Par Hassane Zerrouky Au moins trois faits sont à retenir de l'élection présidentielle tunisienne. Le premier est que les Tunisiens n'étaient pas appelés à se prononcer entre un projet islamiste et un projet républicain et moderniste. Cette question a été réglée par la Constitution adoptée le 26 janvier dernier où l'Islam n'est pas constitutionnellement «la religion de l'Etat» et où la Charia n'est pas la «source de la législation» comme l'avaient proposé Ennahdha et ses alliés. Elle a été également réglée par les élections législatives du 26 octobre qui ont vu Nidaa Tounès (le parti de Beji Caïd Essebci) devancer Ennahdha, et l'émergence d'une troisième force, de gauche, le Front populaire. Le second est que cette élection, qui s'est déroulée sans incident majeur — le terrorisme tant redouté n'a pas eu lieu – intervient une année après l'adoption de la Constitution évoquée ci-dessus, et un mois après des élections législatives réussies, remportées d'ailleurs par Nidaa Tounès. De ce fait, cette présidentielle est un évènement historique majeur. Personne n'aurait imaginé il y a moins d'un an que la Tunisie aille jusqu'au bout de la transition démocratique enclenchée après la chute du régime Ben Ali en janvier 2011. Le pays a été le théâtre de violences islamistes, d'assassinats de deux dirigeants du Front populaire en 2013 et d'attaques terroristes contre les forces de sécurité. A sa frontière est, la crise libyenne menaçait de déborder. Entre les deux tours du scrutin présidentiel, Kamel Zerouk, membre du groupe djihadiste Ansar Charia, basé en Libye, ayant fait allégeance à Daesh, avait annoncé dans un enregistrement vidéo son «retour» pour conquérir la Tunisie en quelques jours ! La menace, en tout cas, a été prise au sérieux, puisque le dispositif sécuritaire a été revu à la hausse et les postes frontières avec la Libye fermés. Dans l'ouest, l'armée a bombardé des groupes islamistes basés sur les monts Chaâmbi entre samedi et dimanche derniers. En toile de fond de cette situation sécuritaire, la Tunisie est confrontée à une sévère crise socioéconomique. Malgré cela, le pays a pu éviter le sort de la Libye engluée dans une guerre civile depuis la mort de Kadhafi, et celui de l'Egypte où l'armée a destitué le Président élu Morsi en juin 2013. Le troisième fait méritant d'être relevé, c'est Moncef Marzouki qui a reconnu sa défaite et félicité Beji Caïd Essebci. C'est unique et sans précédent dans le monde arabe et maghrébin. Il aurait pu crier à la fraude, appeler ses partisans et ses électeurs à descendre dans la rue comme l'escomptaient certains milieux islamistes. Il ne l'a pas fait. Il est parti la tête haute avec les honneurs. Quant aux raisons de sa défaite, elles tiennent à plusieurs facteurs. Devancé lors du premier tour de l'élection présidentielle – six points le séparaient d'Essebci – Moncef Marzouki, malgré une campagne dynamique, n'a pas réussi à faire basculer le rapport de force en sa faveur. La présence de son épouse française et, parfois de sa fille, à ses côtés, pour donner une image de modernité, n'a pas réussi à effacer son compagnonnage avec les islamistes d'Ennahdha et le Qatar. Et de ce fait, ses attaques contre le «retour de l'ordre ancien» qu'incarnerait Caïd Essebci, et les critiques sur l'âge de son rival, n'ont pas convaincu. Qui plus est, de nombreux Tunisiens, surtout les femmes, lui reprochaient son manque de fermeté au plus fort des violences islamistes contre les manifestations artistiques, voire de dédouaner les islamistes lorsqu'il avait tenté d'imputer les premiers actes terroristes à des «forces étrangères» cherchant, selon lui, à casser le «printemps tunisien». Mardi, il a annoncé la création d'un «mouvement du peuple citoyen» visant à empêcher le retour à la dictature, allusion aux anciens caciques du régime de Ben Ali ayant rejoint Nidaa Tounès, et qui rêvent de revanche sociale. Pour Beji Caïd Essebci, les choses sérieuses commencent. L'anti-islamisme ne peut tenir lieu de programme. Des dossiers brûlants l'attendent : une économie en panne, un chômage et une pauvreté en hausse et une menace terroriste persistante. Et, préserver les libertés chèrement acquises.