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«Je veux offrir aux Algériens des ouvrages de référence»
Entretien avec Achour Cheurfi, encyclopédiste
Publié dans Le Midi Libre le 12 - 04 - 2008

Poète, essayiste, nouvelliste, journaliste avant tout, Achour Cheurfi a ajouté une autre corde à son arc : celle de lexicographe, voire d'encyclopédiste. Les encyclopédies qu'il a réalisées et publiées sont une véritable mémoire vivante de l'Algérie, et le plus beau c'est qu'il s'est attaqué tout seul à une œuvre titanesque, là où les autres pays mettent en place des équipes pluridisciplinaires en leur accordant tous les moyens et tous les budgets qu'il faut. Ce qui ne fait que rehausser le travail de Achour Cheurfi.
Poète, essayiste, nouvelliste, journaliste avant tout, Achour Cheurfi a ajouté une autre corde à son arc : celle de lexicographe, voire d'encyclopédiste. Les encyclopédies qu'il a réalisées et publiées sont une véritable mémoire vivante de l'Algérie, et le plus beau c'est qu'il s'est attaqué tout seul à une œuvre titanesque, là où les autres pays mettent en place des équipes pluridisciplinaires en leur accordant tous les moyens et tous les budgets qu'il faut. Ce qui ne fait que rehausser le travail de Achour Cheurfi.
Comment doit-on vous considérer, comme un lexicologue ou comme un encyclopédiste ?
Comme lexicologue, sûrement pas. Car je ne m'intéresse pas vraiment à l'histoire de la langue. Comme lexicographe, c'est-à-dire celui qui confectionne des dictionnaires, je peux donner une réponse positive. Encyclopédiste ? C'est un titre que je ne revendique pas. D'ailleurs, les titres importent peu. Seul le travail assidu, ordonné, guidé par une vision compte vraiment.
Etre encyclopédiste au sens large, c'est-à-dire celui qui réunit, classe et hiérarchise les connaissances de son temps est une entreprise qui ne peut être menée que de façon collective, multidisciplinaire. Surtout à l'époque où nous vivons et dans laquelle le flux informationnel est impressionnant et le rythme du renouvellement des connaissances extrêmement rapide. A l'heure actuelle, on estime que les connaissances doivent être revues tous les cinq ans au lieu de cinquante auparavant. Ceci de façon générale. Or, mon domaine, je le veux plus précis même si pour un individu cela paraît immense. Jusqu'à présent, j'ai travaillé essentiellement sur l'Algérie.
C'est un travail de longue haleine auquel vous vous êtes attaqué. Quelles sont les motivations qui vous ont amené à entreprendre une telle œuvre ?
Toute modestie mise à part, je crois que je fais partie des rares chercheurs de part le monde qui entreprennent l'élaboration de tels travaux à titre individuel. Je suis tout à fait conscient du défi que je relève et également de mes limites. La problématique centrale de mes ouvrages n'est pas la connaissance de façon générale mais l'Algérie, son histoire, son patrimoine, sa mémoire. Je me suis donné comme mission d'essayer, tant que je dispose d'un peu d'énergie, d'offrir à mes compatriotes des ouvrages de référence sur leur pays. C'est le résultat d'une conviction et d'une démarche.
Toutes les nations du monde disposent de ce genre de travaux parce qu'ils sont fondateurs et donnent des repères aux lecteurs et aux citoyens en les situant dans le temps et dans l'espace. Un dictionnaire ou une encyclopédie, ce n'est pas seulement livrer au lecteur, par ordre alphabétique, les lieux et les noms, les événements ou les éléments de son histoire et de sa culture. Une sorte de compilation inerte. Non, c'est un véritable repère identitaire qui permet à chacun de se retrouver dans ce qu'il a de plus primordial, ses racines et son histoire, afin de savoir qui il est et d'où il vient. Ce sont des nécessités de chaque instant.
Il y a tout de même un problème de source qui peut se poser quand on entreprend un travail de recherche en Algérie, vous ne trouvez pas ?
Comme chacun sait, notre pays a été «cassé» par l'intrusion de l'ordre colonial et la reconstruction de sa mémoire fragmentée exige beaucoup d'énergie, de compétences et de persévérance. Je n'ai pas attendu que les conditions idéales soient réunies pour commencer. Je n'ai jamais pensé que mes travaux sont exhaustifs. D'ailleurs, ce serait absurde de le croire, n'est-ce qu'un instant, surtout dans ce domaine précis. Il s'agit d'un travail qui exige collecte d'informations, concision et esprit de synthèse. Parfois, les notices paraissent peu développées et donc assez superficielles. C'est la nature même de la lexicographie qui le recommande. Et de l'époque aussi. Le lecteur d'aujourd'hui exige une information précise, courte, pratique, fiable.
