Merad préside la cérémonie d'installation des walis suite au mouvement partiel opéré par le président de la République    Investissement : baisse prochaine des taux d'intérêt par les banques    Algérie-Zambie : signature d'un accord de coopération dans le domaine de l'Enseignement supérieur    Athlétisme / Ligue de diamant 2024 : l'Algérien Slimane Moula sacré sur 800 m à Suzhou    Cause palestinienne: Goudjil dénonce la passivité de la communauté internationale    Ghaza: les manifestations contre l'agression sioniste gagnent les campus européens    Ghaza : le bilan de l'agression sioniste s'élève à 34.388 martyrs    Belmehdi rencontre les représentants du Conseil national autonome des imams et fonctionnaires du secteur    La DSA lance un appel en faveur des agriculteurs pour s'impliquer dans l'opération    Vers le renouvellement du cadastre des terrains    Une porte-parole du Département d'Etat américain démissionne en raison de la politique de Washington    Génocide à Ghaza : La plupart des corps découverts dans les fosses communes des hôpitaux ne sont pas identifiables    La Réunion consultative entre les dirigeants de l'Algérie, de la Tunisie et de la Libye, une «réussite»    Sonatrach signe un protocole d'entente avec la société omanaise OQ Exploration & Production    Affaire USMA – RSB, la CAF saisit le tribunal international    Algérie Télécom sponsor officiel du tournoi zonal d'escrime de qualification aux Jeux Olympiques 2024    L'amie de la Révolution algérienne Briou André Alice Jeanne n'est plus    Saisie de 935 comprimés de psychotropes, 287,71 g de kif et 5 suspects arrêtés    Arrestation de 2 voleurs grâce au numéro vert 1548    Arrestation    Espagne: saisie de 25 tonnes de haschich dans un camion de melons en provenance du Maroc    Festival du film méditerranéen à Annaba : "130 ans de cinéma italien à travers le regard des critiques", objet d'une conférence spéciale    Un modèle de l'unité et de la cohésion du peuple algérien dans sa résistance à l'occupation française    Une voix claire et retentissante doit être accompagnée d'un bon niveau de langue pour bien communiquer oralement    Un célèbre acteur néerlandais a embrassé l'islam    La préservation de la mémoire nationale conditionnée par l'utilisation des technologies modernes    Favorable au MCA, lutte acharnée pour le maintien    Ould Ali (JSK) : «Tout mettre en oeuvre pour redorer le blason du club»    Boughali au Caire pour prendre part aux travaux de la 6e conférence du Parlement arabe    Accidents de la circulation : 44 morts et 197 blessés en une semaine    Championnats d'Afrique individuels de judo : Dris Messaoud (-73 kg) et Amina Belkadi (-63 kg) sacrés    NESDA: près de 9.900 projets financés en 2023    Festival du film méditerranéen d'Annaba : "Bank of Targets" inaugure les projections du programme Viva Palestine    Chanegriha impitoyable à la préparation au combat    Les médias conviés à une visite guidée du Centre de formation des troupes spéciales    Le ministre de la Justice insiste sur la fourniture de services de qualité aux citoyens    Témoignage. Printemps Amazigh. Avril 80        L'ORDRE INTERNATIONAL OU CE MECANISME DE DOMINATION PERVERSE DES PEUPLES ?    Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'imagination au pouvoir.    Le diktat des autodidactes    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    El Tarf: Des agriculteurs demandent l'aménagement de pistes    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



MOHAMMED BOUTALEB, PR�SIDENT DE LA FONDATION �MIR ABDELKADER AU SOIR D�ALG�RIE :
�La soci�t� que concevait l��mir Abdelkader �tait pluriconfessionnelle�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 07 - 2009

Que sait la g�n�ration actuelle de l�Emir Abdelkader ? Pas grand-chose, sommes-nous tent�s de dire, comme sur toutes ces grandes personnalit�s qui ont marqu� l�histoire de l�Alg�rie. On les retrouve dans quelques passages dans des manuels confectionn�s � la h�te et sans recherche. Alors que des nations sans civilisation, sans Histoire, s�inventent des gloires et des victoires, nous, nous complaisons dans cette qu�te acharn�e � ternir ce qui doit faire notre fiert�. Dans cet entretien que Mohammed Boutaleb, le pr�sident de la Fondation Emir Abdelkader nous a accord�, nous apprenons que l�Emir a con�u le premier Etat alg�rien avant m�me l�existence de l�Italie ou de l�Allemagne en tant que tels. C�est aussi le premier homme � avoir pos� les jalons de ce qui est d�sormais appel� �les droits de l�homme� par sa fa�on de traiter les prisonniers de guerre et son �quit� face aux autres races qui composaient son arm�e. Il a �t� �galement consid�r� � son �poque comme l�incarnation de la tol�rance et du dialogue entre les religions pour avoir sauv� des milliers de chr�tiens d�une mort certaine. Il serait peut-�tre temps de revoir la relation qu�a l�Alg�rien avec son histoire car, comme disent les sociologues, �on ne peut construire son avenir sans conna�tre son pass�. Le d�bat est ouvert pour reconsid�rer les faits de notre Histoire avec ses failles, ses d�fauts, ses points faibles et ses points forts.
Entretien r�alis� par Fatma Haouari
Le Soir d�Alg�rie : Pourriez-vous nous pr�senter la fondation Emir Abdelkader et pour quel objectif a-t-elle �t� cr��e ?
