Interview r�alis�e par Tayeb Bouamar Slimane Bena�ssa, com�dien, auteur et metteur en sc�ne, n�a rien perdu de sa verve. En d�pit de l�exil, des al�as et des vicissitudes du m�tier de toutes sortes, il est rest� �gal � lui-m�me. Son regard sur la soci�t� est d�une lucidit� implacable. Le verbe alerte et corrosif, il est rest� pareil � son personnage, Boualem Zid El-Goudam, un artiste convaincu et d�un humanisme � fleur de peau. Il parle ici de son itin�raire, de ses �uvres et du discours social f�d�rateur du peuple. Confidences d�un com�dien-po�te. Le Soir d�Alg�rie : Vous allez vous produire ce soir sur la sc�ne du Th��tre r�gional Kateb-Yacine de Tizi-Ouzou. Quel effet cela vous fait ? Slimane Bena�ssa : C�est un grand plaisir de repasser � Tizi- Ouzou. Il y a un lien entre le public tizi-ouz�en et moi depuis tr�s longtemps. En plus c�est le th��tre Kateb-Yacine du nom d�un compagnon et d�un complice. �tre � Tizi ne se justifie pas, c�est l��vidence m�me. Votre pi�ce Babor Aghraqa �t� mont�e � Tizi ; elle a eu un succ�s rarement �gal�... Babor Aghraq, comme vous le dites, a eu un impact culturel certain, impact tel qu�on en demande � une pi�ce de th��tre exceptionnelle pour des raisons historiques. Nous �tions au rendez-vous de l�attente du public, l�histoire de l��poque fut singuli�re, notre �volution dans le m�tier aussi. Le succ�s de Babor Aghraq est un tout. Ce fut l�aboutissement de l�exp�rience de 10 ans de pratique th��trale. Les circonstances dans lesquelles elle a �t� jou�e furent exceptionnelles. Quand on dit dans notre spectacle : Ana, jeedi, c�est le citoyen qui se d�finit face au pouvoir. Le plus subversif ce n��tait pas de d�fendre tamazight mais plut�t l�affirmation de soi face � tout. Puis ce fut l�exil durant les ann�es 1990, comment avez-vous avez-vous v�cu �a ? Dans Babor aghraq, j�avais d�j� annonc� le 5 Octobre. Par la suite Rak khouya ou ana chkoune ?a essay� d�expliquer toutes ces raisons. Pourquoi on est arriv� � cette situation. La d�marche est compl�tement invers�e. Nous avions grandi dans le th��tre, mais nous voil� face � une nouvelle �preuve, face au parti unique qui avait subtilis� les espoirs n�s du 5 Octobre tout en faisant semblant d�accepter l�ouverture. Ce que le pouvoir a consenti � ouvrir, d�autres essayaient de le fermer. Il y a eu aussi Au-del� du voile, une version en fran�ais de Rak khouya ou ana chkoune. A-t-elle connu la diffusion n�cessaire ? La pi�ce a b�n�fici� d�une tourn�e europ�enne et jusqu�� avril dernier, elle se jouait encore. Elle a �t� tr�s bien accueillie ; la composante franco-maghr�bine a eu du plaisir � se produire. Vous savez, la confirmation en exil est dure, le probl�me est : que faire ? On ne choisit pas l�exil, c�est un fait accompli surtout dans le domaine artistique. Il faut se reconstruire totalement face � une autre r�alit� tout en gardant sa propre continuit� et rester soi-m�me. Ceux qui ont r�ussi, ce sont ceux qui sont rest�s eux-m�mes. D�autres ont �t� fourvoy�s par les m�dias comme s�ils �taient des artistes de l�bas. L�universalit� elle-m�me d�marre de quelque part, chacun a sa dimension universelle. Nous sommes tous humains, mais avec des cultures diff�rentes, c�est tout. Slimane Bena�ssa c�est surtout la verve populaire... Est-ce que vous vous situez dans un th��tre des po�tes ? Il n�y a point de th��tre sans po�sie. La litt�rature d�une pi�ce de th��tre est