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Nouvelle
Rendez-moi mon enfant Par Le�la Aslaoui
Publié dans Le Soir d'Algérie le 15 - 12 - 2005

Avant que nous ne p�n�trions dans la salle d�audience, mon avocat, Ma�tre Mourad, m�annonce ce qu�il appelle une excellente nouvelle : son confr�re ne r�pliquera plus. Mon adversaire, le docteur L� aurait exprim� � son conseil sa lassitude et souhaiterait en finir avec la justice.
Mon silence contrarie mon d�fenseur : �J�esp�rais vous faire plaisir.� Je ne r�ponds pas. Qu�aurais-je pu dire ? Civiliste talentueux et brillant p�naliste, ce champion de la proc�dure, devenu au fil des ans mon ami et confident, sait que son �scoop� m�aurait fait sauter de joie autrefois. Dans quelques instants, j�assisterai � ma vingt-septi�me audience ! Il est vrai que je ne suis pas oblig�e de me pr�senter, mais ma longue fr�quentation avec Dame Justice, m�a appris qu��tre victime et partie civile, exige un suivi assidu de son affaire et une vigilance de tous les instants. La premi�re fois que j�ai franchi le seuil du Palais de justice, j��tais convaincue que j�obtiendrai gain de cause en quelques semaines. C��tait, je m�en souviens fort bien, en mars 1985. Mon calvaire dure depuis vingt ans. Lorsque la machine judiciaire s�est emball�e, elle m�a abandonn�e au bord de la route. D�cid�e � aller jusqu�au bout, je refusais d��tre spectatrice � mon propre proc�s. Je me suis document�e, familiaris�e avec les lieux, la proc�dure, l�organisation judiciaire, le langage des juges. Toutes choses qui n�ont plus de secrets pour moi. Je ne ma�trisais pas pour autant la situation, mais je comprenais ce qui se disait et se faisait. J�ai enrichi mon vocabulaire par des mots savants comme : �enr�lement�, �plumitif�, �d�faut�, �it�ratif d�faut�, �appel�, �r�tractation�, �cassation�, �d�lit�, �crime�, �pr�judice moral�, �pr�judice mat�riel� � A quelque chose malheur est bon, a-t-on coutume de dire. S�il n�y avait pas eu mon affaire, aurais-je pu conna�tre le sens de tous ces termes ? Quelle chance que la mienne n�est-ce pas ? Cela ne me faisait gu�re avancer dans le temps. Chaque fois que j�obtenais gain de cause, le Dr L� usait des voies de recours. J��tais alors �appel�e�, �cass�e�, �rappel�e� apr�s cassation, �recass�e� et la valse infernale n�en finissait pas. Je n��tais plus Mme Nabila S� mais un simple num�ro. Plus exactement deux, trois ou quatre chiffres, selon le degr� de juridiction. J�ai alors appris � ne retenir que le plus r�cent, les autres devenant inutiles. Fatigu� le �grand� professeur de gyn�cologie et d�obst�trique ? Son gag ne me fait pas rire, pas m�me sourire. Dois-je avoir de la compassion ? Le remercier ? Le docteur L� sait qu�aujourd�hui, � cette avant-derni�re audience, il devra s�incliner parce qu�il ne pourra plus se pourvoir. La Cour supr�me a cass� le quinzi�me arr�t de la Cour d�appel avec la mention : �Sans renvoi�. Son pr�tendu �puisement est un baroud d�honneur. Apr�s vingt longues ann�es de proc�dure, il devra enfin me verser les dommages-int�r�ts qu�il me doit. En cette matin�e du mois de juin 2005, je devrais �tre heureuse d�avoir arrach� la victoire. Pourquoi alors cet arri�re-go�t amer au fond de la gorge ? Ces larmes que je r�prime difficilement ? Sans doute parce que mon triomphe arrive trop tard. Ce n�est pas la seule raison. Pour �tre v�ritablement r�par�e, l�injustice aurait d� �tre condamn�e publiquement �Au nom du peuple alg�rien�. C��tait ce que je voulais. Je n�ai pas �t� entendue. L�indemnisation ne panse pas les plaies et les souffrances. Durant toutes ces ann�es, le