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LA PROBL�MATIQUE DES RAPPORTS DE L'INTELLECTUEL ORGANIQUE A LA GUERRE DE LIB�RATION NATIONALE EN ALG�RIE Illustration � travers l'itin�raire du colonel Lotfi -4e partie-
Par Mohamed Chafik MESBAH, officier sup�rieur de l'A
A ce stade de la recherche, les t�moignages probants sur la ma�trise par le colonel Lotfi de l'art de la guerre, sa virtuosit� militaire, sont indisponibles en nombre et en qualit�, notamment pour les �tapes purement militaires de sa trajectoire. L'un des objectifs de la biographie exhaustive qui est envisag�e porte, justement, sur la reconstitution de l'itin�raire militaire du colonel Lotfi et l'analyse de son style de commandement diff�rent en bien des points de celui de ses pairs des autres wilayas. Mais il est �tabli, d'ores et d�j�, qu'il avait accord�, jeune lyc�en, une grande importance � la pr�paration militaire qui �tait en vigueur � l'�poque pour les postulants au sursis. Ind�pendamment du t�moignage de sa sœur, Khadidja Benamar, qui d�crit l'�tat de concentration psychologique o� se plongeait le jeune Boudghene Benali tout le long de cette pr�paration militaire, il suffit de se rem�morer le rappel � l'ordre qu'il adressa � son camarade de classe, Hocine Senoussi, qui s'abandonnait, quelque peu, � l'�cole buissonni�re : �Hocine ! Il ne faut pas s�cher la pr�paration militaire ! Il faut assister, elle est importante ! Un jour nous en aurons besoin.� Son alter ego pour la p�riode de la medersa, Bereksi Djamal rapporte l'int�r�t accord� par le jeune Boudghene Benali � cette pr�paration militaire, notamment sa phase finale, qu'il subit, avec succ�s, lors du stage bloqu� qui se d�roula durant deux semaines � la caserne de Beni-Messous � Alger, en juillet 1955, avec, � l'ordre du jour, �perfectionnement dans le maniement des armes individuelles, l'orientation, la lecture des cartes d'�tatmajor avec application sur le terrain, l'endurance dans le parcours du combattant et le tir avec manœuvres hors du camp�. Stage sanctionn� par un examen subi avec succ�s par Boudghene Benali. Dans l'exercice de son commandement militaire, il se d�pensait, sans compter, au m�me titre que ses subordonn�s. Rappelons, pour m�moire, d�crit par ses compagnons l'�tat de fatigue physique qui �tait le sien au moment o� il rejoignit le PC de la Wilaya 5 apr�s avoir accompli sa mission en Zone 8. Malgr� ce charisme, pourtant, et l'ascendant qu'il lui procurait sur ses compagnons, le colonel Lotfi ne se d�partissait pas d'une modestie, d'une humilit� caract�ris�es par l'oreille d'�coute attentive qu'il pr�tait � ses subordonn�s : �Il partageait, selon le t�moignage de El Ouchdi dit Abderazzak d�j� cit�, sa vie avec les membres de son commando (de Tlemcen) et savait demander � tout un chacun son avis avant de d�cider�. Mohamed Lemkami qui connut fort bien le colonel Lotfi relate aussi que �lorsqu'il visitait le SRL, Lotfi prenait son repas, tr�s simplement, avec nous�. Nous avons �voqu� sa curiosit� intellectuelle infinie, contract�e depuis ses ann�es d'enfance et sa scolarit� � la Medersa. Cet aspect de sa personnalit� nous est, explicitement, rapport� par des t�moins diff�rents. Citons, tout d'abord, ce t�moignage presque ing�nu de Khadidja Brixi, que nous avons d�j� �voqu�, laquelle note, tout simplement, que �Si Lotfi avait toujours un livre dans son sac � dos�. C'est, toutefois, Dahou Ould Kablia qui relate le mieux ce qui constitue une insatiable curiosit� intellectuelle : �Lotfi marquait, � chaque visite ou r�union de travail (au Service de renseignement et de liaisons � Oujda), un int�r�t �vident � s'informer, � partir de nos �tudes et synth�ses, sur la situation politique g�n�rale du pays et ne manquait pas de nous interroger sur les aspects militaires li�s au renforcement du potentiel de d�fense ennemi.