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Tableau de bord (1re partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 09 - 2015

Le tableau de bord du pays regroupe deux types d'indicateurs, certains relevant de l'écosphère, d'autres de la noosphère. Si les uns peuvent paraître déterminants ou structurants sur le long terme, les autres semblent conjoncturellement surdéterminants.
I. Dans l'écosphère à laquelle se rattachent les activités de production, de distribution et de consommation, la lame de fond obéit à trois fondamentaux : une logique d'économie de comptoir ; une logique distributive ; une logique «d'économie de la brique».
1. Une logique d'économie de comptoir
L'économie algérienne est peu productive, exportatrice de rente et extravertie.
Etymologiquement, un comptoir est un territoire en pays étranger destiné à favoriser le commerce du pays dominant ce territoire. C'est ce qu'on pourrait appeler, par ailleurs, un marché captif.
Ces territoires ont existé, par le passé, en Afrique occidentale pour la traite des Noirs et le commerce du coton, et en Inde (Pondichéry et Chandernagor) pour les épices.
On les retrouve aujourd'hui sous d'autres formes et pour d'autres produits. C'est le cas des hydrocarbures pour l'Algérie : ils représentent 46% du PIB (10% agriculture, 5 industrie, commerce et services) et 98% des exportations.
La capture de la rente obéit à un schéma général de dépendance qui va changer de mains et de maîtres, d'une part, de formes après la période coloniale, d'autre part.
On passe du «modèle impérial» dans lequel les anciennes puissances coloniales se partageaient territoires et ressources en abondance, au modèle «semi-colonial» au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, «dans lequel les compagnies pétrolières exploitent les réserves d'Etats indépendants mais à la souveraineté limitée»(1).
«Nous faisons l'hypothèse que la rente pétrolière a permis de satisfaire un besoin de domination dont la formation remonte à l'occupation coloniale.»(2)
A l'ombre de cette économie de comptoir, proche du mode de production asiatique (ressource rare + état fort(3)), l'évolution économique de l'Algérie peut être ramenée à trois grands moments, associés à quatre chocs pétroliers.
- La première période qui couvre les années 1973-1986 a pour organes de régulation, les services de sécurité, seule force organisée : «Dépourvues d'institutions politiques suffisamment consolidées, c'est-à-dire susceptibles de gérer cet afflux de revenus, les révolutions nationales socialistes ont été mises sous la tutelle d'officines de sécurité.»(4)
- La seconde période qui s'étale de 1986 à 1992 (à l'exception notable des 18 mois du gouvernement des réformes conduit par Mouloud Hamrouche), est qualifiée de «période de pénurie où les maffias ont assumé par défaut le rôle d'institutions modératrices».
Le contrechoc pétrolier se produit en effet dans un contexte de réformes qui ont favorisé la naissance de «régimes maffieux caractérisés par une économie de pillage».
- Par la suite, la décennie noire et les années de terrorisme (1992-1998) vont faire table rase des «acquis» sociaux : «La rente pétrolière a créé une dynamique de développement qui s'arrête brutalement. Ne restent plus que des biens vacants usurpés, terres agricoles détournées et investissements publics pillés. Même la rente pétrolière, seule source de revenus disponible, va rapidement devenir l'objet d'un pillage organisé et structuré, dans le cadre d'un "capitalisme d'Etat" et au profit d'une "bourgeoisie" qui a investi tout l'appareil d'Etat.(5)»
- Depuis 1999 à ce jour, le poids de la contrainte extérieure sera affecté par des mesures se rapportant au facteur pétrolier et au facteur endettement.
Le facteur pétrolier. Le recours sans cesse croissant à la fiscalité pétrolière pour couvrir la dépense publique, principal moteur de la croissance, est à haut risque. Les revenus générés par la ressource naturelle devraient être investis et non consommés.
S'agissant du facteur pétrolier, la dépendance des hydrocarbures est traversée par les tendances suivantes :
- une baisse constante du volume de production d'hydrocarbures ;
- une augmentation des coûts d'exploitation ;
- des cours erratiques, miraculeusement poussés à la hausse ;
- des acheteurs en difficultés croissantes ;
- l'avènement-surprise du gaz de schiste.