Mohammed Boutaleb : L�id�e de cr�er une fondation remonte � 1990 lorsque des historiens, des hommes de lettres et des politiciens, conscients du d�ficit dans la m�moire historique de l�Alg�rie, ont d�cid� de cr�er une organisation. Celle-ci se chargerait de pallier le d�ficit constat� au niveau des institutions cens�es jouer un r�le primordial dans la transmission de la m�moire historique. Suite � la premi�re assembl�e constitutive qui s�est tenue � Mascara en juillet 1991, la fondation a vu le jour, quelques mois plus tard. Elle a �t� agr��e en novembre 1991. La fondation s�est trac� un programme qu�elle met en application de fa�on r�guli�re. Une des activit�s de notre fondation consiste � donner diff�rents �clairages sur ces pages d�histoire de l�Alg�rie �ternelle qui ont �t� �crites par l�Emir, par ses khoulafa califes ou gouverneurs r�gionaux), souvent m�connus, et d�une mani�re g�n�rale par tous ceux qui sur cette terre ont inscrit le si�cle dernier au grand dessein de forger une v�ritable nation d�passant les contingences r�gionalistes et tribales. Une nation susceptible de faire �chec � la mainmise coloniale, � �diter aussi une soci�t� valorisant les potentialit�s de l�Alg�rie et puisant son inspiration dans son patrimoine religieux, culturel et linguistique mill�naire. La fondation fonctionne avec un budget modeste et organise annuellement deux colloques importants, le 28 mai et le 27 novembre. Ces manifestations sont d�clin�es au niveau local par la trentaine de sections activant � travers le territoire national.
La comm�moration du d�c�s de l�Emir Abdelkader est pass�e quasi inaper�ue. N�est-il pas temps de se pencher s�rieusement sur l��uvre et le parcours de l�Emir peu ou mal connus par les nouvelles g�n�rations ?
Effectivement, nous d�plorons le fait qu�une date aussi importante que celle-ci ait �t� pass�e sous silence. C�est n�anmoins un devoir qui incombe � tous que de faire en sorte que l�h�ritage historique soit transmis aux g�n�rations futures, et les dates sont autant de jalons n�cessaires pour montrer l�itin�raire de l�Emir. Trop longtemps, en effet, l�inconscient collectif en Alg�rie a continu� de rechercher dans l�historiographie d�culpabilisante et moralisante de la colonisation, les composantes de son identit�, les lambeaux de son pass�. Chez nous, les responsables d�hautes institutions de l�Etat, pourtant invit�es en bonne et due forme, dans une troublante unanimit�, ont oubli� le 26 mai, date � laquelle ils ont pourtant assist� les ann�es pr�c�dentes. L�Emir ne m�ritait pas ce jour-l� une minute de recueillement au S�nat et � l�APN ? Aucun des ambassadeurs arabes et musulmans n�a daign� venir au cimeti�re ou s�y faire repr�senter. Par contre, les ambassadeurs occidentaux et des Am�riques �taient pr�sents, un autre curieux paradoxe ! Mais cela n�emp�che pas la fondation de suivre tranquillement son programme et de se rapprocher de temps en temps du mouvement associatif qui a montr� sa v�ritable solidarit�. La fondation a le devoir de restituer � la nation alg�rienne son fier pass� et lui rappeler que cette terre qui a vu na�tre des hommes d�exception tels que l�Emir est en mesure d�enfanter de dignes h�ritiers. Au niveau de la fondation, la volont� est grande, bien que les moyens soient limit�s. Malgr� cela, nous nous sentons contraints, vis-�vis des g�n�rations futures, de poursuivre cette lourde t�che, et cela quels qu�en soient les sacrifices. Ce n�est pas seulement par gratitude que nous comm�morons les �v�nements importants de notre histoire mais plut�t par devoir patriotique � l��gard de ceux et celles qui ont contribu� � forger notre conscience, notre identit�, notre nation et notre humanit�. C�est � nos enfants que nous adressons ce message afin que l�histoire soit source de vie et �galement un socle sur lequel on b�tirait un avenir serein. Dans une p�riode o� r�gne la confusion et face au manque de r�f�rents solides, c�est tout naturellement que la personnalit� de l�Emir Abdelkader appara�t � nos yeux. Ce qu�il faut savoir, c�est que ce dernier se r�f�re principalement, dans tout ce qu�il entreprend, au sein Coran. Ainsi l�image de l�Emir Abdelkader est v�hicul�e par la fondation � l�occasion des dates importantes, et/ou en collaboration avec d�autres associations alg�riennes ou �trang�re. Paradoxalement, l�Emir continue � �tre davantage connu � l��tranger, dans les pays de son exil, qu�en Alg�rie. Des associations fleurissent en France o� les historiens, chercheurs, hommes et femmes politiques d�origine maghr�bine animent des rencontres politiques avec des responsables locaux curieux de mieux conna�tre l�itin�raire et la pens�e de notre h�ros national. Un Fran�ais de Paris nous a �crit pour nous demander l�autorisation d��riger un mus�e � la gloire de l�Emir. D�autres personnes l�ont fait pour cr�er des sections. La jeunesse aussi fait montre d�une saine curiosit�, des groupes de lyc�ens d�Alger sont dirig�s annuellement par l�acad�mie vers des apr�s-midi culturels organis�s par la fondation et y participent avec un �tonnant int�r�t.
