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«Aït Menguellet est un observateur attentif et vigilant de notre époque»
Entretien avec l'écrivain Amar Abba :
Publié dans Le Soir d'Algérie le 27 - 05 - 2021

Né en 1948 à Ighil Mahni, dans la région d'Azeffoun, Amar Abba est diplomate de carrière. Il a également animé plusieurs émissions culturelles à la Chaîne II de la Radio algérienne. Son livre Inig. Voyage dans l'œuvre poétique de Lounis Aït Menguellet, préfacé par Yasmina Khadra, est paru dernièrement aux éditions Frantz-Fanon.
Le Soir d'Algérie : Vous êtes diplomate de carrière et avez été ambassadeur dans plusieurs grandes capitales. Quel type de relations avez-vous eu avec la littérature et les arts algériens ?
Amar Abba : C'est une relation permanente : le diplomate doit s'informer de la vie culturelle de son pays — lire ses écrivains, écouter ses musiciens, voir les tableaux de ses peintres —pour pouvoir en parler et, si possible, les faire connaître dans le pays où il exerce. La culture exprime un pays. Sur place, l'ambassadeur d'un pays a le devoir, en tant que représentant de son pays, de tout son pays, d'être au moins présent lorsque se déroule une manifestation culturelle impliquant des artistes algériens dans le pays d'accréditation afin de les rencontrer et d'échanger avec eux sur leur travail, les conditions de leur séjour et leurs projets. Il doit, quand il ne peut pas le faire personnellement, y déléguer un de ses collaborateurs. Le mieux, évidemment, est d'organiser soi-même des évènements à caractère culturel. À titre d'exemple, durant la décennie noire, j'étais à Athènes et j'ai encouragé la traduction en grec du roman Les Vigiles de Tahar Djaout, qui venait d'être assassiné. Quand la traduction fut disponible, j'ai organisé une réception à l'ambassade pour lancer la version grecque de ce roman et saisir cette occasion pour sensibiliser les invités (journalistes, hommes de culture et artistes grecs) sur la tragédie dont étaient victimes nos artistes.
En dehors de cela, j'ai eu le privilège de rencontrer beaucoup d'hommes de culture algériens dans l'exercice de mes fonctions. Il faudrait, toutefois, préciser que tout dépend de la capitale où vous exercez. Il est vrai que lorsque j'étais à Dar Es-Salam, en Tanzanie, je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer beaucoup d'hommes de lettres ou d'artistes algériens, et pour cause : il n'y en pas et il n'en passe pas sous ces latitudes. Mais le diplomate peut au moins en parler autour de lui. La culture est importante. D'abord pour elle-même, parce qu'elle participe à la diffusion et à l'apprentissage du beau et qu'elle apprend à l'homme à être meilleur. Elle est importante également parce que la littérature, la culture font partie du soft power d'un pays, de son pouvoir de séduction et d'attraction. Je dois dire que l'Algérie n'accorde malheureusement pas suffisamment d'importance à son soft power, qui pourrait être énorme, s'il était exploité : profondeur historique, résonance de notre lutte de libération, patrimoine archéologique immense, beauté de nos paysages, richesse et diversité de notre musique, de notre cuisine, de nos costumes. Certes, les exportations hors-hydrocarbures sont vitales pour notre avenir, mais la culture peut beaucoup pour le prestige et l'image d'un pays et même pour son économie. C'est vrai, il y a eu récemment la création de l'Agence algérienne de rayonnement culturel (Aarc). C'est une excellente initiative, un pas dans la bonne direction. Mais l'Agence doit être dotée de moyens suffisants pour mieux s'acquitter de sa tâche. Je me rappelle d'une initiative originale dans les années 80 : un bateau algérien, sur lequel ont embarqué plusieurs artistes, a sillonné la mer Méditerranée et jeté l'ancre dans plusieurs ports, permettant à nos artistes de s'y produire et de faire connaître à nos voisins de la mare nostrum quelques facettes de notre riche patrimoine. C'est vrai que la décennie noire est passée par là et a bouleversé pas mal de choses.
Quand est-ce que a eu lieu chez vous le déclic pour Lounis Aït Menguellet et sa poésie ? Pourquoi Aït Menguellet et pas un autre artiste ou écrivain ?