� Une curiosit� qui s'accompagne d'une disponibilit� presque inn�e pour le d�bat. Ainsi, chaque fois que l'occasion lui �tait donn�e de se rendre au SRL (Service de renseignement et de liaisons), structure d�tach�e de la Wilaya 5 au profit du MALG, vivier de v�ritables capacit�s intellectuelles, le colonel Lotfi aimait � engager des d�bats de substance sur les sujets d'actualit� et d'importance �Il affectionnait, rapporte le m�me Dahou Ould Kablia, � partager avec les cadres du SRL des �changes d'id�es au cours de longs d�bats sur des questions politiques, �conomiques et m�me philosophiques, laissant transpara�tre une grande culture et une grande maturit� d'esprit. � Boualem Bessa�h rench�rit en soulignant que �dans ses moments de d�tente, il (Lotfi) d�ployait une curiosit� intellectuelle et une capacit� d'analyse remarquable�. De mani�re plus �labor�e, Boualem Bessa�h, qui fut le secr�taire de s�ance lors de la r�union du CNRA � Tripoli, en d�cembre 1959/janvier 1960, livre, � propos des aptitudes intellectuelles du colonel Lotfi, un t�moignage presque vivant : �Au Conseil national de la R�volution alg�rienne � Tripoli (…) je me souviens de ses interventions courtes, pr�cises et pertinentes. Il ex�crait les verbiages inutiles et d�sordonn�s (…) il �tait le seul � consigner l'essentiel de toutes les interventions de ses pairs (…) ainsi Lotfi s'�cartait de l'oralit�.� Mais le colonel Lotfi se distinguait aussi par un r�alisme percutant dans l'appr�ciation des situations et une lucidit� politique remarquable lors de la prise de d�cision. Plus en avant, il sera examin� les positions politiques, ou ce qui en tenait lieu, du colonel Lotfi. Mais m�me sur des questions op�rationnelles, li�es � des questions techniques — qui auront, �videmment, des r�percussions politiques —, le colonel Lotfi prend de la distance et ne camoufle pas la v�rit�. Nous disposons, � titre d'exemple, de la copie d'une lettre qu'il avait adress�e, le 8 ao�t 1958, c'est-�-dire, � son retour d'Espagne, � Abdelhafidh Boussouf, son ancien chef militaire, devenu membre du CCE, en charge, pr�cis�ment, de l'approvisionnement en armes de l'ALN : ‘'Tr�s cher fr�re Mabrouk. La situation dans la Wilaya : je ne te cache pas qu'il ne m'a pas fallu tr�s longtemps, � mon retour, pour constater que nous frisions la catastrophe. (…) Une seule zone a perdu en l'espace de quatre mois quelque 300 hommes (…) Je ne veux pas te cacher que nous sommes en train d'assister impuissants � un v�ritable massacre et de notre arm�e et de notre peuple. J'ai essay� par ces quelques lignes de te faire conna�tre la r�alit� chez nous (de m�me qu'en Wilayas IV et VI). Je te sais tr�s r�aliste ; ces v�rit�s t'am�neront � la conclusion que nous sommes dans une phase tr�s critique, tragique.‘' C'est le colonel Lotfi qui souligne cet adjectif, m�me s'il prend le soin de signer �ton jeune fr�re Lotfi�. Le colonel Lotfi personnage romantique ? Le sens commun a appauvri, injustement, l'appellation �vocatrice de �romantique�, en la r�duisant, abusivement, � une notion d'id�aliste ing�nu, r�sign� et incapable de volont�. C'est l�, v�ritablement, un sens commun. Ici n'est gu�re le lieu de s'appesantir sur le romantisme et sa signification litt�raire, philosophique et politique. Pour la compr�hension de cet �clairage sp�cifique de la personnalit� du colonel Lotfi, indiquons, succinctement, que dans la probl�matique romantique les h�ros sont toujours solitaires, en lutte avec le destin. Le romantisme constitue une contestation de la raison pure qu'il consid�re inf�rieure au cœur et � l'imagination dans la perception de l'univers. Dans la conception romantique, le po�te est, certes, un guide qui dirige le peuple. Mais dans cette d�marche, le malaise historique se transforme souvent en angoisse m�taphysique. Le romantisme est une forme d'onirisme o� l'imaginaire suppl�e au r�el, un absolutisme dans la repr�sentation de l'id�al. Ce n'est point fortuit si la mort est omnipr�sente chez les romantiques. Il est loisible de d�celer l'influence romantique qui a d�teint sur la personnalit� du colonel Lotfi � la simple observation de ses lectures med�rsiennes, de son admiration pour les personnages d'�pop�e et, enfin, du culte presque qu'il livre � la mort. Nous avons d�j� �voqu� ses lectures med�rsiennes qui d�notaient une attirance romantique certaine. Rappelons, pour la circonstance, que notre h�ros, emprisonn� en Espagne, aimait � �voquer Abu Firas Al Hamadani, ce prince perse, ce chef de guerre romantique qui fut prolifique en d�clamations po�tiques : Sur le cahier de classe que le jeune Boudghene Benali, contraint de rentrer en clandestinit�, confia, dans la pr�cipitation, � son voisin de banc, Hocine Senoussi, il se d�tachait, trac� � l'encre verte, de la main m�me du futur colonel Lotfi, ce vers combien appropri� alors du po�te arabe Al Moutanabbi dont la bravoure d�clam�e a berc� les r�ves de bien des g�n�rations de m�dersiens : Le colonel Lotfi aimait, en effet, � se comparer aux personnages romantiques marquants de la m�moire araboislamique. Il n'a pas manqu� de se transposer en �bikbachi �, le grade ou plut�t l'incarnation de l'intellectuel militaire que symbolisait, alors, Djamel Abdenasser. Naturellement, le colonel Lotfi a �t� un personnage romantique. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre connaissance de la lettre d'adieu qu'il adressa � son �pouse au moment o�, rejoignant la Wilaya V, il se rendait au rendez-vous de sa mort tragique : ‘'A ma tr�s ch�re femme, (…) Je suis en pr�paratif pour rejoindre l'int�rieur dans les plus brefs d�lais. Je crois ne t'apprendre rien de neuf en te disant que c'est la seule place possible pour moi en ce moment. Il m'est devenu impossible, intol�rable, insoutenable de continuer � vivre � l'ext�rieur, ceci en dehors de toute consid�ration de quelque ordre que ce soit. Ensuite, en tant que chef, que r�volutionnaire, qu'id�aliste imbu de principes, je dois �tre aux c�t�s de mes hommes pour les soutenir et du peuple pour le r�conforter et renforcer son moral. De tout c�t�, je crois avoir tout fait pour t'�ter d�s le premier jour toute illusion concernant ma pr�sence � tes c�t�s tant que durerait la R�volution, je t'ai toujours dit que je n'ai �t� et que je ne suis que par la R�volution et pour la R�volution. Il m'est m�me tr�s difficile d'envisager pour moi une autre vie que la vie r�volutionnaire. (…), j'esp�re que tout se passera bien. Dans le cas contraire, j'aurais connu la plus belle fin qu'aurait pu souhait�e et r�v�e un jeune r�volutionnaire.‘' La sublimation de l'id�al prend bien le pas sur toutes les autres consid�rations, y compris celle de la s�curit� ou de la p�rennit� du foyer familial. C'est cette m�me sublimation de l'id�al qui le pousse � justifier ainsi, dans une lettre au colonel Ali Kafi, ancien chef de la Wilaya 2, sa d�cision de retour au maquis, � l'int�rieur du territoire national : ‘'Au moment o� je me pr�pare � rejoindre notre sol national (…) par devoir envers ma patrie sacr�e et par ob�issance � mes principes.‘' Le colonel Lotfi met, express�ment, en relief la dimension �thique de son choix qui n'ob�it pas � de simples r�gles li�es � l'efficacit� militaire. Ce choix se justifie � ses yeux m�me s‘il annonce un rendez-vous avec la mort. C'est, probablement, cette veine romantique qui le pousse, en effet, � ce choix dont il pressent l'aboutissement : ‘'J'aime mieux mourir dans un maquis que de vivre avec ces loups‘', c'est ainsi qu'il s'exprima � l'endroit du pr�sident Ferhat Abbas. Convenez que la verve romantique qui anime le colonel Lotfi est celle-l� m�me qui impulse sa trajectoire depuis sa tendre enfance. Il aimait � s'identifier aux h�ros des romans d'�pop�e. Le voil� qui, rejoignant le combat dans le maquis, s'impr�gne de l'esprit de sacrifice qui le conduira � la mort. Dans une ing�nuit� qui sied, en effet, aux personnages de roman, voici le contenu bref de la missive qu'il fit transmettre alors � son p�re : �Cher p�re, c'est ton fils Benali qui t'�crit, il te confie la famille pour rejoindre les fr�res au maquis pour la lib�ration de l'Alg�rie.� Bien plus tard, la veille de sa mort, se pr�parant � quitter Oujda pour franchir la fronti�re pour l'Alg�rie, il s'ouvrit � Boualem Bessa�h et au commandant Rouai en ces termes poignants : �J'ai le pressentiment que je vais mourir demain au combat�. N'est-ce pas, d'ailleurs, le drame du h�ros romantique que d�crit le colonel Lotfi dans cette lettre adress�e � son collaborateur et beaufr�re, Ammar Akbi : "(…) chacun de nous, � un moment donn� de sa vie r�volutionnaire, a connu la crise que tu traverses (…) c'est le moment le plus critique pour un r�volutionnaire car cela peut changer le cours de la vie et bouleverser tout les plans (…) il faut alors r�sister avec t�nacit�, lutter jour et nuit contre soi-m�me pour ne pas fl�chir et sombrer totalement. Si dans ces moments l'on n'est pas soutenu par une foi immense (…) un id�al tr�s fort et totalement d�sint�ress� (…) une conviction a priori solide que nous sommes des sacrifi�s, que nous sommes vou�s � la souffrance et � toutes les mis�res (…) que nous sommes appel�s � ne jamais conna�tre d'autre bonheur que celui de la r�compense morale du repos de l'�me et la paix de la conscience, alors on est d�chu de notre qualit� de r�volutionnaire et on devient une loque." M. C. M.