professeur L� a partag� son temps, entre l�exercice de sa profession dans son cabinet priv� et les cours dispens�s � ses �tudiants � l�h�pital. Lorsque l�un ou l�autre de ses amis osait �voquer �l�affaire�, il r�pondait agac�, qu�il n�avait rien � se reprocher et que j��tais atteinte de folie. Si seulement j�avais pu sombrer dans la d�mence ! Ma seule ali�nation mentale a �t� mon refus d�abdiquer et d�abandonner la partie. Je me demande moi-m�me o� j�ai pu puiser la force de continuer. Comme dans le �jeu de l�oie�, il me fallait � chaque fois recommencer, revenir � la case d�part et me battre � nouveau. �Pour le principe�, disais-je � ceux qui me reprochaient mon acharnement. Mais au fait c��tait quoi �le principe� ? Que voulais-je dire par �pour le principe ?� Obtenir que les grands soient punis comme les petits ? C�est l�affaire de la justice et non la mienne. Moi je ne fais pas de politique. En v�rit� je ne sais pas moi-m�me ce que signifie �pour le principe�. Je sais seulement que j�ai tout perdu un apr�s-midi d�octobre 1984. Et lorsqu�on a tout perdu, l�on n�a plus rien � perdre, alors il faut gagner pour pouvoir survivre et tenir le coup. De cette bataille-l�, je suis sortie victorieuse. Mais ce n�est pas le succ�s de Nabila S� mais celui d�une autre femme � bout de souffle, ext�nu�e, qui n�ose plus affronter son miroir tant elle a vieilli. Jusqu�� octobre 1984, j��tais persuad�e qu�une bonne f�e s��tait pench�e sur mon berceau. Tous deux instruits, mes parents faisaient de l��ducation de leurs trois enfants une priorit�. Leur entente �tait parfaite et si disputes il y eut, je n�ai jamais �t� t�moin d��clats de voix, de propos offensants ou de sc�nes de m�nage violentes. Cadre sup�rieur dans un minist�re, mon p�re nous a inculqu� le go�t de l�effort, de la pers�v�rance et du travail bien fait. Femme au foyer, ma m�re a une pr�sence extraordinaire et une forte personnalit�. Avec elle, tradition et modernit� ne se querellent jamais. S�v�re sans �tre injuste, elle nous a appris que la ponctualit� est synonyme de politesse. Elle �tait sans concession avec l�un ou l�autre de ses enfants qui ne respectait pas les r�gles d�hygi�ne et de propret�, les bonnes mani�res, ou dont les r�sultats scolaires �taient m�diocres. Une grande complicit�, beaucoup d�amour et de solides valeurs que nul n�aurait imagin� transgresser, c��tait cela ma famille. Un monde qui m�a permis de vivre une enfance heureuse. Issu d�un milieu ais�, mon p�re fut d�lest� en 1962 d�une bonne partie de ses biens immobiliers qu�il avait re�us en h�ritage. A l�Ind�pendance, j�avais onze ans, mais j�ai ressenti la blessure de l��charde enfonc�e dans son corps. L�Etat l�avait rackett� au nom du socialisme sp�cifique parce qu�il �tait �un affreux bourgeois dont il fallait faire fondre la graisse au hammam�( 1). Peu � peu je vis son visage s�assombrir. Il �tait triste et disait souvent que son seul rep�re �tait sa famille. Au minist�re, ses comp�tences n��taient plus une richesse mais un s�rieux handicap. �Hizb Fran�a�, �vendu, � la solde de l��tranger� �taient son nouveau statut, son �tiquette. Nul ne voulait se souvenir de ses deux fr�res morts pour la patrie, de son p�re emprisonn� de 1958 � 1962. Personne ne citait leurs noms lors des comm�morations officielles. Quelle importance d�ailleurs ? Un incognito n�est pas un h�ros mais un homme qui a accompli son devoir. Il n�y a pas de quoi pavoiser. De toutes les fa�ons, cela ne m�int�resse plus. Entre ceux qui se battent pour, disentils, r�tablir la v�ritable histoire et ceux qui crient haut et fort que c�est gr�ce � leurs seuls sacrifices que nous sommes ind�pendants, je suis totalement paum�e. D�j� au lyc�e, je ne comprenais pas pourquoi mon professeur d�histoire-g�ographie nous interdisait de prononcer les noms de Abane Ramdane, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem. Je n�ai toujours pas compris. Je disais donc que �Hizb Fran�a� d�plaisait de plus en plus avec ses mani�res raffin�es, son costume-cravate, ses chaussures impeccablement cir�es. Ras� de pr�s, parfum� et ma�trisant parfaitement les deux langues, il devenait suspect aux yeux de ses coll�gues et de sa hi�rarchie. Le sixi�me ministre mit fin � sa carri�re cinq jours apr�s sa nomination ! Retrait� avant l�heure mon p�re se demandait pour quelles raisons il devait endurer autant de souffrances pour avoir le droit d�aimer son pays. Bris�, cass� de l�int�rieur, son regard ne brillait plus. Dans le quartier o� il �tait n�, o� ses parents, ses grands-parents avaient vu le jour, il ne reconnaissait plus les visages et les lieux. Presque tous nos voisins avaient fui l�envahissement des nouveaux venus. Sa grande satisfaction qu�il partageait avec notre m�re fut notre r�ussite scolaire. Mon fr�re et ma s�ur sont pharmaciens. Je suis licenci�e en langue anglaise et enseigne dans un lyc�e de gar�ons. Lorsque j�ai eu trente ans, j�ai acquis un v�hicule que je conduis moi-m�me, j�exer�ais une profession que j�aimais et percevais un salaire. Mais je n��tais pas encore mari�e. Contrairement aux femmes de sa g�n�ration � mais �galement de la mienne � maman ne consid�rait pas le c�libat de sa seconde fille � la premi�re avait fond� un foyer � comme une tare ou une catastrophe. Ne subissant aucune pression familiale, je n��tais pas press�e de m�engager dans la vie � deux. Il existait cependant une ombre au tableau : certains ne m�appelaient pas �mademoiselle� mais �k�houti�, (ma s�ur) �khalti�, (ma tante) �hadja� (titre r�serv� � celles qui ont accompli leur p�lerinage). Pass� la trentaine, une femme devient une �k�houti�, une �khalti�, une �hadja�. Mari�es, divorc�es, veuves ou demoiselles, nous nous appelons toutes �k�houti� ou �hadja�. Ces messieurs auraientils peur de se br�ler la langue s�ils disaient �mademoiselle� ou �madame� ? A vingt ans, trente ans, quarante ans ou cent ans, nous sommes toutes des fleurs fan�es, des plantes dess�ch�es � jeter dans la corbeille � papiers ! Toutes des �k�houti� ! C�est tellement fraternel et si doux ! Cela ouvre la porte � toutes les folies : on se rapproche, on se tutoie, on �change de tapes sur l��paule, on se fait l�accolade. Cela s�appelle le �fraternalisme� et a pour anc�tres le tribalisme, le n�potisme, le r�gionalisme, le clanisme. Seul l��litisme n�a pas droit de cit� dans ce monde grouillant de �khawa� et �khouyi�te�(2) car vigilant et efficace, le populisme lui en interdit l�acc�s. Expliquer � un �khouya� qu�on est �Mademoiselle ou Madame� et seulement la s�ur de ceux que sa m�re a enfant�s, n�attire gu�re la sympathie. Mais quel bonheur de savoir qu�on est � sa place celle qu�on m�rite et tous les �khouya� � la leur ! Je ne pensais pas au mariage jusqu�au jour o� le p�re d�un �l�ve de premi�re ann�e secondaire (seconde), m�content des r�sultats de son fils, demanda � me rencontrer. C��tait en 1982. El�gant, s�r de
lui, mon interlocuteur qualifia d�incompr�hensible la chute de Karim, son fils, �excellent en anglais au coll�ge�, me dit-il. Chef d�entreprise, absorb� par son travail, il n�avait pas besoin d�autres soucis, crut-il judicieux de pr�ciser. Ce r�le de business-man d�pass� par les �v�nements me fit sortir de mes gonds.