La baisse constante du volume de production d'hydrocarbures est évaluée à 20% depuis 2005 par M. Benachenhou, l'ancien ministre des Finances. Un chiffre contesté par les responsables en poste au niveau du ministère de l'Energie et de Sonatrach qui ne concèdent qu'une baisse de 5% à 6%, unanimement imputée «à la mauvaise loi sur les hydrocarbures de Chakib Khelil qui a bloqué l'élan des investissements étrangers sur notre amont pétrolier avant 2005». Pour clore cette controverse sur les chiffres, on se référera plus sérieusement aux dernières statistiques du FMI pour évaluer la baisse ininterrompue de la production des hydrocarbures : -0.9 en 2007, -3.2 en 2008, -8 en 2009, -2.2 en 2010, -3.3 en 2011.
Depuis, la tendance se confirme. Le secteur des hydrocarbures est en «contraction» pour la septième année consécutive, relevait le FMI en février 2014.
Augmentation des coûts d'exploitation également : le pétrole algérien affiche des coûts d'extraction relativement élevés.
Des cours miraculeusement à la hausse : outre les tensions géopolitiques avec l'Iran, le «printemps arabe» et la demande des pays émergents participent, également, à doper les cours du baril, et ce, malgré les risques de récession en Europe et aux Etats-Unis.
L'accident de Fukushima, qui a entraîné un recours accru au gaz, et le pic de froid actuel, ainsi que les restrictions d'approvisionnement de gaz en provenance d'Algérie, qui limite ses exportations, et du Nigeria, dont des livraisons de GNL ont été annulées, maintiennent les cours du gaz à la hausse. Avec l'entrée en scène de l'Iran, les calculs saoudiens, la récession en Chine et dans d'autres Brics, les données ont changé cette année.
Enfin, en perspective plus proche qu'on ne l'imagine : des acheteurs traditionnels qui râlent contre le coût élevé de leur facture énergétique. L'Espagne, l'Italie, la Grèce sont en crise durable et la France ne semble pas loin de les rejoindre. Or, ils alimentent pour l'essentiel nos réserves de change tirées du gaz.
La renégociation des contrats gaziers a été évoquée par l'ancien ministre des Finances, M. Benachenhou. Le quotidien El Khabar rapportait, dans son édition du dimanche 16 février 2014, la demande de Gaz de France à réviser les accords d'approvisionnement conclus sur le long terme pour conserver la compétitivité du gaz comme source d'énergie en Europe. Citant le numéro 2 de Gaz de France, Jean- François Siriley, le journal y voit une demande d‘abandon des contrats à long terme conclus par les Etats européens avec Sonatrach, Gazprom (Russie) ou Statoil (Norvège) pour les soumettre à des mécanismes de marché sans que leurs prix soient alignés sur ceux du pétrole (comme c'est le cas actuellement au Royaume-Uni).
Gaz de France envisage d'accroître ses réserves de pétrole et de gaz à un milliard de barils, avec accroissement de ses approvisionnements norvégiens. Les clients européens réclament des mécanismes de marché qui rattachent les prix à l'évolution de l'offre et de la demande. Cette perspective favorise des fournisseurs comme le Qatar qui écoule son gaz par des navires géants, et pénalise des pays comme l'Algérie et la Russie.
La différence entre les prix contractuels et ceux pratiqués sur les marchés à terme spot a incité la compagnie italienne Eni à réclamer à son fournisseur norvégien Statoil un dédommagement se chiffrant à dix milliards d'euros. Sonatrach a réagi à la crise par une renégociation de seize contrats portant sur des réductions de quantités fournies estimées à quelque dix milliards de mètres cubes en 2013.
Les gaz de schiste (et le pétrole de schiste de même origine) sont à l'origine de la révolution énergétique américaine à partir de 2008. Des techniques de fracturation hydraulique et de forage horizontal ont permis leur exploitation dans ce pays.
L'innovation technologique, mise en œuvre rapidement dans le contexte favorable des Etats-Unis, a entraîné un effondrement des prix du gaz naturel (un tiers du prix européen), une plus grande indépendance énergétique de l'Amérique du Nord et le début d'un mouvement de relocalisation des industries énergivores vers ce nouveau croissant énergétique, du Texas à la Pennsylvanie.