Pendant un peu plus de deux décennies, parallèlement et complémentairement à mon travail journalistique, je collectais l'information et je la classais, de manière quotidienne, sur des fiches cartonnées ou pas, avant que l'ordinateur ne devienne accessible, jusqu'à ce que l'accumulation des données soit suffisamment importante pour donner lieu à un premier ouvrage que j'avais intitulé : Mémoire algérienne, le dictionnaire biographique, paru en 1996, en pleine tragédie nationale. Dès le départ, j'avais fait le choix de rassembler, en un volume, les élites de mon pays, qu'elles soient intellectuelles ou artistiques, sans se préoccuper de l'appartenance idéologique ou politique de chacun, me situant bien au-delà des préoccupations de sectes, de réseaux ou des clientèles. Mon seul souci a été de rassembler, en rédigeant des notices les plus concises possibles, celles et ceux qui ont fait et qui continuent de faire la culture algérienne.
Aucun auteur ne s'est plaint de la manière dont vous l'avez présenté ?
Non, en revanche, il est intéressant de savoir qu'au moment de sa parution, alors que le pays traversait l'une des périodes les plus obscures de son histoire contemporaine, les réactions qui me sont parvenues m'encourageaient à aller de l'avant et soulignaient combien sa «contribution à la valorisation de la culture algérienne» (dixit un lecteur de Relizane qui, par la même occasion, me communiqua d'utiles informations sur son père, chantre du bédouin oranais) était importante. Je dois au moins citer quelques noms seulement pour remercier à mon tour l'ensemble des lecteurs qui ont reçu cet ouvrage et ceux qui ont suivi, avec enthousiasme et lucidité. Les artistes peintres Rokia Seferdjli, Souhila Belbahar et Lucette Hadj Ali m'ont dit combien ce genre de travail leur redonnait l'espoir et montrait au monde que nous avions une culture au moment même où des fanatiques proclamaient que l'Algérie n'avait pas de culture tout en procédant à l'élimination physique des hommes de culture. L'admirable interprète de la musique andalouse, Beihdja Rahal, dès la parution du Dictionnaire des musiciens algériens, en 1997, m'écrivait de Paris, qu'elle a eu la «chance de consulter» l'ouvrage et qu' «à présent nous ne sommes plus obligés de passer des journées pour retrouver le nom d'un artiste» tout en me communiquant tout un dossier sur son propre parcours et je tiens à la remercier parce qu'il m'avait servi par la suite. Je peux, si tu le permets, citer un autre lecteur, un certain Boukefous de Taher qui m'avait écrit pour porter à ma connaissance des erreurs commises dans la notice relative au président Ferhat Abbas en joignant une photocopie de l'acte de naissance de cette éminente personnalité, corrigeant ainsi le mois de naissance (le 24 août 1898 au lieu et place du 24 octobre). Cela peut paraître un détail mais même si comme disait Tocqueville, ce que «l'on gagne en étendue, on le perd en détails», il est extrêmement important d'en tenir compte et de se corriger en permanence. Du moins, c'est ma démarche et je m'y plie, veillant à ce que la concision soit la règle et la confusion l'exception.
Je peux aussi, si vous me le permettez, vous dire quelques mots sur la question des critères et des sources. Mes dictionnaires sont destinés à un large public qui va de l'étudiant au journaliste, du chercheur à l'homme politique, du comédien au chanteur, de l'Algérien aux autres nationalités de la planète. Le seul élément commun qui réunit ces lecteurs, c'est l'intérêt qu'ils portent à la culture algérienne, ses acteurs, ses animateurs. C'est à partir de là que je me suis fixé des critères afin de pouvoir répondre aux interrogations des lecteurs. D'emblée, je me suis donné la mission de fixer les repères de la culture algérienne, non pas de façon théorique, mais de la manière la plus concrète possible, à travers le segment de la biographie ou de la monographie. Là aussi, il ne s'agissait pas pour moi de me livrer à des récits de vie, de longs développements sur une personnalité, mais de livrer au lecteur, souvent en quelques lignes, le parcours ou la vie d'un homme. Mon ambition à ce niveau est beaucoup plus modeste puisqu'il s'agit de proposer des repères concernant nos élites et dont nous manquons terriblement.
Quel est votre principal atout : votre formation d'historien (je crois) ou votre travail de journaliste ?
Les deux, bien sûr. De mon point de vue, un dictionnaire ne contient pas uniquement les notices des personnages ou des personnalités qui méritent de passer à la postérité. Donc de constituer à la fois une sorte de panthéon où se retrouveraient les plus grands dans tous les domaines, mais en gardant ouverte la porte qui y mène et en intégrant par conséquent des personnalités disons-le de «second rang» ou même du «troisième type», du moins pour le moment. Je dis «pour le moment», car j'avoue la difficulté de trancher et de ne pas savoir la place qu'occupera un «homme important» dans la postérité. En outre, l'une des caractéristiques fondamentales de mes dictionnaires, c'est qu'ils tentent de concilier ce qui est histoire et ce qui est actualité. A l'opposé de la tradition universitaire, du moins celle qui prévalait avant les années 50 du XXe siècle, et qui consistait à ne traiter que ceux qui ont décédé, pour mieux sans doute disposer du recul nécessaire pour comprendre leurs œuvres et les situer dans leur époque, je m'inscris dans une démarche qui privilégie «l'histoire immédiate» en quelque sorte, par déformation professionnelle peut-être, mais sûrement pour essayer de répondre aux attentes pressantes de nos contemporains qui formulent la volonté de mieux connaître leurs élites actuelles. Bien entendu une telle démarche, résolument moderne, s'adaptant au rythme de la vie et à la densité du flux informationnel, outre qu'elle rend plus visible celles et ceux qui font notre culture, contribue dans une certaine mesure à avoir une relation plus forte avec notre environnement et à mieux connaître la société dans laquelle nous vivons.