- Vous �tes d�abord son p�re ...
- Je fus interrompue sans m�nagement.
- Merci de me le rappeler. Je suis �galement sa m�re puisque je suis veuf. Cela vous satisfait-il ?
- Je changeai de ton et fondais telle neige au soleil.
L�homme bless� m�attendrit. L�entretien ne ressembla en rien � un coup de foudre. Pourtant, je pris ce jour-l� la d�cision d�aider Karim � remonter la pente. Trois fois par semaine, je lui faisais r�citer les verbes irr�guliers. Il r�visait sa grammaire, sa syntaxe et �tait heureux de me remettre les exercices que je lui demandais de faire � la maison. Pourquoi lui et pas d�autres �l�ves ? Il n��tait pas le seul � avoir des lacunes. Au d�but, je voulais me persuader que c��tait � cause de sa condition d�orphelin. C��tait en partie vrai. Ce n��tait pas la v�ritable raison ou la seule motivation. M. Mohamed F, � p�re de Karim � m�habitua � d�autres visites. Tant�t c��tait pour m�exprimer sa satisfaction de voir mon �l�ve progresser et me remercier, tant�t pour me prouver qu�il s�int�ressait � la scolarit� de son fils. Nos rapports n��taient plus conflictuels et nous avions plaisir � bavarder, � �changer nos points de vue, nos opinions sur divers sujets. Peu � peu, je me rendis � l��vidence : pour la premi�re fois, je me sentais fortement attir�e par un homme. Je ne fus alors nullement �tonn�e de devenir sa femme une ann�e apr�s. Ce n��tait pas l�amour fou ni la grande passion. Mais Mohamed �tait de bonne compagnie et je me sentais prot�g�e par cet homme de cinquante ans. Karim m�avait accept�e et si l�on m�avait annonc� en ce temps-l�, que ma vie d��pouse combl�e allait basculer dans l�horreur, j�aurais ri aux �clats et cru � une plaisanterie de mauvais go�t. En f�vrier 1984, je sus que j�allais �tre maman. C�est mon �poux qui d�cida que ce serait le professeur L... qui suivrait ma grossesse et m�accoucherait. �C�est le meilleur obst�tricien�, me dit-il. Lors de mon premier rendez- vous, je fus �tonn�e de voir autant de femmes dans la salle d�attente. Elles aussi disaient : �C�est le meilleur.� Les unes affirmaient qu�il avait r�alis� des �miracles� chez des femmes st�riles, les autres rench�rissaient en usant et abusant d�adjectifs flatteurs et all�chants pour de nouvelles patientes comme moi. Lorsque vint mon tour, je me retrouvai face � un homme d�une rare froideur qui m�examina rapidement : �Votre grossesse ne pose pas de probl�mes particuliers, mais il faudra tout de m�me faire attention car vous �tes une primipare �g�e.� Je venais de f�ter ma trente-troisi�me ann�e et n�avais absolument pas l�impression d��tre une p�rim�e. Je me sentais en meilleure forme qu�� quinze ans. Sit�t rentr�e � la maison, je fis part � mon mari de mon intention de changer de cr�merie. Mohamed s�y opposa farouchement et je l�entendis me redire : �Il est excellent.