S'agissant du facteur endettement, et au-delà des chamailleries politiciennes, les incidences des crises des subprimes et de la dette souveraine ont été largement atténuées. Leur impact est insignifiant du fait que notre système financier et bancaire n'est pas fortement intégré dans le système financier international. Selon le ministère des Finances, des mesures anticipatives ont servi de paravent à l'effet de ces crises. Les plus importantes sont :
- le remboursement anticipé de la dette extérieure.
La baisse significative du niveau d'endettement et l'amélioration des rations dette est appréciable : 21,4 milliards de dollars fin 2004, le stock de la dette est passé à 15,5 milliards de dollars fin 2005 pour tomber autour de 5 milliards de dollars fin 2006, soit moins de 5% du PIB et 10% des recettes d'exportations.
Il sera de 4 milliards de dollars en 2008, soit 3,6% du PIB.
Le remboursement anticipé a permis des économies à plusieurs niveaux :
- une économie de près de 2 milliards de dollars au titre des intérêts, des commissions de service de la dette et autres charges ;
- un contournement des avatars habituels liés aux parités monétaires et aux taux interbancaires.
A défaut de remboursement anticipé, les fluctuations des taux de change entre l'euro et le dollar et l'amplification de la charge du poids de service de la dette en rapport avec le relèvement des taux d'intérêt auraient fatalement aggravé l'encours de la dette extérieure.
Au-delà de ces gains financiers, le remboursement anticipé a atténué les conditionnalités attachées au contrôle de performance.
En effet, dans le contexte antérieur de l'ajustement externe, sous l'étroite surveillance du FMI, les objectifs macroéconomiques ne relèvent pas de l'entière responsabilité des centres internes de décision, qu'il s'agisse de leur établissement, de leur suivi ou de leur mise en œuvre.
Les conditionnalités corrélatives au rééchelonnement associent étroitement le Fonds à leur élaboration et leur mise en œuvre.
Le remboursement anticipé autorise le passage du cadre étroit du contrôle de performance à la surveillance ordinaire de l'article IV (un simple devoir annuel d'information).
L'Algérie est aujourd'hui un pays créancier.
Les placements des réserves de change (hors l'or et les DTS) à l'étranger sont sécurisés pour trois raisons majeures :
- parce que les bons du trésor émis par les banques centrales sont des actifs garantis par les Etats et le risque de leur non-recouvrement est quasi inexistant ;
- parce que ces placements ne peuvent subir de perte de change du fait que nos réserves sont libellées dans les monnaies des banques émettrices de ces bons ;
- parce que leur taux de rendement est supérieur au taux d'inflation enregistré dans les principaux pays développés.
On observe enfin un non-recours au placement des réserves officielles de change dans des «fonds souverains».
2. Une logique distributive et peu redistributive
L'économie algérienne est distributive de rente pétrolière et faiblement redistributive de revenus en raison de sa faible fiscalisation.
Les conséquences d'un tel constat, s'il est partagé, sont insoupçonnées : une structure économique marquée par des relents distributifs – au sens où elle favorise la consommation au détriment de la production et de la création de richesses – semble desservir la construction démocratique.
La plupart des pays arabes sont des «Etats rentiers», dans le sens où ils sont fortement tributaires (de 70% à 90% de leur fiscalité) des revenus du pétrole et du gaz (un revenu non mérité). Or, «pas un seul des 23 pays qui tirent l'essentiel de leurs recettes d'exportation du pétrole et du gaz n'est aujourd'hui une démocratie. Et pour de nombreux pays arabes, la malédiction du pétrole ne sera pas levée de sitôt».
«La plupart sont tellement inondés de liquidités qu'ils n'ont pas besoin d'imposer leurs propres citoyens.»
C'est justement là que réside «une partie du problème» car ils ne parviendraient pas à faire aboutir «les attentes organiques de la responsabilité» qui s'expriment dans des Etats lorsque leurs citoyens paient l'impôt(6).
En dispensant du paiement de l'impôt, la rente pétrolière amenuise «la nécessité pour le gouvernement de solliciter le consentement de ses sujets» et «plus le niveau d'imposition est bas, moins est importante la demande de représentation du public». Peut-être que l'acquisition d'une citoyenneté active ne peut se passer de l'impôt comme moyen de socialisation de l'Etat ?