Vous laissez le temps faire sa propre décantation…
Je dirais que cette démarche n'a pas que des avantages et parmi les inconvénients, nous citerons précisément le manque de recul et son corollaire l'éventualité d'accorder une importance surdimensionnée à des faits ou des personnalités. Aussi, ne cessons-nous pas de rappeler à chaque fois que cela est possible que la longueur d'une notice ne signifie pas automatiquement l'importance de la personne qui en bénéficie, mais que celle-ci résulte plutôt d'un concours de circonstances. Bien entendu, ce que je dis de la biographie est aussi valable dans une large mesure de la monographie. Concernant les villes algériennes, le travail monographique est à peine à ses débuts et nous ne connaissons pas de recherche approfondie dans le domaine. L'histoire de nos villes et de nos villages reste à faire et les monographies que les wilayas ont commencé à élaborer, de même d'ailleurs que les communes, constituent une source appréciable bien qu'elle ne soit pas toujours facile d'accès. La aussi s'ouvre un large espace de recherche qui est en relation avec la question identitaire surtout lorsqu'on pense à la complexe problématique de la toponymie algérienne. C'est dire que tout ce qui concourt à rendre plus visible le champ intellectuel de notre pays contribue à une meilleure connaissance de la société et des hommes et donc, à mieux maîtriser notre avenir.
Alors pour répondre à votre question : encyclopédiste ? Oui, si vous y tenez mais alors concernant le domaine Algérie. Ou du moins une partie de ce domaine qui, du reste, est assez vaste et demeure inexploré.
Avec la douzaine de dictionnaires que j'ai publiés jusqu'à présent, l'Algérie dispose d'une banque de données appréciable et quasiment unique de ses élites : les musiciens, les écrivains, les hommes politiques, les artistes peintres, les cinéastes et comédiens. Ce sont des références pour les étudiants et pour tous ceux qui s'intéressent à l'Algérie. D'ailleurs, j'aimerais bien appliquer le même concept (dictionnaire encyclopédique) à l'ensemble maghrébin et à l'aire arabo-musulmane.
Ajoutons encore un mot sur cette question et rappelons que l'émergence de «l'esprit encyclopédique» en Europe, a été une véritable révolution intellectuelle. Je pense notamment à l'Encyclopédie animée par Diderot parue en 1751 et qui traite des sciences, des arts et des métiers. Un tel ouvrage, le plus vaste, le plus utile qu'on ait jamais conçu, œuvre de gens de lettres et de philosophes, a été reçu comme un scandale par les autres corps, tout aussi respectables, que les magistrats, les religieux, les hommes politiques qui y ont vu une sorte de «complot» contre «leurs» propres savoirs, trouvant l'idée de rassembler en un corps, et de transmettre à la postérité le dépôt de toutes les sciences et de tous les arts, tout simplement inacceptable. Diderot et ses amis ont été accusés de tous les maux et notamment de vulgaires plagiaires. Aujourd'hui, l'encyclopédie est le summum de toute élaboration intellectuelle dans des sociétés confiantes en elles-mêmes. Or, dans notre pays, nous avons les compétences nécessaires mais il me semble qu'il manque le consensus indispensable autour de l'identité du projet culturel à construire. D'où peut-être cette difficulté justement à s'engager pleinement dans l'élaboration d'une encyclopédie algérienne qui fasse le point des connaissances sur notre pays dans tous les domaines et à travers toutes les époques, avec une orientation résolument moderne.
A la lumière du travail que vous avez effectué, que peut-on dire des élites algériennes à travers le temps ?
La réponse est quelque peu délicate. D'abord, parce que je n'ai pas essayé de théoriser. Et le fait que mon travail ait embrassé une époque aussi vaste, s'étendant sur deux millénaires, requiert une réponse raisonnée qui ne saurait s'accommoder de généralités et dont je ne dispose pas vraiment de tous les éléments.