Le déclic, comme vous dites, a eu lieu réellement au milieu des années 70, lorsque sa poésie avait enregistré un saut qualitatif remarquable par sa qualité littéraire et la puissance de son image poétique. C'était le temps de A thin ighaben am yitri, Igenn-im, Tessedlemdi-yi. C'était l'époque de sa jeunesse où sa production artistique traitait quasi exclusivement du sentiment amoureux. Mon intérêt s'est accru, notamment, à partir des années 80, quand Lounis Aït Menguellet a commencé à enrichir son répertoire par d'autres préoccupations comme la démocratie, l'identité ou la dénonciation de l'autoritarisme. Le choix de parler de ce poète plutôt que d'un autre tient à de nombreuses raisons : essentiellement à la puissance et à la richesse de son verbe, au fait que c'est un observateur attentif et vigilant de notre époque et un révélateur impitoyable de nos tares et de nos faiblesses. Qu'il a un impact significatif sur la société.
Au fait que j'ai bien suivi son parcours, sur plus d'un demi-siècle. Egalement parce qu'il a réussi à intéresser les nouvelles générations au patrimoine culturel des anciens, en le renouvelant. Cela tient, enfin, à l'extrême variété des thèmes qu'il a abordés, souvent de façon humaniste et universelle.
Votre livre aborde plusieurs aspects de l'œuvre poétique de Lounis Aït Menguellet : identité et culture, amour, politique, émigration, etc. Lequel de ces aspects vous semble le plus déterminant dans la vie de l'artiste ?
Je crois que c'est une question qu'il faut poser à Aït Menguellet lui-même. Le thème qui est important dans sa vie, il est le seul à le savoir. À cet égard, les artistes, quand ils sont interrogés sur leurs préférences parmi leurs productions, répondent en général qu'ils aiment tout ce qu'ils ont produit, de la même manière qu'ils aiment tous leurs enfants et parce qu'il leur est difficile de distinguer parmi eux. On peut aussi dire que chaque thème est déterminant à un moment particulier de la vie de l'artiste. Le sentiment amoureux était fondamental durant les dix premières années de la carrière du poète, et c'est normal, c'était sa jeunesse (Aït Menguellet avait entre 17 et 27 ans). Puis, à partir de là, il s'est éveillé à la chose politique, à la situation de son pays, c'est normal aussi, c'est l'âge des responsabilités. Avec l'âge mûr sont venues les interrogations sur la condition humaine, ses joies et ses peines, sur le bien, le mal, la force et la fragilité de l'homme ici-bas. C'est tout simplement la vie. Il y a quelque chose de différent à écrire à mesure que se tournent les pages de cette vie.
Qu'avez-vous remarqué et apprécié particulièrement chez Lounis Aït Menguellet, l'homme, le chanteur, le poète ?
Tout : l'homme, le chanteur, le poète. Mais peut-on séparer l'homme de son œuvre ? Difficile. L'œuvre parle de lui, elle parle pour lui. Mais pour vous répondre, je peux dire, côté homme, que nous nous sommes croisés plusieurs fois depuis les années 70, mais que nous nous connaissons assez peu. Nous avons eu, cependant, de bonnes discussions durant l'écriture de cet ouvrage. Je peux dire que j'apprécie sa pondération, sa sagesse, sa modestie, le fait qu'il refuse d'être un montreur de conduite, le fait que les critiques qu'il adresse à ses contemporains, il les adresse d'abord à lui-même. J'aime aussi son humanisme et son ouverture d'esprit. Côté chanteur, j'aime bien sûr sa voix et sa musique. J'aime son sérieux, son professionnalisme et sa proximité avec son public, auquel il a d'ailleurs dédié récemment une chanson (i waggad-iw, aux miens). Côté poète, je l'ai dit, j'apprécie la grande qualité littéraire de ses textes, la puissance de sa poésie et l'universalité de son message.
On sait que Lounis Aït Menguellet et Yasmina Khadra sont amis. Les deux le disent publiquement. Pourquoi et comment avez-vous choisi comme préfacier Yasmina Khadra alors que, à notre connaissance, il ne connaît pas le kabyle et, par conséquent, ne comprend pas nécessairement la poésie d'Aït Menguellet ?
Cela a été très simple. C'est précisément parce que je connaissais la relation entre Lounis Aït Menguellet et Yasmina Khadra que j'ai songé à ce dernier pour la préface de mon livre. J'y ai songé parce que je savais que cette relation était solide et qu'elle se caractérisait par le respect et l'estime réciproques. Et, ce qui ne gâche rien, j'aime beaucoup Yasmina Khadra comme écrivain. C'est un conteur et un styliste formidable qui fait honneur à notre pays à l'étranger. Maintenant, le fait qu'il ne comprenne pas le kabyle est, pour moi, assez secondaire.
D'abord, il y a des traductions des textes de Lounis depuis au moins les années 80. Ensuite, Yasmina Khadra le dit lui-même : «Si je ne comprends pas la langue dans laquelle il déploie la magie de son verbe, j'en perçois nettement l'émotion.»