Ne faut-il pas enseigner son histoire d�une mani�re objective et recherch�e dans nos �coles ?
Non seulement l�histoire de l�Emir Abdelkader doit �tre enseign�e, apr�s avoir �t� r�vis�e bien entendu, mais �galement l�histoire de tous ceux qui lui ont succ�d� et ceci, jusqu�� l�ind�pendance de notre nation. Il faut avant de s��tendre sur la question, faire un bilan pour savoir o� on en est. Nous nous devons d�abord de remercier tous ceux qui par leurs �crits, �tudes et travaux de recherche, ont largement contribu� afin que l�Emir Abdelkader retrouve la place qui lui revient dans une histoire atrophi�e par l�historiographie dominante, qu�elle soit coloniale ou post-coloniale. Parmi les principaux auteurs alg�riens, nous citerons les professeurs Sa�dallah, Mahfoud Kaddache, Cheikh Bouamrane, Yahya Bouaziz, le Dr Belhammissi, le Dr Mohamed-Ch�rif Sahli, le Dr Mahfoud Smati, Boualem Bessaieh, Me Abdelkader Boutaleb, le Dr Amiraoui, le Dr Rachid Bena�ssa, le Pr Sahraoui, Kateb Yacine, Abdelaziz Ferrah, Amar Belkhodja, Mme Hassan Dawadji, Kebir Ammi, Ahmed Bouyerdene, Rabia Moussaoui, Waciny La�redj, Abdelhamid Zouzou, Annane La�d. Comme �trangers, nous citerons Henry Churchill, Alexandre Bellemare, L�on Roches, Marcel Emerit, D�Estailleur, Danziger, Colonel Scott, G�n�ral Azan, Dinezene, le compte de Civry, Charles Andr� Julien, Charles-Robert Ageron, Augustin Berque, Jacques Berque, Bruno Etienne, Fran�ois Pouillon, Christian Delorme, Martine Le Goz, et bien d�autres. Pourtant malgr� la litt�rature abondante, fictive et non fictive, disponible aussi bien en arabe qu�en fran�ais que dans d�autres langues (anglais, espagnol, allemand, russe, polonais, danois, hollandais et m�me en tha�landais), la jeune g�n�ration dans sa grande majorit�, ne semble pas conna�tre l�histoire du fondateur de l�Etat moderne alg�rien. La fondation a contribu� aux efforts individuels des auteurs pr�cit�s en organisant, d�une part, de nombreuses manifestations culturelles (aussi bien sur le territoire national qu�� l��tranger), en comm�morant les dates importantes telles que la Moubaya�, les batailles contre l�envahisseur, le d�c�s de l�Emir. D�autre part, en publiant de nombreux ouvrages, revues et actes de colloques dus � l�initiative de la fondation m�me. A ce propos et pour en revenir � l�enseignement de l�histoire, un livre de l��minent historien alg�rien Yahya Bouaziz a �t� con�u et �dit� par la fondation afin d��tre incorpor� dans les programmes scolaires, une fois l�agr�ment obtenu. Je pourrai �galement vous donner une id�e de la place qu�occupe Abdelkader dans les manuels scolaires. Lors du colloque organis� par la fondation en 2005, le Pr Mustapha Ch�rif, ancien ministre de l�Enseignement sup�rieur, nous fit, dans une remarquable intervention, un bilan �difiant concernant l�enseignement de l�histoire de l�Emir dans les programmes scolaires, du primaire jusqu�au dernier cycle universitaire. Nous citons ici les passages en question : �A titre indicatif au niveau du programme scolaire, seule en classe de quatri�me ann�e primaire et dans la discipline langue arabe, une page et demie relate bri�vement le r�le de l�Emir dans la r�sistance � la colonisation et l��dification de l�Etat alg�rien. Dans la discipline histoire, au coll�ge, c�est en classe de septi�me qu�une seule le�on traite de notre h�ros, puis en classe de huiti�me, un texte sur des t�moignages. Enfin, en neuvi�me, il est �tudi� rapidement dans le cadre du mouvement national de r�sistance. Au lyc�e uniquement en classe de 1re ann�e secondaire, l�Emir est cit� dans une le�on d�histoire, toujours avec comme aspect principal la dimension guerri�re. Au niveau universitaire, en licence d�histoire, aucun module, en tant que tel n�est consacr� � l�Emir Abdelkader. Il est cependant cit� en premi�re ann�e, dans le chapitre concernant le mouvement national et la r�sistance populaire. Dans les autres fili�res en sciences humaines et sociales (sociologie, lettres, th�ologie ou sciences islamiques), presque aucun aspect relatif � l�apport de l�Emir n�est abord� ou signal�. Au niveau de la recherche, � l�Universit� d�Alger par exemple, de 1962 � nos jours, tr�s peu de m�moires de magist�re ou th�ses de doctorat sont consacr�es � l�Emir Abdelkader. D�autre part, il n�existe ni chaire universitaire de l�Emir ni de fonds documentaires cons�quents sur lui, notamment sur les quatre �tapes essentielles de sa vie, sa formation et son �ducation de 1808 � 1832, son combat anticolonial durant dix-sept ans de 1830 � 1847, sa captivit� de 1847 � 1852 et son exil de 1852 � 1883, date de son rappel � Dieu. Sur le plan du patrimoine historique, des arts et de la culture, hormis des expositions disparates, � proprement parler, il n�existe pas encore un mus�e national de l�Emir o� toutes les archives, objets symboles, sont regroup�s et mis en valeur. Cela m�rite d��tre envisag�. Son �uvre, ses �crits, ses correspondances, sont �parpill�s � travers le monde, dans des collections priv�es ou appartenant � des institutions officielles, avec des acc�s peu ais�s aux chercheurs. Il a fallu attendre l�ann�e 2002, par exemple, pour que notre ambassade � Damas r�ussisse � r�cup�rer des archives de premier plan appartenant � l�Emir, comme le manuscrit original des Mawaqifs. Malgr� un travail non n�gligeable accompli pour certains sites historiques, nombre de demeures o� il a habit� et travaill�, � l��tranger et en Alg�rie, sont perdues ou attendent d��tre restaur�es. Une universit� des sciences islamiques � Constantine, quelques �coles et lyc�es, notamment l�ex-lyc�e Bugeaud, au niveau de la capitale, et quelques rues et places dans certaines de nos villes, portent son nom, mais est-ce suffisant pour pouvoir garder vivante et op�ratoire la m�moire de ce symbole majeur, exemple pl�nier de l�universel pour les g�n�rations pr�sentes et � venir.