A la logique distributive s'attachent cinq caractéristiques :
a- un régime de croissance tirée par la commande publique ;
b- des effectifs et des salaires croissants de la Fonction publique ;
c- le poids des transferts sociaux ;
d- une efficience sociale relative ;
e- des conséquences lourdes en termes de déficits budgétaires et d'affectation du Fonds de régulation.
a. Une croissance tirée par la commande publique
Le PIB algérien a connu une croissance de :
- 4,5% en moyenne entre 2000 et 2005 ;
- 1,8% en 2006 (en raison d'un fléchissement du secteur des hydrocarbures dû à des travaux de maintenance et à un repli de la demande pétrolière en Europe) ;
- 2,8% en 2011 ;
- et plus fortement encore 3,3% en 2012, grâce à la forte croissance du secteur hors hydrocarbures, tirée par les dépenses du secteur public. Les postes de dépenses pour 2010-2012 témoignent des secteurs qui alimentent l'activité. Ce sont principalement :
- les investissements publics : 39,2% du montant total des dépenses (16,6% du PIB) ;
- la masse salariale : 26,8% des dépenses (11% du PIB) ;
- les transferts courants, dont les transferts sociaux et les subventions : 27% des dépenses (11,4% du PIB).
b. Des effectifs et des salaires croissants dans la Fonction publique
Sur le terme plus long, pour la période 2006-2011, les dépenses inhérentes aux rémunérations et aux transferts sociaux accaparaient 84% de la dépense budgétaire en faveur du fonctionnement. La dépense de fonctionnement a été multipliée par près de trois fois entre 2006 et 2011 (prévision de dépense de fonctionnement, loi de finances complémentaire).
Deux facteurs concourent à cette hausse :
- l'accroissement des effectifs de la Fonction publique : ces effectifs sont passés de 1 296 981 en 2006 à 1 803 393 en 2011 ;
- la revalorisation des salaires et indemnités de la Fonction publique (leur poids dans la dépense de fonctionnement ne cesse de croître, passant de 42% en 2006 à 50% en 2010). Le ratio rémunération/PIB est passé de 7,1% à 11,8%. Cette dépense a la particularité d'être incompressible, au risque de mettre en cause la stabilité et l'ordre public, tout en alimentant les tensions inflationnistes.
L'inflation a atteint 8,9% en 2012 – son plus haut niveau depuis 15 ans – à la suite d'une forte augmentation des dépenses courantes qui a abouti à un excès de liquidités. L'inflation a, néanmoins, ralenti en 2013.
c. Des transferts sociaux colossaux
L'évolution récente de l'économie nationale obéit, par ailleurs, à un régime de croissance fortement marqué par le poids des transferts sociaux. La lourde masse des transferts sociaux représente l'indicateur le plus marquant de l'échange de la paix sociale contre la distribution de rentes. Les transferts sociaux ont été multipliés par cinq entre 2000 et 2011 pour atteindre 1 898 milliards de dinars, 13,9% du PIB. C'est le dernier épisode d'une politique sociale jamais démentie.
Evolution des transferts sociaux entre 2006 et 2011 (en milliards de dinars)
d. Une efficience sociale relative
Il reste cependant à s'assurer de la qualité de ces transferts. Leur qualité est démentie par :
- la reproduction d'une population pauvre ;
- un taux de chômage encore élevé ;
- une faible qualité des emplois créés ;
- le poids de l'informel ;
- un déficit de mobilité.
. Le ratio de la population pauvre (en fonction du seuil de pauvreté national, en % de la population) élevé : 22,6% en 1995, contre 12,2% en 1988. Pour la période actuelle, le FMI se montre rassurant : «La croissance économique en Algérie au cours de la dernière décennie a été relativement plus favorable aux pauvres qu'aux riches, en aidant à réduire les inégalités.
Une analyse des données de l'enquête des ménages indique que le coefficient de Gini de l'Algérie est passé de 0,34 en 2000 à 0,31 en 2011, soit une augmentation de la part des dépenses des ménages les plus pauvres par rapport aux dépenses totales des ménages dans l'économie. En moyenne, de tous les ménages, les dépenses réelles ont augmenté de 6,4% au cours de la même période. La plus forte croissance a profité aux 10e et 30e déciles, tandis que la plus faible croissance s'est produite dans le décile le plus riche.»