J'ai travaillé de façon empirique. Au fur et à mesure que je me documentais sur les questions qui m'intéressaient. Il y a des travaux qui ont été menés par des chercheurs algériens et non algériens sur les élites algériennes, à un moment donné de l'histoire, durant la colonisation notamment. Cela dit, on peut livrer ici quelques observations ou quelques impressions sur le sujet, en partant du travail que j'avais fait et qui concerne les biographies des élites politiques, intellectuelles ou artistiques. Par exemple, à propos de l'élite politique, on constate que la majorité de ceux qui ont occupé les postes les plus élevés au sein du mouvement national avant l'Indépendance ou de l'Etat après l'Indépendance n'est pas issue du système éducatif moderne ; que le personnel politique est promu beaucoup plus par cooptation que par l'élection. La légitimité n'est pas élective mais «révolutionnaire» jusqu'à récemment. Et s'il vrai que l'on ne parle plus de la «légitimité révolutionnaire», on est encore très loin de la «légitimité démocratique». Concernant l'élite artistique par exemple, on relève le modeste niveau scolaire de nos interprètes, musiciens et compositeurs. Très peu ont fréquenté les conservatoires ou les grandes écoles musicales. Il en est de même pour les autres disciplines comme le théâtre, le ballet, le cinéma. Ce qui donne aux champs politique et artistique une caractéristique propre, celui d'être continuellement en crise….de compétence et de…légitimité. Ce qui est également porteur de facteurs négatifs alimentant la régression. Ceux qui font la littérature viennent de deux institutions maîtresses : l'éducation et les médias. Depuis les années vingt du XXe siècle jusqu'à l'Indépendance et même après, le duo enseignants-journalistes domine le champ de la création littéraire. Sur ce denier plan, on peut dire qu'il y une poussée créatrice et rénovatrice, tant au plan de l'écriture que de la thématique, mais qui demeure réduite par l'étroitesse du champ éditorial. Quand on évoque nos essayistes, on pense à certains d'entre eux, comme Malek Bennabi et Mostefa Lacheraf, et rarement à M'hamed Boukhobza, à Houari Addi et Mohamed Arkoun. Les uns comme les autres sont très peu connus au sein de la population estudiantine et leurs œuvres ne bénéficient pas de recherches et d'enseignement. Il me semble que l'étude de la pensée philosophique et politique occupe une place marginale dans notre système éducatif.
Généralement, les élites se composent de tous ceux qui détiennent une fortune, un pouvoir ou un savoir et qui jouissent d'une position sociale élevée. Une analyse sérieuse ne se limiterait pas à énoncer des critères qui peuvent être lus comme exclusifs les uns par rapport aux autres, comme l'éducation, la fortune, l'alliance matrimoniale, l'apprentissage culturel, l'exercice d'une fonction. C'est plutôt la combinaison de ces critères qui est à même de donner un sens au concept de l'élite et de son opérabilité. De même qu'au sein de l'élite, il existe une hiérarchie et une série de gradations qui sont autant de lignes de clivages pas toujours faciles à percevoir. De manière plus prosaïque, il est difficile de répondre à la question par exemple : comment devient-on ministre ou wali ? Est-ce grâce au savoir acquis sur les bancs des universités, à la compétence acquise sur le terrain, à l'alliance avec des gens ou des familles puissantes, à l'appartenance d'un clan ou d'un réseau….
Ce qu'on observe dans notre pays, c'est qu'il est plus facile de faire partie de l'élite que de se maintenir. La plupart accède au statut de l'élite par la promotion à une fonction. La personne perd tout en perdant la fonction qu'elle exerce. D'où l'acharnement à tout faire pour y rester et se maintenir coûte que coûte. Ceci est valable surtout en politique. Nos hommes politiques ont tendance à percevoir leur fonction comme une carrière (et une allégeance à l'homme fort du moment) et non comme une mission provisoire dont la longévité dépend avant tout de la consultation citoyenne. On peut évidemment formuler la même observation concernant les partis politiques qui ne sont pas vraiment des institutions intellectuelles productrices d'idées et de programmes, mais des regroupements autour de réseaux d'intérêts souvent occultes. La mobilité de leurs éléments et la facilité avec laquelle l'encadrement fait allégeance à d'autres cercles ou à d'autres clans expliquent leur fragilité et leur ancrage superficiel dans la société.
Peut-on parler à l'heure actuelle, de l'existence d'une intelligentsia algérienne ?
L'intelligentsia algérienne existe bien sûr. D'ailleurs, toute société possède sa propre intelligentsia. Le problème réside dans sa capacité d'orienter la société et de son articulation par rapport aux autres pouvoirs et si elle-même se présente comme un corps relativement cohérent ou au contraire comme un ensemble fragmenté.
Traditionnellement c'est l'école qui forme les élites. Or, aujourd'hui l'école algérienne est entrée en crise, dans le prolongement d'une crise sociale plus profonde, et la course aux diplômes s'apparente à une fuite en avant du fait que les diplômes ne sauvent plus les diplômés du chômage. Cette crise se manifeste par le taux élevé du chômage des universitaires et l'exil des compétences qui s'accroît. La chose est d'autant plus grave lorsque c'est l'Etat qui finance en partie cet exil en accordant des bourses de formation à l'étranger tout en sachant que les bénéficiaires ne reviendront pas au pays.