L�Emir Abdelkader a �t� le premier chef d�Etat alg�rien. Il poss�dait en outre une double l�gitimit�, populaire et de par sa filiation au Proph�te. Voulez-vous nous �clairer sur cet aspect de sa personnalit� ?
En effet, au courant des bouleversements que subissait un Occident en pleine transition (les Etats-nations faisant timidement leur apparition dans le panorama g�opolitique internationale, l�Allemagne et l�Italie par exemple n�existaient pas en tant que nations, l�empire ottoman �tait en pleine crise), l�Emir r�alise que conjointement � la r�sistance arm�e, il �tait n�cessaire de construire un Etat moderne, lequel permettrait un nouveau d�part pour les Alg�riens, et il �tait �galement essentiel que celui-ci soit con�u selon de nouvelles normes. En pratique, dans une premi�re phase qui va de 1832 � 1838, l�Emir Abdelkader est concr�tement souverain des deux tiers de l�Alg�rie actuelle. Il s�attelle alors � la construction d�un Etat moderne, c'est-�-dire un Etat diff�rent de celui qui pr�c�dait l�invasion fran�aise. Dans la conception d�Abdelkader, le syst�me tribal pr�colonial, en vigueur sous les Ottomans, et dont s�accommod�rent dans un premier temps les forces d�occupation (pr�tendument civilisatrices), n�avait plus sa raison d��tre. Une arm�e de m�tier est constitu�e afin de ne plus d�pendre de l�humeur des tribus. Un syst�me juridique, une Assembl�e consultative, une nouvelle monnaie est frapp�e et des industries voient le jour. Une gestion plus �quitable de l��conomie est mise en place. Il savait �couter, et sa curiosit� intellectuelle est d�une acuit� hors du commun. R�cemment, un intervenant fit une comparaison assez pertinente entre l�Emir Abdelkader et Mo�awiya Ibn Abi Sufiyan, le prince ommeyade. Je me permets d�emprunter l�image que je consid�re plut�t comme un hommage. L�Emir s�est appuy� pour la construction d�un Etat national sur l�action politique men�e par Hamdan Khodja aupr�s des Alg�riens pour leur coh�sion et notamment aupr�s des puissances �trang�res pour leur faire admettre l�int�r�t de l�ind�pendance de l�Alg�rie. Le combat �tait in�gal aussi bien sur le terrain politique que militaire. Cependant, l�ardeur patriotique des deux hommes les engagea � chercher d�abord un compromis avec la puissance coloniale, ensuite, ils n�h�sit�rent pas � relever le d�fi lorsque leur tentative de coop�ration eut �chou�. La strat�gie de l�Emir fut, d�abord, l�unification de l�Alg�rie sous une seule autorit�. �Tout au plus, admit-il�, �crit Charles Andr� Julien, l�occupation par les Fran�ais de zones littorales autour d�Alger, B�ne et Oran, car il consid�rait que n��tant plus le sultan de la mer, sa v�ritable t�che consistait � unifier l�int�rieur. Il se proposa en effet de fonder en Alg�rie, mis � part, quelques pr�sides, une nation arabe ind�pendante. Certes, il cherchait dans son programme de r�formes �conomiques, sociales, politiques et culturelles un mod�le, qui s�inspirait de la civilisation islamique, mais il ne craignait nullement d�entrer en contact avec des Europ�ens. Ses proches conseillers pour les affaires ext�rieures furent Ben Durand, juif d�Alger, �lev� � Marseille, et L�on Roches, citoyen fran�ais converti � l�Islam. Cependant, l�Emir Abdelkader ne s�arr�te pas � la po�sie ; c�est un v�ritable chef d�Etat, un organisateur et un meneur d�hommes. Il adorait �grener le chapelet mais savait �galement manier le sabre. Il voulait un Etat moderne mais sans renier le pass�. Authenticit� et modernit� assimil�es semblaient constituer son objectif final. Pour r�aliser son programme, il lui fallait non seulement une volont� ferme, mais aussi un ascendant sur son entourage et une action de persuasion pour entra�ner les masses populaires dans une voie moderniste. L�Emir proc�da d�abord � un nouveau d�coupage administratif. Les beyliks sont divis�s en khalifatiks, dirig�s par des khalifas, le titre de bey est supprim�. Les aghas et les ca�ds sont �lus pour un mandat de dix mois ou d�un an renouvelable. Les cadis r�tribu�s par l�Etat, la justice �tait donc gratuite et contr�l�e. Chaque fois qu�il s�arr�tait dans une localit�, il faisait annoncer par un crieur public que le sultan se tenait � la disposition du public pour recevoir ses plaintes et ses dol�ances. Abdelkader ne dressa pas de barri�res entre lui et le peuple. Il garda la tradition qui l�unissait � lui dans une simplicit� caract�ristique du marabout qui �tablissait toujours une communication directe avec son entourage pour mieux l��duquer. Au point de vue militaire, il r�vait d�avoir une arm�e � l�image de celle de Muhammad Ali. Il avait fait venir des instructeurs de Tunis et du Proche-Orient. Des d�serteurs europ�ens participaient � la formation de cette jeune arm�e. Un r�glement militaire a �t� institu�, il pr�voyait la r�compense des soldats qui se distinguaient comme la punition de ceux qui commettaient des fautes. On s�acheminait r�ellement vers une arm�e moderne calqu�e sur le mod�le fran�ais. Le capitaine Daumas rapporte qu�on �fabriquait des aff�ts � Miliana. On a m�me essay� d�y construire des voitures�. Il ajoute plus loin : �A Miliana, on confectionne des souliers fran�ais pour l�infanterie.