[email protected] Je vous écris ces quelques lignes pour vous donner de mes nouvelles qui sont bonnes, en espérant de même pour vous. Comme vous me l'aviez chuchoté, lors de votre visite à ma vente-dédicace au stand Apic, j'ai patienté jusqu'au samedi et j'ai lu l'information par voie de presse. Pour une surprise, c'en est une ! J'ai lu vos quelques lignes, en fait une petite lettre, que vous avez transmise comme une bouteille à la mer. Ce fut ma première impression ; puis, je fus traversé par des sentiments multiples et contradictoires. Une bouteille jetée à la mer peut ne jamais atteindre une main secourable qui l'ouvrira pour dégoupiller le contenu. Mon premier sentiment est que vous, et vos cosignataires, aviez agi en désespoir de cause. Car vous avez l'impression que le bateau navigue, avec un barreur qui n'est pas le capitaine en titre. Car le bateau tangue et fonce droit vers les grosses lames de fond. Car le bateau risque de sombrer dans la mer déchaînée des emprunts et de la misère sociale. Mon second sentiment s'est formé sous forme de question, à laquelle je n'ai pas de réponse. Etes-vous l'initiatrice de cette lettre ? Ou y a-t-il eu concertation préalable entre vous ? Vous êtes 19, n'est-ce pas ? Un autre sentiment m'habite : vous doutiez que notre Président ne recevra pas votre missive. Doute légitime, à mon sens ! Alors, vous avez pris le risque de la rendre publique, pour prendre le peuple à témoin ; lequel peuple est appelé à tout bout de champ par vos contradicteurs du moment ; ce pauvre peuple qui n'est là que pour servir de faire-valoir. Revenons à vos craintes premières ! Personnellement, je vous aurais dissuadée, ou tenté de le faire, de rédiger cette lettre et de la remettre par pli porté. Je vous aurais tout simplement convaincue que vous n'aurez pas ce rendez-vous ou cette audience. On vous dénie le droit d'appeler à voir le Président. Par qui ? Principalement, trois partis : le FLN, le RND et le TAJ. On vous dénie le droit de constater de visu l'état de santé du Président, car, en fait, c'est de ça qu'il s'agit, n'est-ce pas Louisa Hanoune ? Est-ce le Président qui conduit les affaires du pays ? Ou est-ce une gestion nationale parallèle ? Vos contradicteurs, toujours les mêmes, vous dirigent vers le Président français et son «alacrité», il doit rire sous cape le bon François (hé, hé !), vers la Constitution et le peuple qui a validé le quatrième mandat. Encore, le peuple, allais-je dire ! Eh oui, le peuple, toujours et toujours. Rappelez-vous : «Un seul héros, le peuple !» On invoque le peuple juste pour lui faire tenir le mauvais rôle, celui du témoin dupé. Ou les urnes ! Ah, la mystification des urnes... Un énième sentiment me turlupine : 19 signataires dissemblables auraient dû être un gage de «sériosité» (ce mot existe, j'ai vérifié dans Google) politique ; sauf que ça ne plaît pas aux gardiens du temple. Oui, vous auriez pu aller jusqu'à 99 signataires de tout bord. Aurais-je signé cette requête ? Après quelques hésitations, je l'aurais signée. Je veux entendre, avant 2019 (année totémique pour les gardiens du temple !) la voix de notre Président me dire : «Ângar terbouchek, ya bba !» ça m'aurait fait plaisir ! J'aurais aimé le convaincre de mon état d'algéro-désespéré. Enfin, Louisa Hanoune, si votre demande d'audience est agréée, je vous délègue pour lui dire que le désespoir est désormais algérien. Je vais arrêter là mes sentiments ; mais, je n'arrête pas pour autant de rédiger ma lettre. Je voulais vous dire qu'Abane Ramdane est encore malmené, par-delà la mort. Celui qui aurait pu être notre mythe, notre référent révolutionnaire, notre idéal d'amour patriotique, ne sert en fait que de vecteur d'invectives. Bien sûr, l'Histoire ne pardonne rien de rien. Même si la justice des hommes est aussi versatile que l'être social. Mais, l'Histoire est incorruptible : elle fera son job de justicier, tôt ou tard. Je voulais vous dire, aussi, qu'on nous dit que le Congrès de la Soummam est un acte de trahison. Qu'il a été l'œuvre de communistes et de laïcs. Tiens, tiens, être communiste est en soi une tare, selon des tarés de l'Histoire. Tiens, tiens, être laïque est assimilé à un crime de lèse-islam ? Rien que ça ? Pire, c'est que le Congrès de la Soummam a été dirigé contre la langue arabe et la religion. J'ai lu ça quelque part. A moins que je ne sois sujet d'hallucinations. Je voulais vous dire, également, que les gardiens du temple veulent savoir ce qu'est une «personnalité nationale» ? Là, il faudra leur répondre, Louisa Hanoune. Leur faire, par exemple, un cours détaillé sur ce concept et le transmettre, par pli porté, aux détenteurs des clés de l'Algérie. Surtout, n'omettez pas de citer, comme exemple, les personnalités nationales qui ont hanté le Palais pour fignoler la prochaine mouture de la Constitution qui va asseoir la démocratie en Algérie. Vous voyez de quelle personnalité je parle ? Suivez mon regard, s'il vous plaît. Je voulais vous dire que des routes se font, se défont et se refont dans un délire au goût de goudron. Que des projets, comme des CHU, sont reportés à une date ultérieure : le jour où le pétrole se vendra à 200 dollars ; pour différer la maladie ; il est à combien, au fait ? Je voulais vous dire que du moment que notre Président nous envoie des lettres, il est normal qu'on lui réponde à l'aide d'une lettre. Qu'il est normal, également, que je corresponde avec vous. On a inventé une nouvelle politique : la politique épistolaire. Laissez-moi vous dire que j'ai été content d'avoir discuté avec vous lors du Sila, vingtième du nombre ; je n'ai pas souvent l'occasion de bavarder, en toute camaraderie, avec des personnalités nationales. Voilà, j'ai encore beaucoup de choses à vous écrire, chère Louisa Hanoune ; mais je m'arrête là pour aujourd'hui. Y. M. N. B. : si jamais l'audience vous est accordée, faites en sorte de m'envoyer une lettre, par pli porté. Merci et à la revoyure !