L'élite algérienne me paraît aujourd'hui fragmentée, marginalisée ou instrumentalisée et bien isolée et incapable d'avoir une image sereine d'elle-même et encore moins d'une vision lucide quant au présent et à l'avenir du pays. Aussi, la relève se fait certes, mais de façon toujours aussi heurtée, imprécise, problématique, en littérature comme en cinéma, en théâtre comme en politique. Le champ intellectuel en voie de recomposition permanente n'offre pas, pour le moment une visibilité satisfaisante et la connaissance, devenue un enjeu planétaire, n'est pas encore au cœur de notre développement.
Comment doit-on vous considérer, comme un lexicologue ou comme un encyclopédiste ?
Comme lexicologue, sûrement pas. Car je ne m'intéresse pas vraiment à l'histoire de la langue. Comme lexicographe, c'est-à-dire celui qui confectionne des dictionnaires, je peux donner une réponse positive. Encyclopédiste ? C'est un titre que je ne revendique pas. D'ailleurs, les titres importent peu. Seul le travail assidu, ordonné, guidé par une vision compte vraiment.
Etre encyclopédiste au sens large, c'est-à-dire celui qui réunit, classe et hiérarchise les connaissances de son temps est une entreprise qui ne peut être menée que de façon collective, multidisciplinaire. Surtout à l'époque où nous vivons et dans laquelle le flux informationnel est impressionnant et le rythme du renouvellement des connaissances extrêmement rapide. A l'heure actuelle, on estime que les connaissances doivent être revues tous les cinq ans au lieu de cinquante auparavant. Ceci de façon générale. Or, mon domaine, je le veux plus précis même si pour un individu cela paraît immense. Jusqu'à présent, j'ai travaillé essentiellement sur l'Algérie.
C'est un travail de longue haleine auquel vous vous êtes attaqué. Quelles sont les motivations qui vous ont amené à entreprendre une telle œuvre ?
Toute modestie mise à part, je crois que je fais partie des rares chercheurs de part le monde qui entreprennent l'élaboration de tels travaux à titre individuel. Je suis tout à fait conscient du défi que je relève et également de mes limites. La problématique centrale de mes ouvrages n'est pas la connaissance de façon générale mais l'Algérie, son histoire, son patrimoine, sa mémoire. Je me suis donné comme mission d'essayer, tant que je dispose d'un peu d'énergie, d'offrir à mes compatriotes des ouvrages de référence sur leur pays. C'est le résultat d'une conviction et d'une démarche.
Toutes les nations du monde disposent de ce genre de travaux parce qu'ils sont fondateurs et donnent des repères aux lecteurs et aux citoyens en les situant dans le temps et dans l'espace. Un dictionnaire ou une encyclopédie, ce n'est pas seulement livrer au lecteur, par ordre alphabétique, les lieux et les noms, les événements ou les éléments de son histoire et de sa culture. Une sorte de compilation inerte. Non, c'est un véritable repère identitaire qui permet à chacun de se retrouver dans ce qu'il a de plus primordial, ses racines et son histoire, afin de savoir qui il est et d'où il vient. Ce sont des nécessités de chaque instant.
Il y a tout de même un problème de source qui peut se poser quand on entreprend un travail de recherche en Algérie, vous ne trouvez pas ?
Comme chacun sait, notre pays a été «cassé» par l'intrusion de l'ordre colonial et la reconstruction de sa mémoire fragmentée exige beaucoup d'énergie, de compétences et de persévérance. Je n'ai pas attendu que les conditions idéales soient réunies pour commencer. Je n'ai jamais pensé que mes travaux sont exhaustifs. D'ailleurs, ce serait absurde de le croire, n'est-ce qu'un instant, surtout dans ce domaine précis. Il s'agit d'un travail qui exige collecte d'informations, concision et esprit de synthèse. Parfois, les notices paraissent peu développées et donc assez superficielles. C'est la nature même de la lexicographie qui le recommande. Et de l'époque aussi. Le lecteur d'aujourd'hui exige une information précise, courte, pratique, fiable.
Pendant un peu plus de deux décennies, parallèlement et complémentairement à mon travail journalistique, je collectais l'information et je la classais, de manière quotidienne, sur des fiches cartonnées ou pas, avant que l'ordinateur ne devienne accessible, jusqu'à ce que l'accumulation des données soit suffisamment importante pour donner lieu à un premier ouvrage que j'avais intitulé : Mémoire algérienne, le dictionnaire biographique, paru en 1996, en pleine tragédie nationale. Dès le départ, j'avais fait le choix de rassembler, en un volume, les élites de mon pays, qu'elles soient intellectuelles ou artistiques, sans se préoccuper de l'appartenance idéologique ou politique de chacun, me situant bien au-delà des préoccupations de sectes, de réseaux ou des clientèles. Mon seul souci a été de rassembler, en rédigeant des notices les plus concises possibles, celles et ceux qui ont fait et qui continuent de faire la culture algérienne.