� Si l�Emir portait un si grand int�r�t � son arm�e, s�il cherchait � d�velopper l�industrie, notamment celle de l�armement, il ne n�gligeait pas le r�le de la police aussi bien celle charg�e du maintien de l�ordre que celle plac�e pour r�colter l�information. Le capitaine Daumas qui, en tant que consul, n�omettait pas de transmettre le moindre renseignement �crivait : �Youssouf (un d�serteur) m�a dit que l�Emir avait une police organis�e et bien pay�e. Elle se compose d�une cinquantaine d�hommes qui, mal v�tus et sous le pr�texte de vendre ou acheter, se glissent partout, ont des entrevues avec des gens d�vou�s qui habitent nos villes et l�instruisent aussi de tout ce qui se passe.� Le pouvoir de l�information, dans son sens le plus large, a �t� saisi par l�Emir ; il l�utilisa et le g�n�ralisa aussi bien pour r�pandre ses id�es dans les milieux fran�ais que pour �tre inform� sur eux. Il cr�a tout un r�seau d�agents �tablis dans des villes strat�giques pour lui fournir autant que possible les renseignements dont il avait besoin. Charles Andr� Julien nous dit que �l�Emir s�informait assid�ment des tendances du pouvoir et des mouvements d�opinion tant � Paris qu�� Alger. Il se faisait traduire les journaux fran�ais et t�chait d�avoir par son correspondant � F�s, des nouvelles exactes sur ce qui se passait en France. Il semble qu�il ait eu, dans toutes les villes occup�es, des agents de renseignements fran�ais, parfois importants qu�il appointait. Dans son m�moire au ministre de la Guerre d�ao�t 1840, Garcin signale un cas qu�il tenait de Miloud ben Harach, l�ambassadeur extraordinaire de l�Emir � Paris en 1838 : (c�est un g�n�ral fran�ais en retraite, habitant Paris, et hautement plac�, qui le tiendrait au courant de tout ce qui peut l�int�resser. Trois mille piastres sont ses appointements annuels). A l�ext�rieur, Abdelkader entretient des relations avec les personnalit�s du Moyen-Orient, mais s�appuya surtout sur le sultan du Maroc�. A partir de quelques �l�ments historiques glan�s dans les ouvrages consacr�s � l�Emir, nous pouvons conna�tre sa conception de l�Etat repr�sentant une nation. Il doit �tre : l�expression de la souverainet� nationale, c��tait au nom de cette l�gitimit� que l�Emir exigeait la soumission des r�fractaires comme Tidjani, chef de confr�rie et seigneur du d�sert. Elu par un grand nombre de chefs de tribus, de notables, de responsables de culte et de Ulama, il �tait donc le seul � d�tenir le pouvoir et � l�exercer l�gitimement. Cette attitude s�appuyait sur le droit constitutionnel musulman. C�est ainsi que l�Emir d�clara aussit�t �lu : �Je gouvernerai, la loi � la main, et si la loi l�ordonne, je ferai moi-m�me de mes deux mains une saign�e derri�re le cou de mon fr�re.� L�arm�e, elle, constitue l�appui principal du pouvoir �tatique. L�int�r�t manifest� pour la cr�ation d�une arm�e r�guli�re, r�tribu�e, entra�n�e et encadr�e par des hommes fid�les, assure au gouvernement le monopole de l�exercice du pouvoir et le met � l�abri des caprices des chefs de tribus. Il reste que le r�le principal des militaires, c�est la d�fense du territoire. L�Emir accordait sa pleine attention au fonctionnement du syst�me �conomique. Il cherchait � le r�organiser en cr�ant le monopole d�Etat. Les paysans produisaient librement, mais la commercialisation revenait aux agents du gouvernement. Tout le commerce ext�rieur �tait entre les mains de l�Etat. Ce fut une forte source de revenus. Quand aux petites unit�s industrielles, elles �taient � leur d�but ; elles appartenaient � l�Etat et les objets fabriqu�s lui �taient destin�s. On peut r�sumer les id�es de l�Emir concernant le pouvoir politique en quatre points : L�gitimation par une volont� populaire exprim�e par les notables. Une justice rendue sans �quivoque. Une arm�e pour assurer l�ordre, une �conomie pour distribuer les richesses aux hommes. On peut retrouver ce concept d�Etat moderne dans l�ouvrage du professeur Mahfoud Smati intitul� Formation de la nation alg�rienne.