Personnellement, on peut aimer Garcia Lorca ou Pablo Neruda même si on ne comprend pas l'espagnol et Nazim Hikmet même si on ne comprend pas le turc. Il faut se méfier des ghettos et se garder de toute tentation d'enfermer la culture amazighe entre quatre murs. Car, comme disait Mammeri, «il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu'ils stérilisent, c'est sûr». Il faut, au contraire, ouvrir tamazight à l'universel. Un artiste comme Idir l'a fait, sur le plan musical. Aït Menguellet le fait par ses textes. Un dramaturge comme Mohia l'a fait par des pièces de théâtre qu'il a brillamment adaptées d'auteurs français (Molière), italiens (Pirandello), irlandais (Samuel Beckett), allemands (Bertholt Brecht) et même chinois (Lu Xun).
Vous avez été élève au cours de berbère de Mouloud Mammeri et animateur à la radio Chaîne II dans les années 70. Un peu plus de détails sur cette période et sur l'auteur de La colline oubliée ?
C'est une période, en fait, un peu plus longue. On peut même parler d'une vingtaine d'années, entre 1965 et 1985. C'était une période, à vrai dire, paradoxale : il y avait une vraie vie culturelle nationale et une vraie ouverture culturelle sur le monde. C'était l'époque où l'Algérie était leader du tiers-monde et Alger recevait des troupes artistiques du monde entier, des pays d'Europe de l'Est, d'Afrique, d'Amérique latine et en envoyait de nombreuses à l'étranger. C'était l'âge d'or du cinéma algérien (L'opium et le bâton, Chronique des années de braise, Omar Gatlato...), des journaux (Algérie Actualité avec les signatures de Tahar Djaout, Mohamed Balhi, Ameziane Ferhani, Mustapha Chelfi, Abdelkrim Djaad...) et des revues culturelles de qualité (y compris une spécialement pour le cinéma, Les deux écrans de Abdou B.).
C'était l'époque du développement de la BD algérienne, phénomène unique dans notre aire géographique, des émissions de télé de grande qualité (Télé Cinéclub d'Ahmed Bedjaoui). Cependant, c'était le temps du parti unique et une période de verrouillage politique sévère.
De plus — et même si la question de la langue a enregistré des progrès indéniables depuis quelques années —, les années 70 étaient une période d'occultation totale de la dimension amazighe de l'identité et de la culture algériennes ainsi que d'entraves nombreuses à son épanouissement : surveillance étroite de la Chaîne II de la radio, limitation de la puissance de son émetteur, interdiction à partir de 1973 du cours de berbère à l'université, qui était pourtant informel, non intégré dans les programmes et insignifiant en volume horaire, pas d'édition de livres et pas de films en tamazight (le premier film en kabyle, La colline oubliée, ne sortira qu'en 1997 !), les autorités ne permettront même pas que L'opium et le bâton, sorti en 1971, soit doublé en kabyle, alors qu'il aurait été normal qu'il soit produit directement dans cette langue. Face à ce phénomène d'occultation s'est développé, notamment à l'université, et plus particulièrement à la cité universitaire de Ben Aknoun, un mouvement culturel berbère dynamique qui militait pour la reconnaissance de cette culture, mouvement qui, malgré la répression du régime, s'est construit avec conviction et de manière toujours pacifique.
Des hommes de culture comme Mouloud Mammeri et Kateb Yacine ont joué un rôle majeur dans la genèse de cette prise de conscience. Mouloud Mammeri était un intellectuel intègre, doté d'une grande culture humaniste. Il était d'un tempérament calme et d'un humour pointu. Il préférait le travail de fond et la production à l'agitation. Il était également un pédagogue hors pair. D'où le succès de son cours. Ma période à la radio était très enrichissante. Je venais de terminer mon service national à l'intérieur du pays et travaillais déjà au ministère des affaires étrangères.
L'ambiance à la radio était mitigée : il y avait un groupe de jeunes producteurs, dont beaucoup étaient universitaires, qui étaient enthousiastes et heureux d'apporter leur contribution à la renaissance de tamazight. J'ai présenté, avec deux amis, un magazine culturel hebdomadaire ; j'ai animé une émission incitant les auditeurs à la lecture dans laquelle je faisais chaque semaine le compte rendu d'un livre. De nouveaux termes amazighs faisaient leur apparition.
Les auditeurs appréciaient. Mais la censure était là et les rappels à l'ordre pleuvaient sur tous ceux qui dépassaient les bornes culturelles — ne pas trop parler de langue mais de dialecte, ne pas trop parler d'histoire — ou pire, les bornes politiques — le régime, le système de parti unique. Le poète et animateur Benmohamed était le champion toutes catégories des émissions interdites.
Entretien réalisé par
Kader B.


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