Aucun auteur ne s'est plaint de la manière dont vous l'avez présenté ?
Non, en revanche, il est intéressant de savoir qu'au moment de sa parution, alors que le pays traversait l'une des périodes les plus obscures de son histoire contemporaine, les réactions qui me sont parvenues m'encourageaient à aller de l'avant et soulignaient combien sa «contribution à la valorisation de la culture algérienne» (dixit un lecteur de Relizane qui, par la même occasion, me communiqua d'utiles informations sur son père, chantre du bédouin oranais) était importante. Je dois au moins citer quelques noms seulement pour remercier à mon tour l'ensemble des lecteurs qui ont reçu cet ouvrage et ceux qui ont suivi, avec enthousiasme et lucidité. Les artistes peintres Rokia Seferdjli, Souhila Belbahar et Lucette Hadj Ali m'ont dit combien ce genre de travail leur redonnait l'espoir et montrait au monde que nous avions une culture au moment même où des fanatiques proclamaient que l'Algérie n'avait pas de culture tout en procédant à l'élimination physique des hommes de culture. L'admirable interprète de la musique andalouse, Beihdja Rahal, dès la parution du Dictionnaire des musiciens algériens, en 1997, m'écrivait de Paris, qu'elle a eu la «chance de consulter» l'ouvrage et qu' «à présent nous ne sommes plus obligés de passer des journées pour retrouver le nom d'un artiste» tout en me communiquant tout un dossier sur son propre parcours et je tiens à la remercier parce qu'il m'avait servi par la suite. Je peux, si tu le permets, citer un autre lecteur, un certain Boukefous de Taher qui m'avait écrit pour porter à ma connaissance des erreurs commises dans la notice relative au président Ferhat Abbas en joignant une photocopie de l'acte de naissance de cette éminente personnalité, corrigeant ainsi le mois de naissance (le 24 août 1898 au lieu et place du 24 octobre). Cela peut paraître un détail mais même si comme disait Tocqueville, ce que «l'on gagne en étendue, on le perd en détails», il est extrêmement important d'en tenir compte et de se corriger en permanence. Du moins, c'est ma démarche et je m'y plie, veillant à ce que la concision soit la règle et la confusion l'exception.
Je peux aussi, si vous me le permettez, vous dire quelques mots sur la question des critères et des sources. Mes dictionnaires sont destinés à un large public qui va de l'étudiant au journaliste, du chercheur à l'homme politique, du comédien au chanteur, de l'Algérien aux autres nationalités de la planète. Le seul élément commun qui réunit ces lecteurs, c'est l'intérêt qu'ils portent à la culture algérienne, ses acteurs, ses animateurs. C'est à partir de là que je me suis fixé des critères afin de pouvoir répondre aux interrogations des lecteurs. D'emblée, je me suis donné la mission de fixer les repères de la culture algérienne, non pas de façon théorique, mais de la manière la plus concrète possible, à travers le segment de la biographie ou de la monographie. Là aussi, il ne s'agissait pas pour moi de me livrer à des récits de vie, de longs développements sur une personnalité, mais de livrer au lecteur, souvent en quelques lignes, le parcours ou la vie d'un homme. Mon ambition à ce niveau est beaucoup plus modeste puisqu'il s'agit de proposer des repères concernant nos élites et dont nous manquons terriblement.
Quel est votre principal atout : votre formation d'historien (je crois) ou votre travail de journaliste ?
Les deux, bien sûr. De mon point de vue, un dictionnaire ne contient pas uniquement les notices des personnages ou des personnalités qui méritent de passer à la postérité. Donc de constituer à la fois une sorte de panthéon où se retrouveraient les plus grands dans tous les domaines, mais en gardant ouverte la porte qui y mène et en intégrant par conséquent des personnalités disons-le de «second rang» ou même du «troisième type», du moins pour le moment. Je dis «pour le moment», car j'avoue la difficulté de trancher et de ne pas savoir la place qu'occupera un «homme important» dans la postérité. En outre, l'une des caractéristiques fondamentales de mes dictionnaires, c'est qu'ils tentent de concilier ce qui est histoire et ce qui est actualité. A l'opposé de la tradition universitaire, du moins celle qui prévalait avant les années 50 du XXe siècle, et qui consistait à ne traiter que ceux qui ont décédé, pour mieux sans doute disposer du recul nécessaire pour comprendre leurs œuvres et les situer dans leur époque, je m'inscris dans une démarche qui privilégie «l'histoire immédiate» en quelque sorte, par déformation professionnelle peut-être, mais sûrement pour essayer de répondre aux attentes pressantes de nos contemporains qui formulent la volonté de mieux connaître leurs élites actuelles. Bien entendu une telle démarche, résolument moderne, s'adaptant au rythme de la vie et à la densité du flux informationnel, outre qu'elle rend plus visible celles et ceux qui font notre culture, contribue dans une certaine mesure à avoir une relation plus forte avec notre environnement et à mieux connaître la société dans laquelle nous vivons.