Un �pisode revient souvent aussi bien dans les �crits relatifs � l�Emir que ceux traitant de l�histoire du XIXe si�cle, ce sont les �v�nements de Damas en 1860. Quel fut en r�alit� le r�le de l�Emir dans cette affaire ?
Pour en revenir aux faits historiques, il faut rappeler qu�en 1860, de graves �v�nements ont lieu � Damas. Une minorit� religieuse, les chr�tiens maronites, sont soup�onn�s d�intelligence avec un imp�rialisme fran�ais d�sireux de cr�er un royaume chr�tien dans la r�gion au d�triment des Druzes. Ces derniers manipul�s par un pouvoir ottoman d�cadant se mettent � massacrer les chr�tiens sans distinction. L�Emir, inform� de la gravit� de la situation, regroupa ses Alg�riens et les armes � la main s�interpos�rent entre les Druzes et leurs victimes mena�ant de verser le sang de quiconque toucherait � un cheveu des personnes b�n�ficiant de sa protection. Il envoya �galement ses hommes chercher tous les chr�tiens de la ville afin qu�ils se r�fugient dans ses propri�t�s jusqu�� ce que les esprits se calment et qu�une solution politique soit trouv�e. Agissant ainsi, Abdelkader parvint � sauver d�une mort certaine plus de 12 000 chr�tiens. Devant une telle le�on de bravoure, de courage et de chevalerie, l�Occident n�a pas manqu� de reconna�tre en Abdelkader un nouveau Saladin (celui-l� m�me qui �pargna les chr�tiens de la J�rusalem reconquise en 1187). Les �loges et la reconnaissance provenant des plus grandes capitales occidentales ont �galement attir� l�attention d�institutions telles que la franc-ma�onnerie europ�enne qui tout en le f�licitant l�invita � adh�rer � une de leurs loges en Orient. Une correspondance s�ensuivit et de l� remontent toutes les sp�culations savantes concernant le lien de l�Emir avec la franc-ma�onnerie.
Comment ont r�agi les puissances de l��poque devant le geste de l�Emir ?
Les grandes puissances d�alors lui t�moign�rent de la gratitude et de l�admiration et lui envoy�rent des messages de remerciements accompagn�s de pr�sents et des plus hautes d�corations. La Russie lui d�cerna la Grande Croix de l�Aigle Blanc, la France le Cordon de la L�gion d�honneur, la Prusse la Grande Croix de l�Aigle Noir, la Gr�ce la Grande Croix du Sauveur, L�empire ottoman, le Medjdi� de 1re classe, le Pape l�ordre de Pie IV, la reine d�Angleterre lui offrit un fusil � deux canons superbement incrust�s d�or et le pr�sident Lincoln des Etats-Unis d�Am�rique une paire de pistolets �galement incrust�s d�or. Je profite de l�occasion pour pr�ciser que les photos de l�Emir o� il porte toutes les d�corations en question ne sont que des montages post�rieurs. Il y a souvent une m�sinterpr�tation de la part des Alg�riens qui ignorent les circonstances de l�octroi de ces d�corations.
Vous �voquez la franc-ma�onnerie en parlant des �v�nements de Damas, � ce sujet, Bruno Etienne, dans son livre consacr� � l�Emir, insiste sur le lien de ce dernier avec cette soci�t� secr�te. Comment interpr�tez-vous le fait que les historiens, les politiques et les religieux soient si frileux et si divergents concernant ce pan de l�histoire de l�Emir ?