. Le chômage est en diminution depuis 2000 : 29% en 2000 – 15,3% en 2005 – 10,2% en 2009. Cette impulsion particulière est également à inscrire sur le compte des mesures d'urgence prises en févier 2011 qui ont accru le nombre de bénéficiaires d'insertions professionnelles de 600 000 personnes tout en doublant le nombre de créations d'entreprises inscrites au titre de divers dispositifs d'aide.
Ce qui, de l'avis du Fonds monétaire international, fera reculer encore plus le chômage au cours des dernières années : 9,7% en 2012 et 9,3% en 2013. Nous sommes loin des statistiques explosives de 2000 lorsque le taux de chômage atteignait les 29% de la population active, soit 2,5 millions de personnes dont 1,4 million de jeunes. Le taux de chômage a été divisé par trois au cours des dix années suivantes. De fait, un exploit. Sur le plan quantitatif, en termes de masse, nous faisons certainement mieux que des pays membres de la zone sud de l'espace euro, comme la Grèce, l'Espagne, le Portugal ou l'Italie, en passe de devenir exportateurs de main-d'œuvre.
Il reste toutefois à nous assurer que les dispositifs de soutien à l'emploi des jeunes ne sont pas de simples revenus minimum de maintien à des occupations alimentaires durables tant que la manne pétrolière est là pour en assurer le financement. Il ne suffit donc pas de disposer de ressources abondantes pour assurer de bons emplois. Une étude de la Banque mondiale sur notre région souligne que «trois moyens d'action sont essentiels pour créer de l'emploi durable dans la région Mena : une gestion macroéconomique prudente, une réglementation judicieuse de l'activité économique et la bonne gouvernance».
. Autre enseignement : «La qualité des emplois disponibles importe tout autant que leur quantité.»
Pour l'essentiel, le tableau que dresse l'ONS dit ceci à propos du sous-emploi :
- primo, qu'il est plus présent en milieu rural par rapport aux zones urbaines ;
- secundo, qu'il semble affecter davantage les femmes que les hommes ;
- tertio, qu'il touche les populations les moins instruites et celles qui ne sont pas pourvues de diplômes ;
- et, quatro, qu'il est particulièrement marquant parmi les 15-24 ans.
. Autre fâcheuse caractéristique de l'emploi dans notre pays : il ne couvre pas forcément contre les aléas de la vie. Cela ressort de ce que «sur les 9 735 000 occupés, 4 879 000 personnes ne sont pas affiliées au régime de la sécurité sociale, soit un occupé sur deux», selon une récente enquête de l'ONS. Si l'on se rapporte aux données du Fonds monétaire international, l'emploi informel a évolué comme suit, de décennie en décennie :
- 21,4 % en 1980,
- 25, 4 % en 1990.
En 2010, selon l'ONS, la moitié de la population occupée n'était pas affiliée à la sécurité sociale, soit un taux de 50,4% de l'ensemble des travailleurs occupés. 69,1% des salariés non permanents et 80,1% des travailleurs indépendants n'étaient pas affiliés à la sécurité sociale durant la même période. Plus précisément, sur les 9 472 000 travailleurs occupés recensés, 4 778 000 personnes ne sont pas affiliées au régime de la sécurité sociale, soit un occupé sur deux.
La proportion des occupés du monde rural qui ne sont pas affiliés à la sécurité sociale représentante 60,1%, tandis qu'elle est de 46,3% dans le monde urbain. Des progrès ont été réalisés si l'on croit une enquête de l'ONS de 2014 qui affiche le chiffre de 42,4% des travailleurs sondés par l'organisme. La non-affiliation à la Sécurité sociale touche l'ensemble des secteurs d'activité économiques du secteur privé. 72,1% de l'emploi total dans le privé est au noir. Certaines branches sont plus touchées que d'autres, notamment l'agriculture (85,3%) et le secteur du BTP (75,6%), ainsi que le commerce (63,7%), le transport (42,9%) et les industries manufacturières (41,6%)».
Le travail au noir touche moins les femmes (il ne représente que 27,7% de l'emploi féminin), alors qu'il constitue 45,6% de la main-d'œuvre masculine, selon l'ONS. Aussi, selon la même source, les travailleurs non affiliés à la Sécurité sociale sont issus d'une population essentiellement jeune et sans qualification. 88,2% des jeunes âgés entre 15 et 24 ans travaillant dans le secteur privé ne sont pas affiliés à la Sécurité sociale. Ce taux diminue à mesure que s'élève l'âge pour atteindre 60,9% chez les travailleurs âgés de 55 ans et plus.
