mais on est en droit de se poser la question : sont-ils des laïcs à la française ? Je réponds par la négative. C'est quoi un Etat laïc ? Le concept consacré en France, signifie la séparation entre l'Etat et la religion, est-ce qu'aujourd'hui nous avons intérêt afin de construire une Tunisie démocratique de recourir à cette séparation ? Imaginez qu'on décide en vertu de ce principe de supprimer les programmes de l'éducation religieuse dispensés à l'école. Puisque l'Etat est distinct de la religion, il ne peut pas faire étudier la religion. Conséquence, les familles vont emmener leurs enfants aux kouttabs, aux mosquées, aux écoles religieuses privées. Imaginez ce qui peut se passer au niveau des programmes. Ce sont les salafistes, les wahhabites, et même d'autres sectes qui vont devoir enseigner leur doctrine respective. Et imaginez les conséquences d'un désistement de l'Etat du religieux, en n'ayant pas de politique vis-à-vis des mosquées, vis-à-vis des discours des imams et du prône du vendredi, tout ce qui est excessif dans la religion va émerger à la surface. Je crois qu'il faut éviter de séparer l'Etat de la religion. L'Etat a intérêt à avoir une politique religieuse, qu'il doit traduire dans les fait dans les programmes scolaires. J'opte pour la séparation du religieux du politique, plutôt que la séparation de l'Etat de la religion.
En dehors d'Ennahda, comment se présente l'échiquier politique tunisien ?
S'agissant des partis, ils sont nombreux et divers. Il y a des partis politiques de toutes les tendances, nous sommes arrivés à plus de 50 partis reconnus et légalisés, il y a un centaine de partis qui ont déposé des dossiers, il y a des journaux qui arrivent avec. Ça fait mosaïque, sur le plan de l'audience, il y a des partis plus forts que d'autres, on a le Parti démocratique progressiste (PDP), dont le chef est Néjib Chebbi qui existe depuis 83. Il s'était illustré particulièrement par son opposition constante durant les années 2000 au régime de Ben Ali. Ce parti a son poids. Il y a le parti ouvrier communiste tunisien, les partis du courant nationaliste démocrate, morcelé en 3 organisations, quoiqu'ils sont en train de se réunir toutes les semaines à l'effet de faire bloc. Il y a aussi les nationalistes arabes, morcelés en 3 ou 4 partis. Nous avons fait un mode de scrutin qui ne permet à aucune organisation de dominer la constituante, même si un parti obtient plus de 50 % des voix, il n'aura pas plus de 50 % des sièges. Ce mode a fait consensus y compris parmi les gens d'Ennahda. Sauf surprise Ennahda, sera couronné premier parti mais il ne sera pas dominant.


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