Il n�est gu�re conseill� de se hasarder � r�pondre � une telle question sans l�avoir au pr�alable mise dans son contexte historique. Il faut peut-�tre rappeler que c�est sur la base d�une simple correspondance que les tenants de la th�se affirment le lien franc-ma�onnique de l�Emir. Il semblerait que ce soit Xavier Yacono, Fran�ais d�Alg�rie d�origine italienne, qui le premier, au d�but des ann�es soixante, �crivit un article o� il mit � jour la correspondance en question. Pour ceux qui seraient int�ress�s par cet �pisode en particulier, je recommande la lecture de Mohammed Cherif Sahli, Rachid Bena�ssa et Mme Hassan Dawadji, lesquels se sont appliqu�s � r�futer la th�se fran�aise relative � cette question. Pour ce qui est des chercheurs occidentaux, apr�s les travaux pionniers de Xavier Yacono, Bruno Etienne, francma�on lui-m�me, affirme et d�fend l�appartenance de l�Emir � la confr�rie franc-ma�onne de son �poque. Comme nous l�avions �voqu� plus haut, l�Emir Abdelkader avait pris sous sa protection la communaut� des Alg�riens ; mais aussi la communaut� chr�tienne et europ�enne lors des �meutes de juillet 1860. Il leur permit d��chapper aux massacres qui ont eu lieu entre les chr�tiens maronites et les musulmans druzes. Ces affrontements sont la cons�quence de manipulations des deux grandes puissances coloniales de l��poque, la France et l�Angleterre. En effet, la France manipulait les chr�tiens maronites en leur promettant un Etat ind�pendant ; tandis que l�Angleterre manipulait de son c�t� les Druzes pour contrecarrer les ambitions fran�aises dans la r�gion et r�aliser ses desseins mercantiles. L�Emir, en tant que musulman, avis� des intrigues des uns et des autres, intervint et a offert sa protection aux chr�tiens. Cette attitude, somme toute naturelle de la part d�un fid�le musulman, a eu un �cho consid�rable dans le monde entier, et surtout en Occident. Dans son attitude qualifi�e de tol�rante, l�Emir n�a fait qu�ob�ir aux pr�ceptes coraniques et proph�tiques, rien de plus. Les versets et propos proph�tiques relatifs � la tol�rance sont abondants, et l�Emir n�a fait que son devoir de simple croyant pour pr�server le droit des minorit�s religieuses en terre d�Islam. Leur existence parmi la communaut� musulmane prouve s�il en faut cette tol�rance. La franc-ma�onnerie voulant profiter de la situation s�est adjointe au concert de f�licitations et remerciements qui fusaient de toutes parts � l��gard de l�Emir. Ainsi, le Grand-Orient de France (GODF) s�est empress� de demander � deux de ses loges parisiennes : la loge Henri IV et la loge La Sinc�re Amiti� de correspondre avec Abdelkader. Mis � part le consensus g�n�ral li� � cette affaire, les raisons qui peuvent expliquer la d�marche du GODF sont, d�une part, la permanence encore au sein de la ma�onnerie de l�id�e de la foi en Dieu ; d�autre part, le souhait des ma�ons � devenir un groupe de pression influent pour orienter les d�cisions de l�Etat fran�ais dans un sens de s�cularisation des soci�t�s humaines. Dans les deux lettres envoy�es en 1860 par les deux loges, nous ressentons une certaine r�cup�ration du geste de l�Emir pour qu�il apparaisse comme �manant d�un pr�tendu id�al ma�onnique. Ainsi Abdelkader est qualifi� de pourfendeur �des pr�jug�s de caste et de religion�, des �fureurs de la barbarie et du fanatisme � et de h�raut �de la libert� de conscience� et du �sentiment de fraternit� humaine� (voir Bruno Etienne : Abdelkader pp. 323, 324, 325 �d. Hachette). Si la lettre de la loge Henri IV est plus consensuelle, celle de La Sinc�re Amiti� fait r�f�rence � un symbolisme ma�onnique, tel le terme de Grand Architecte de l�Univers ou l�utilisation du premier �l�ment de la trinit� chr�tienne (le P�re). A la suite de ces deux lettres, l�Emir a demand� des �claircissements au sujet de la franc-ma�onnerie. Or, dans l�expos� doctrinal qui lui a �t� envoy� par le GODF, celui-ci le fait pr�c�der d�une allusion �� l�initiation qui vous sera conf�r�e� comme si le fait de demander des �claircissements impliquait la volont� d�adh�rer � la franc-ma�onnerie. Au terme de cet expos� du GODF, o� l�on ressent une volont� de faire croire que l�Emir est d�j� acquis � la cause ma�onnique, le destinataire est invit� � r�pondre � cinq questions. Les r�ponses � ces questions apparaissent comme un condens� de son enseignement tel que nous le trouvons dans le Livre des Haltes. A travers ces r�ponses, les th�mes classiques du soufisme sont abord�s comme l�indigence ontologique ( �ubudiyya), l�unicit� de l�Etre ( wahdat al-wujud), la conformit� � la Loi divine ( shariah)... Pour notre part, ne d�sirant point �tre entra�n�s dans ce que nous consid�rons comme �tant des querelles byzantines, nous consid�rons cet �pisode comme mineur et de dimension toute relative par rapport aux actions plut�t concr�tes de l�Emir. Et nous trancherons en citant le professeur Sahraoui, chercheur au CNRS, qui r�sume parfaitement la position de la fondation : �Il faut dire que la perspective doctrinale de l�Emir, issue de la spiritualit� islamique s�oppose radicalement � la vision profane et la�que de la franc-ma�onnerie que l�Emir rangeait dans la cat�gorie des naturalistes ( tabi�iyyun) et des existentialistes ( dahriyun) bien connue des th�ologiens musulmans.� Le professeur sahraoui interpr�te de cette fa�on l��change �pistolaire de l�Emir avec les francsma�ons : �Le but de l�Emir depuis le d�but �tait de les ramener sur la voie de Dieu ; mais quand il a perdu espoir de les sauver d�eux-m�mes, il a cess� tout contact. Il a signifi� sa rupture d�finitive au GODF en 1865 apr�s avoir �tudi� de plus pr�s les fondements intellectuels de la francma�onnerie, beaucoup plus propices � la d�viation qu�au ressourcement. �
Il est dit que l�id�e du royaume arabe sous le leadership d�Abdelkader �tait une id�e de Napol�on III. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la question ?