� J�aurais pu passer outre mais je ne voulais pas contrarier mon �conjoint�. Je m�en suis mordu les doigts le restant de mes jours. Mois apr�s mois, le petit �tre qui �tait en moi me procurait un bonheur incommensurable. Il �voluait normalement et �se pr�sentait bien�, selon le docteur L ... Vint alors le grand jour, cet apr�s-midi d�octobre 1984. Heureuse d�accueillir mon b�b�, j��tais d�cid�e � supporter la douleur puisque au bout du parcours j�allais serrer dans mes bras et contre ma poitrine mon enfant. Je me rendis � l�h�pital accompagn�e de ma m�re, ma s�ur et mon fr�re. Mohamed �tait en voyage pour affaires. Il ne pouvait pas reporter son d�placement et �n�avait pas grand-chose � faire, le docteur L... s�occupera parfaitement de toi�, me dit-il. J��tais pein�e mais n�en laissais rien para�tre. Karim partageait ma joie et cela me r�confortait. Il voulait un petit fr�re. Je ne connaissais pas le sexe de l�enfant, je savais seulement que si c��tait un petit gar�on j�ajouterai � son premier pr�nom celui de mon p�re d�c�d� apr�s mon mariage. A treize heures trente, j��tais admise en salle Rendez-moi de travail. Le professeur L... fit son apparition en tenue de ville. Une sage-femme exp�riment�e et comp�tente lui expliqua que l�accouchement pouvait commencer. Il la fusilla du regard : �L�accouchement aura lieu quand je le d�ciderai. Je n�ai aucune le�on � recevoir de vous�. Il ressortit et ne revient qu�� dix-sept heures ! J��tais totalement �puis�e et effray�e par mon m�decinaccoucheur. Il hurlait, balan�ait les instruments par-dessus son �paule et le travail n�avan�ait pas d�un iota. Je n�avais plus envie de coop�rer et avais l�impression d��touffer. De plus en plus furieux contre lui-m�me, le docteur L... d�cida de pratiquer une c�sarienne. �Pr�parez le bloc, il faut sauver la m�re, tant pis pour le b�b�. Je crois bien avoir fr�l� la mort sans m�me m�en rendre compte. C�est alors que la sagefemme, jusqu�alors silencieuse, profita d�une courte absence du m�decin pour demander � un membre de l��quipe m�dicale � un malabar mesurant presque deux m�tres � d�exercer une tr�s forte pression sur mon ventre. Je dois la vie � Dieu et � cette dame que je ne remercierai jamais assez. C�est au moment o� le docteur L... revint en salle de travail que mon b�b� fit son apparition. Totalement surpris par cette venue impromptue, le professeur L... eut d��normes difficult�s � d�gager l��paule du b�b�. Il tira tr�s fort. Je ne pr�tais gu�re attention � ce qu�il faisait car j�entendis enfin le cri de mon enfant. C��tait un petit gar�on magnifique. Et m�me s�il ne l��tait pas, comme toutes les mamans, je le trouvais tr�s beau. Le lendemain, je le couvris de baisers et le serrai contre moi quelques instants. Puis on m�en s�para, je voulus qu�on me le ram�ne. J�eus droit � des r�ponses �vasives. Seule la sage-femme eut le courage de me dire la v�rit�. Mon b�b� �tait atteint d�une paralysie du plexus bracial parce que le m�decin avait proc�d� � une traction brutale au moment de la d�livrance. Qu�on ne s�attende pas � des explications savantes de ma part. Je ne suis pas le �super� Dr L... ! En ce mois d�octobre 1984, je sais seulement que mon beau b�b� vivra avec un bras gauche paralys�. Trois jours apr�s, le professeur L... daigna tout de m�me me rendre visite et m�expliqua qu�en accord avec le service chirurgie infantile, une intervention sera pratiqu�e sur le nouveau- n�. �On pourra le sauver�. Agac�e, je pose des questions, je veux savoir quelle faute a �t� commise. Suffisant, arrogant, mon interlocuteur me prie de me calmer : �La col�re n�est pas la solution !