imparfaite si elle ne reproduit pas le discours du quotidien. C�est une litt�rature au sens propre. Il se trouve que l�arabe dialectal, celui du peuple, est une langue plus accessible. Il a besoin d��tre investi par la cr�ation. Nous cr�ateurs avons besoin d�une langue riche pour dire tout ce qu�on a � dire. Notre position est telle qu�il faut cr�er une langue pour cr�er un th��tre. A propos, votre dernier spectacle El-Mouja wallat emprunte au barde et au r�cit un verbe certain, est-ce cela le couronnement de tout un acte de dire ? Nous vivons une �poque o� le public a besoin d�une vraie parole qui se dise dans la grandeur et dans l�enthousiasme qu�il faut. Aujourd�hui, on souffre du manque d�une parole sociale. Il n�y a pas de discours social qui puisse unifier ce peuple d�o� la sensation du vide, El-Mouja wallat n�est ni plus ni moins que ce discours f�d�rateur � travers la m�moire collective . Voil� ce que nous sommes, voil� ce qu�on a v�cu, tout cela sans tricherie mais avec une justesse au sens juridique et au sens politique du terme. D�o� cet imp�ratif de la construction de soi. On peut �tre d�accord ou pas, le probl�me c�est de se dire : je suis �a ou je ne suis pas �a . El- Mouja wallat cl�ture un th��tre, une recherche identitaire, la construction identitaire dans des circonstances politiques dangereuses. Trouver un lien entre un p�re d�g�n�r� et une jeunesse perdue, c�est compliqu�. Par le pass� la n�gation identitaire �tait par rapport au colonisateur, de l�ext�rieur pour notre g�n�ration c�est interne. Prenez Frantz Fanon, lui, oui. En 1953 d�j�, il disait des choses extraordinaires et explosives. Nous avons �t� dirig�s par des enfants du peuple r�el. Un dirigeant qui a peur du peuple sait tr�s bien d�o� il vient. Les angoisses de nos gouvernants sont des angoiss�s authentiques face au peuple. Un PDG fait son boulot, un point c�est tout. Un roi est form� pour �tre un roi. Un dirigeant n�est pas analphab�te par son niveau scolaire mais par son ignorance � diriger. Il faut lui conc�der que le r�gime tel qu�il est organis� ne l�aide pas, mais plut�t lui complique la t�che. Revenons � l��criture, la mode aujourd�hui est aux �reprises� et aux �r��critures� du coup peu de cr�ateurs ont droit de cit�. Qu�en pensezvous ? L�Alg�rie a capitalis� une exp�rience notoire, malheureusement tout cela n�a pas �t� transmis aux jeunes g�n�rations. Il y a eu une rupture violente. On ne s�improvise pas auteur ou metteur en sc�ne. Il y a des �coles. Cela s�apprend. Il faut fructifier les exp�riences de Alloula ou Kateb. Ce n�est pas simple de tout inventer. On peut dire la m�me chose de la chanson cha�bi, on n�a pas pass� le relais aux jeunes et pourtant le legs d�El-Anka � titre d�exemple est immense. C�est comme si apr�s la d�cennie noire on voulait tout d�marrer � z�ro. Mais o� va-t-on ? Un bon th��tre r�sout des probl�mes, un mauvais th��tre provoque des d�g�ts, th��traliser une soci�t� peut �tre th�rapeutique comme il peut �tre d�primant. Votre c�l�bre tirade vous colle toujours � la peau, l��coute est parfois telle que votre public fait abstraction du reste du spectacle. Qu�en dites-vous ? Au th��tre, je ne suis pas dans un d�cor. J�opte pour l��l�ment dont j�ai besoin pour pendre la parole, construire des choses qui puissent para�tre �videntes m�me si elles sont d�une abstraction terrible, si ce n�est pas �vident, croyez-moi le public ne marche pas.