. Parmi les autres marqueurs de la mauvaise qualité de l'emploi, il reste enfin à souligner son déficit de mobilité : «Ceux qui détiennent un bon poste le gardent pratiquement à vie et ceux qui héritent d'un emploi précaire peuvent rarement trouver mieux. Les habitants de régions à fort taux de chômage ne disposent pas des moyens qui leur permettraient de migrer là où la demande est plus importante, ce qui explique le maintien de clivages nets entre zones rurales et zones urbaines», avertit la Banque mondiale.
e. Les conséquences qui en découlent sont de deux ordres :
- Il en résulte d'abord une détérioration des équilibres budgétaires que seuls des cours élevés des hydrocarbures continuent de couvrir. Les soldes budgétaires sont passés de -53,9 milliards de dinars en 1999 (-1,7% du PIB) à -770,9 milliards en 2006 (-8,4% du PIB) pour atteindre -5 0774,2 milliards de dinars en 2011 (prévisions), ce qui représente -36,3% du PIB.
Ils sont couverts par le Fonds de régulation des recettes (FRR).
- Le Fonds de régulation des recettes (FRR) est détourné de sa vocation première.
Le FRR a été mis sur pied début 2000 pour recueillir les recettes supplémentaires générées au-delà d'un prix de référence fiscal du baril de pétrole. L'objectif de départ était clair et le mécanisme vertueux : mettre les recettes de l'Etat à l'abri des variations brutales du marché pétrolier en épargnant les recettes résultant de prix élevés pour faire face plus facilement aux périodes de baisse des prix. Dans l'esprit de ce mécanisme, le prix de référence fiscal (19 dollars puis 37) était censé servir de norme pour mieux maîtriser l'évolution des dépenses de l'Etat.
Le Fonds de régulation des recettes (FRR), doté de près de 72 milliards de dollars en 2012, est l'objet de vives critiques, provenant notamment du patronat privé. Il est soupçonné par le Forum des chefs d'entreprise d'être «détourné de sa vocation initiale en créant une situation qui encourage la dépense facile et le gaspillage des ressources rares». Aussi, est-il attendu «la restauration de la lisibilité compromise des comptes publics, le renforcement du contrôle du pouvoir législatif, une meilleure information» afin d'entrer dans un cercle vertueux pouvant mener à une version algérienne de la «règle d'or budgétaire». Pour le FCE, il faut commencer par introduire une disposition légale interdisant le recours aux ressources du Fonds pour la couverture des déficits du budget. Cela impliquerait, selon l'étude du FCE, de passer à un prix de référence qui se situerait autour de 60 à 70 dollars. Le FCE propose d'aller vers une «réflexion globale sur l'usage qui pourrait être fait des ressources ainsi protégées (près de 72 milliards de dollars à fin 2011) dans des opérations destinées à intensifier le processus de croissance de l'économie».
Le FRR devrait être orienté vers «une structure proche des fonds souverains du type de ceux créés par la Norvège ou la Russie», estime-t-il. Plus largement, la perspective tracée est d'aller vers une «règle d'or budgétaire» pour «contenir la croissance exponentielle des budgets de fonctionnement en se donnant pour objectif de les équilibrer à terme par les seules recettes de la fiscalité ordinaire».
3. Une logique d'économie de la brique
Dire que nous reproduisons une économie de comptoir relève d'une tautologie : l'accumulation organique du capital s'opère au détriment de la communauté nationale et obéit à des centres d'intérêt issus pour la plupart de l'ancienne puissance coloniale. L'Algérie enregistre une mauvaise note de 3,2 (mention «médiocre») qui la classe au 92e rang lorsqu'on la soumet à l'examen de l'Indice de perception de la corruption établi par Transparency International (TI).