�. Je rentre � la maison d�vor�e par le chagrin. Mon petit bout ch�ri est rest� � l�h�pital en attente d�une op�ration chirurgicale. Je me dis que dans quelques semaines mon enfant sera peut-�tre comme les autres. De retour � la maison, mon mari ne semble pas aussi scandalis� que moi. �Je consid�re que tu es injuste. Le Dr L..... t�a sauv� la vie et puis nous aurons un autre b�b�. Non et mille fois non ! C�est ce b�b� que j�ai voulu, que j�ai port�, qui a boug� en moi. C�est ce b�b� que je veux serrer dans mes bras. C�est mon enfant que je veux ! Je comprends que mon �poux puisse �tre soulag� de me savoir vivante, �tant traumatis� par la perte de sa premi�re femme. Je ne parviens pas pour autant, � admettre qu�il ne veuille pas conna�tre la v�rit�. Serait-ce parce que le Dr L... �tait son choix � lui ? Serait-ce de l�indiff�rence ? Serait-ce parce qu�il a d�j� un enfant ? Ramzi-Rachid, mon b�b�, doit �tre op�r� d�but novembre. Il a tr�s peu de chances de r�cup�rer l�usage de son bras, me dit le chirurgien. �Mais qui ne tente rien n�a rien� me dis-je. Un matin, je m�appr�te � me rendre � l�h�pital au service p�diatrie lorsque retentit la sonnerie du t�l�phone, Mohamed �m�annonce� que notre b�b� a souffert de difficult�s respiratoires et qu�il est d�c�d� dans la nuit. Je crois avoir hurl� telle une b�te traqu�e et bless�e �C�est mieux ainsi parce qu�il aurait eu une vie g�ch�e et nous avec lui�, ajoute Mohamed qui pense me consoler de cette fa�on. Au moment o� nous nous appr�tons � quitter l�h�pital avec le petit corps inerte de mon b�b�, mon regard fixe sur son visage et son bras droit des marques rouges. Ce ne sont pas les seules. Il y en a aussi sur tout le corps. Nous demandons au praticien qui a conclu � une mort naturelle de nous expliquer le pourquoi de ces traces.
- En effet, j�ai bien vu. Ce sont des morsures de rats. Mais voyez-vous, l�enfant a eu des complications respiratoires. C�est la seule cause du d�c�s. Quant aux morsures, elles ont �t� faites sur un corps inerte. Le rat est une b�te timide qui se sauve au moindre bruit.
Je suis totalement fig�e, incapable de dire quoi que ce soit et de r�agir. Mon b�b�, mon petit ange, a �t� d�glingu� par le Dr. L... et mordu par les rats de l�h�pital mieux nourris que les malades ! Existe-t-il pire cauchemar ? Le rat un animal timide et apeur� par l�homme ? On aura tout entendu. Je me souviens de l��norme rongeur qui se baladait dans la capitale en plein jour. Il faisait fuir les matous les plus m�chants, r�put�s pourtant d��tre d�excellents chasseurs. Apr�s l�enterrement, je d�cide de d�poser plainte contre le professeur L... et contre l�h�pital. Mohamed s�y oppose farouchement.
- Je refuse que mon nom soit cit� dans les tribunaux. j�ai une r�putation � prot�ger.
- Mais enfin, je ne suis pas d�linquante, je suis victime. Qui donc sanctionnera le Dr L... si l�on ne s�adresse pas � la justice ?
- Et apr�s ? Cela nous rapportera quoi ? Un scandale rien de plus.
- Je t�avertis que j�ai d�cid� d�aller jusqu�au bout. Je ne renoncerai pas.