Vous laissez le temps faire sa propre décantation…
Je dirais que cette démarche n'a pas que des avantages et parmi les inconvénients, nous citerons précisément le manque de recul et son corollaire l'éventualité d'accorder une importance surdimensionnée à des faits ou des personnalités. Aussi, ne cessons-nous pas de rappeler à chaque fois que cela est possible que la longueur d'une notice ne signifie pas automatiquement l'importance de la personne qui en bénéficie, mais que celle-ci résulte plutôt d'un concours de circonstances. Bien entendu, ce que je dis de la biographie est aussi valable dans une large mesure de la monographie. Concernant les villes algériennes, le travail monographique est à peine à ses débuts et nous ne connaissons pas de recherche approfondie dans le domaine. L'histoire de nos villes et de nos villages reste à faire et les monographies que les wilayas ont commencé à élaborer, de même d'ailleurs que les communes, constituent une source appréciable bien qu'elle ne soit pas toujours facile d'accès. La aussi s'ouvre un large espace de recherche qui est en relation avec la question identitaire surtout lorsqu'on pense à la complexe problématique de la toponymie algérienne. C'est dire que tout ce qui concourt à rendre plus visible le champ intellectuel de notre pays contribue à une meilleure connaissance de la société et des hommes et donc, à mieux maîtriser notre avenir.
Alors pour répondre à votre question : encyclopédiste ? Oui, si vous y tenez mais alors concernant le domaine Algérie. Ou du moins une partie de ce domaine qui, du reste, est assez vaste et demeure inexploré.
Avec la douzaine de dictionnaires que j'ai publiés jusqu'à présent, l'Algérie dispose d'une banque de données appréciable et quasiment unique de ses élites : les musiciens, les écrivains, les hommes politiques, les artistes peintres, les cinéastes et comédiens. Ce sont des références pour les étudiants et pour tous ceux qui s'intéressent à l'Algérie. D'ailleurs, j'aimerais bien appliquer le même concept (dictionnaire encyclopédique) à l'ensemble maghrébin et à l'aire arabo-musulmane.
Ajoutons encore un mot sur cette question et rappelons que l'émergence de «l'esprit encyclopédique» en Europe, a été une véritable révolution intellectuelle. Je pense notamment à l'Encyclopédie animée par Diderot parue en 1751 et qui traite des sciences, des arts et des métiers. Un tel ouvrage, le plus vaste, le plus utile qu'on ait jamais conçu, œuvre de gens de lettres et de philosophes, a été reçu comme un scandale par les autres corps, tout aussi respectables, que les magistrats, les religieux, les hommes politiques qui y ont vu une sorte de «complot» contre «leurs» propres savoirs, trouvant l'idée de rassembler en un corps, et de transmettre à la postérité le dépôt de toutes les sciences et de tous les arts, tout simplement inacceptable. Diderot et ses amis ont été accusés de tous les maux et notamment de vulgaires plagiaires. Aujourd'hui, l'encyclopédie est le summum de toute élaboration intellectuelle dans des sociétés confiantes en elles-mêmes. Or, dans notre pays, nous avons les compétences nécessaires mais il me semble qu'il manque le consensus indispensable autour de l'identité du projet culturel à construire. D'où peut-être cette difficulté justement à s'engager pleinement dans l'élaboration d'une encyclopédie algérienne qui fasse le point des connaissances sur notre pays dans tous les domaines et à travers toutes les époques, avec une orientation résolument moderne.
A la lumière du travail que vous avez effectué, que peut-on dire des élites algériennes à travers le temps ?
La réponse est quelque peu délicate. D'abord, parce que je n'ai pas essayé de théoriser. Et le fait que mon travail ait embrassé une époque aussi vaste, s'étendant sur deux millénaires, requiert une réponse raisonnée qui ne saurait s'accommoder de généralités et dont je ne dispose pas vraiment de tous les éléments.