L'indice se décline en évaluation de pays allant de 0 (au sens scolaire de mauvaise note correspondant à un haut degré de corruption perçu) jusqu'à 10 (faible degré de corruption perçu). La moyenne mondiale est de 5. A titre d'illustration, à l'échelle mondiale, toujours pour l'année 2009, les notes les plus faibles ont été attribuées en 2009 à la Somalie (1,1 sur 10) et à l'Afghanistan (1,3) et les notes les plus hautes à la Nouvelle-Zélande (9,4 sur 10) et au Danemark (9,3). Les secteurs des travaux publics, du bâtiment et des grands chantiers sont particulièrement affectés, comme le révè lent les dernières informations relatives à Sonatrach, au financement de l'autoroute Est-Ouest ou du métro d'Alger. Ce qui autorise à coupler la première caractéristique d'économie de comptoir avec celle d'«économie de la brique». Que l'administration, pourvoyeuse de marchés, soit une source première de corruption, est attesté par ailleurs par les poursuites en justice engagées contre 300 présidents d'APC et 1 400 autres élus locaux sur les 26 000 que comptent les différentes municipalités du territoire national, durant le mandat électoral 2012-2017 toujours en cours.
Les crimes et délits les plus courants sont : violation du code des marchés, dilapidation et détournement de deniers publics, trafic d'influence, faux et usage de faux, malversations et mauvaise gestion. La wilaya d'Oran occupe le haut du tableau avec 15 P/APC (sur les 26 qu'elle compte) suspendus par le wali à la suite d'enquêtes ayant dévoilé leur implication dans des faits de corruption liés à la gestion de leurs collectivités. Elle est suivie de Tlemcen, Mostaganem et Tiaret(7).
Outre les marchés publics, le commerce extérieur est également affecté. L'économie de la brique trouve un terreau d'une fertilité exceptionnelle dans l'économie informelle qui couvrirait 40% du PIB. Est-ce un hasard que la loi de finances pour 2015 élaborée dans un contexte de crise a abaissé l'imposition pour les importateurs et... augmenté cette même imposition pour les producteurs, avant d'être corrigée in extremis dans la LFC 2015. «A la fin de la guerre civile, en 1999, les avoirs des milliardaires algériens à l'étranger sont estimés à 40 milliards de dollars», assure Martinez. Dans un rapport couvrant la période 2000-2008, Global Financial Integrity(8) évalue la croissance des flux illicites pour les neuf années à 24,3% pour la région Afrique du Nord/Moyen-Orient (région Mena), 21,9% pour l'Afrique et 7,85% pour l'Asie. Au cours de la même période, l'Algérie aurait «exporté», hors circuits légaux, 13,6 milliards de dollars, soit 1,7 milliard de dollars par an. Ces chiffres ne couvriraient pas la totalité des infractions à la réglementation de change et transferts de capitaux, ni les commissions occultes perçues à l'étranger par les signataires (ou leurs hommes de paille) de marchés publics de travaux, de fournitures ou de services
Pour le Maghreb, des évaluations plus récentes estiment les fuites de capitaux à 8 milliards de dollars/an dont 50% d'Algérie, 30% du Maroc et 20% de Tunisie. Les avoirs des Maghrébins à l'étranger étant estimés à 150 milliards de dollars. La plus grosse fraude reste l'informalité, l'excès de liquidité, l'acquisition de biens immobiliers et de commerces à l'étranger, de préférence dans un coin perdu de France, à l'abri du regard de la presse.
A. B.
(A suivre)
1) Luis Martinez offre au débat une dernière et récente publication consacrée à un ensemble des pays arabes, dont le nôtre : Violence de la rente pétrolière : Algérie-Irak-Libye, paru en 2010 aux Editions de la fondation des sciences politiques de France, page 49.
2) Ibid, p. 63.
3 Les «traits» attachés au mode de production asiatique – avant qu'il ne soit banni par l'école stalinienne dans les années 1929 à 1931 – recoupent les grands travaux hydrauliques, le rôle de l'Etat dans la construction et la gestion des systèmes d'irrigation, la monopolisation de la terre, l'existence d'une monarchie despotique, la stagnation, etc.
4) Ibidem, p. 24.
6) Mark Tessler and Eleanor Gao, Gauging Arab Support for Democracy, Journal of Democracy 16 (july 2005) : 82–97, aussi Amaney Jamal and Mark Tessler, The Democracy Barometers: Attitudes in the Arab World, Journal of Democracy 19 (January 2008): 97–110.
7) Quotidien Reporter, lundi 31 août 2015.
8) Illicit Financial Flows from Developing Countries : 2000-2009, A January 2011 Report. : www.gfip.org.


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