- Dans ce cas je te propose de le faire seule. Avant m�me que l�affaire ne soit enr�l�e j��tais divorc�e. Ma vie conjugale avait �t� de courte dur�e. Cela s�est fait dans la s�r�nit� et sans �clats de voix. Mohamed ne souhaitait certainement pas notre s�paration, mais il n�a jamais voulu comprendre que j�aurais volontiers admis que mon b�b� put succomber � une toxicose, � une maladie infantile ou autre... mais il est mort parce qu�un m�decin ne lui a pas donn� la chance de vivre. Et c�est cette injustice qui m�est insupportable � accepter. Apr�s mon divorce, ma famille devint mon unique soutien. Karim vivait mal la rupture. Ses r�sultats �taient � nouveau en baisse mais je ne pouvais plus rien pour lui. Seule l�affaire me pr�occupait. Ma�tre Mourad m�informa � la fin novembre 1984, que celle-ci serait appel�e pour la premi�re fois, en mars 1985. Il avait d�pos� plainte avec constitution de partie civile contre le Dr. L... et l�h�pital. Les reports du proc�s succ�d�rent les uns aux autres jusqu�au jour o� mon adversaire daigna se pr�senter comme pr�venu. Le tribunal d�signa un expert choisi au sein de la profession m�dicale. Celui-ci d�clara qu�il n�y avait pas eu n�gligence, imprudence ou maladresse et donc pas de faute m�dicale. Mon avocat demanda une contre-expertise. M�me constat, m�mes conclusions. La traction op�r�e par le Dr. L..., selon les deux praticiens, �tait normale parce que la venue du b�b� l�avait surpris. J�ignorais que mon petit ange aurait d� prendre la pr�caution d�envoyer un bristol � �mon� gyn�cologue pour lui annoncer son arriv�e. Celui-ci s�est bien gard� d�avouer � Dame Justice qu�il avait dit en pr�sence de nombreux t�moins : �Il faut sauver la m�re, tant pis pour le b�b�.� Il fut relax� d�abord par le tribunal, puis par la cour. C�est alors que ma�tre Mourad opta pour l�action civile. Elle d�buta en 1986/1987 et prendra fin aujourd�hui. Elle fut longue, on�reuse, �prouvante, �puisante et ai-je vraiment gagn� ? Gagn� quoi ? Quelques ann�es apr�s notre divorce, Mohamed m�expliqua un jour qu�il n�aurait pas �t� capable d�assumer. Je ne lui en demandais pas autant. Je voulais seulement qu�il me soutienne, qu�il soit solidaire. Qu�il soit l�, au moment o� j�avais besoin de lui. En v�rit�, mon ex traitait les drames de la vie comme les bilans de son entreprise : sans �tats d��me. Karim que je n�ai jamais cess� de voir est sur le point de lui succ�der et il ma�trise parfaitement l�anglais. La cour d�appel met l�affaire en d�lib�r�. L�arr�t sera rendu dans une semaine. Je sais que la justice m�octroiera des dommages et int�r�ts. A cette audience-l�, la vingt-huiti�me et la derni�re, je n�assisterai pas. Je ne ferai pas ex�cuter la d�cision de la cour d�appel en chambre civile. Qui donc pourrait comprendre que les billets de banque ne r�parent jamais les d�g�ts caus�s par l�injustice ? Je ne veux pas d�argent, mais mon b�b� � moi. Ma s�ur me reprochait r�cemment que j�avais perdu trop de temps. Durant ces vingt ann�es j�aurais pu me remarier et avoir un autre enfant, m�a-t-elle dit. Elle aussi n�a rien compris. Qui donc pansera ma blessure ? Qui me dira un jour que mon b�b� bougeait ses deux bras � la naissance et qu�il n�avait pas � subir dans un h�pital les assauts des rats ? Mon avocat me dit que le Dr L... est dispos� � verser la totalit� des dommages et int�r�ts. Mon adversaire a ajout� que j�aurais d� demeurer aupr�s de mon enfant et ne pas faire confiance au personnel du service p�diatrie. Pour autant, son conseil a bien pr�cis� que son client acceptait d�indemniser �la m�re indigne� que je suis. Ainsi l�accouch�e, totalement �puis�e n�a pas emp�ch� la brutalit� commise sur son enfant et n�a pas pens� � d�ratiser l�h�pital. Elle est la seule coupable. Grand Seigneur, le professeur L... m�a accord� n�anmoins les circonstances att�nuantes. Apr�s tout, ne devrais-je pas �tre heureuse de m�en sortir � bon compte ?
(1) C�l�bre phrase prononc�e dans un discours par le premier pr�sident de la R�publique (1962-1965).
(2) Fr�res et s�urs au pluriel


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