J'ai travaillé de façon empirique. Au fur et à mesure que je me documentais sur les questions qui m'intéressaient. Il y a des travaux qui ont été menés par des chercheurs algériens et non algériens sur les élites algériennes, à un moment donné de l'histoire, durant la colonisation notamment. Cela dit, on peut livrer ici quelques observations ou quelques impressions sur le sujet, en partant du travail que j'avais fait et qui concerne les biographies des élites politiques, intellectuelles ou artistiques. Par exemple, à propos de l'élite politique, on constate que la majorité de ceux qui ont occupé les postes les plus élevés au sein du mouvement national avant l'Indépendance ou de l'Etat après l'Indépendance n'est pas issue du système éducatif moderne ; que le personnel politique est promu beaucoup plus par cooptation que par l'élection. La légitimité n'est pas élective mais «révolutionnaire» jusqu'à récemment. Et s'il vrai que l'on ne parle plus de la «légitimité révolutionnaire», on est encore très loin de la «légitimité démocratique». Concernant l'élite artistique par exemple, on relève le modeste niveau scolaire de nos interprètes, musiciens et compositeurs. Très peu ont fréquenté les conservatoires ou les grandes écoles musicales. Il en est de même pour les autres disciplines comme le théâtre, le ballet, le cinéma. Ce qui donne aux champs politique et artistique une caractéristique propre, celui d'être continuellement en crise….de compétence et de…légitimité. Ce qui est également porteur de facteurs négatifs alimentant la régression. Ceux qui font la littérature viennent de deux institutions maîtresses : l'éducation et les médias. Depuis les années vingt du XXe siècle jusqu'à l'Indépendance et même après, le duo enseignants-journalistes domine le champ de la création littéraire. Sur ce denier plan, on peut dire qu'il y une poussée créatrice et rénovatrice, tant au plan de l'écriture que de la thématique, mais qui demeure réduite par l'étroitesse du champ éditorial. Quand on évoque nos essayistes, on pense à certains d'entre eux, comme Malek Bennabi et Mostefa Lacheraf, et rarement à M'hamed Boukhobza, à Houari Addi et Mohamed Arkoun. Les uns comme les autres sont très peu connus au sein de la population estudiantine et leurs œuvres ne bénéficient pas de recherches et d'enseignement. Il me semble que l'étude de la pensée philosophique et politique occupe une place marginale dans notre système éducatif.
Généralement, les élites se composent de tous ceux qui détiennent une fortune, un pouvoir ou un savoir et qui jouissent d'une position sociale élevée. Une analyse sérieuse ne se limiterait pas à énoncer des critères qui peuvent être lus comme exclusifs les uns par rapport aux autres, comme l'éducation, la fortune, l'alliance matrimoniale, l'apprentissage culturel, l'exercice d'une fonction. C'est plutôt la combinaison de ces critères qui est à même de donner un sens au concept de l'élite et de son opérabilité. De même qu'au sein de l'élite, il existe une hiérarchie et une série de gradations qui sont autant de lignes de clivages pas toujours faciles à percevoir. De manière plus prosaïque, il est difficile de répondre à la question par exemple : comment devient-on ministre ou wali ? Est-ce grâce au savoir acquis sur les bancs des universités, à la compétence acquise sur le terrain, à l'alliance avec des gens ou des familles puissantes, à l'appartenance d'un clan ou d'un réseau….
Ce qu'on observe dans notre pays, c'est qu'il est plus facile de faire partie de l'élite que de se maintenir. La plupart accède au statut de l'élite par la promotion à une fonction. La personne perd tout en perdant la fonction qu'elle exerce. D'où l'acharnement à tout faire pour y rester et se maintenir coûte que coûte. Ceci est valable surtout en politique. Nos hommes politiques ont tendance à percevoir leur fonction comme une carrière (et une allégeance à l'homme fort du moment) et non comme une mission provisoire dont la longévité dépend avant tout de la consultation citoyenne. On peut évidemment formuler la même observation concernant les partis politiques qui ne sont pas vraiment des institutions intellectuelles productrices d'idées et de programmes, mais des regroupements autour de réseaux d'intérêts souvent occultes. La mobilité de leurs éléments et la facilité avec laquelle l'encadrement fait allégeance à d'autres cercles ou à d'autres clans expliquent leur fragilité et leur ancrage superficiel dans la société.
Peut-on parler à l'heure actuelle, de l'existence d'une intelligentsia algérienne ?
L'intelligentsia algérienne existe bien sûr. D'ailleurs, toute société possède sa propre intelligentsia. Le problème réside dans sa capacité d'orienter la société et de son articulation par rapport aux autres pouvoirs et si elle-même se présente comme un corps relativement cohérent ou au contraire comme un ensemble fragmenté.
Traditionnellement c'est l'école qui forme les élites. Or, aujourd'hui l'école algérienne est entrée en crise, dans le prolongement d'une crise sociale plus profonde, et la course aux diplômes s'apparente à une fuite en avant du fait que les diplômes ne sauvent plus les diplômés du chômage. Cette crise se manifeste par le taux élevé du chômage des universitaires et l'exil des compétences qui s'accroît. La chose est d'autant plus grave lorsque c'est l'Etat qui finance en partie cet exil en accordant des bourses de formation à l'étranger tout en sachant que les bénéficiaires ne reviendront pas au pays.
L'élite algérienne me paraît aujourd'hui fragmentée, marginalisée ou instrumentalisée et bien isolée et incapable d'avoir une image sereine d'elle-même et encore moins d'une vision lucide quant au présent et à l'avenir du pays. Aussi, la relève se fait certes, mais de façon toujours aussi heurtée, imprécise, problématique, en littérature comme en cinéma, en théâtre comme en politique. Le champ intellectuel en voie de recomposition permanente n'offre pas, pour le moment une visibilité satisfaisante et la connaissance, devenue un enjeu planétaire, n'est pas encore au cœur de notre développement.


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