En effet, la premi�re initiative d�offrir � l�Emir un royaume arabe vient des Fran�ais (des Saint- Simoniens pour �tre plus pr�cis) n�anmoins ce n�est point par altruisme que Napol�on pensa � Abdelkader. Politique oblige, l�intention derri�re une telle proposition �tait d�en faire un vassal de la puissance coloniale, rev�tu d�une souverainet� de fa�ade. La r�ponse de l�Emir �tait � la hauteur du personnage. Bien qu�approch� en plusieurs occasions, l�Emir ne fut pas dupe et refusa de se pr�ter au jeu de son ennemi d�hier. Une autre initiative provenant cette fois de nationalistes arabes m�rite d��tre cit�e. De nombreux notables du Moyen- Orient, prenant conscience de la faiblesse de l�empire ottoman, d�cid�rent d�agir pour d�cider de leur avenir. Trente leaders repr�sentant toutes les sensibilit�s politico-religieuses de Bilad Escham, l�aire g�ographique qui comprenait la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine, se r�unirent en congr�s, � Damas tr�s probablement, en 1878. A l�issue de cette cruciale rencontre, cette assembl�e de n�o-nationalistes, de shi�ites, de druzes, de sunnites, de maronites et de chr�tiens orthodoxes �lut � l�unanimit� Al Hadj Abdelkader comme le potentiel leader de l�Etat arabe envisag�. La moubaya�ah de Derdera prit ainsi des proportions universelles gr�ce � cette nouvelle moubaya�ah pluriconfessionnelle de ceux qui voyait en l�Emir le choix id�al pour leurs profondes aspirations et leurs revendications g�opolitiques.
Peut-on s�inspirer de ses actes pour contrer le radicalisme religieux auquel le monde musulman est confront� ?
Le radicalisme religieux n�est, malheureusement, pas une sp�cificit� du monde de l�Islam. Je vous renvoie aux r�cents et dramatiques �v�nements dont sont victimes les citoyens de pays musulmans (la Palestine, la Bosnie, le Kosovo, la Tch�tch�nie, l�Irak, le Cachemire, l�Afghanistan). N�anmoins pour r�pondre � votre question, que je juge assez pertinente, un clin d��il � l�histoire nous est n�cessaire. Les journaux fran�ais contemporains de l�Emir le consid�raient comme un barbare, un coupeur de t�tes, un extr�miste, un intol�rant. Des messes ont m�me �t� c�l�br�es suite � son emprisonnement et son transfert en France. Qu�en est-il aujourd�hui, loin de la propagande partisane, int�ress�e et biais�e de l��poque ? Au nom d�un id�al civilisateur, qu�il ait �t� la�que, tel que l�affirment certains groupes de chercheurs fran�ais (la destruction de centaines d��difices religieux musulmans lors de l�invasion n�est certainement pas le fruit du hasard, ces chercheurs �ludent ces r�alit�s dans leur relecture interpr�tation de l�histoire) ou d�un retour � une pr�tendue rechristianisation de l�Afrique du Nord, le radicalisme de l�envahisseur a failli reproduire en Alg�rie ce que les Europ�ens ont fait aux Indiens des Am�riques. Ben Durand �tait un Juif alg�rien et cela n�a pas emp�ch� l�Emir de le charger de n�gocier en son nom avec les repr�sentants de l�occupant. Un Italien le repr�sentait � Alger. Dans son gouvernement et son arm�e, on pouvait compter aussi bien des Juifs, des Italiens, des Polonais, des Anglais, des Espagnols et autres Europ�ens et Arabes, car � ses yeux, seules la comp�tence, la pi�t� et l�int�grit� avaient de la valeur. Ces combattants pour la libert� qui ont rejoint le camp de l�Emir n�ont jamais �t� contraints de se convertir � l�Islam pour participer � la r�sistance. Les d�serteurs fran�ais, et il y en a eu, n�auraient jamais quitt� l�arm�e pour rejoindre un fanatique religieux, un chef de tribu. Comme vous pouvez le constater, la soci�t� que concevait Abdelkader �tait une soci�t� pluriconfessionnelle. La France de l��poque ou les grandes puissances l��taient-elles ? L�Emir, d�s le d�but de son combat, avait adopt�, conform�ment � l�esprit de la tradition proph�tique, un code de traitement des prisonniers. Savez-vous qui �tait charg� de nourrir les prisonniers ? Lalla Zohra, la propre m�re de l�Emir. Alors m�me que les officiers fran�ais dont les sinistrement fameux g�n�raux Pelissier et Saint Arnaud s�appliquaient m�thodiquement � exterminer (de leurs propres aveux �crits, la Dahra et les enfumades en sont de tristes et dramatiques exemples de cruaut�) les tribus alg�riennes fid�les � l�Emir ; ce dernier offrait une r�compense � tous ceux qui lui emm�neraient un prisonnier fran�ais vivant.
Le reproche fait � l�Emir est sa reddition, qu�en est-il r�ellement ?
L�ann�e 1847 a �t� terrible pour l�Emir, ses troupes et ses partisans, apr�s le double avantage qu�il a remport� lors de la bataille de Sidi-Brahim (23 septembre 1845) et celle d�A�n T�mouchent (29 septembre 1845). L�agitation qui a gagn� les derni�res tribus rest�es, les d�fections en cha�ne et les d�sertions � peine d�guis�es ont consid�rablement amoindri l�assise militaire de l�Emir. Confin� dans un espace rendu de plus en plus �troit par l�attitude des voisins de la fronti�re ouest, sans cesse rappel�s � l�ordre d�ex�cuter le trait� de Tanger. Il r�unit le mejliss ashourah et leur proposa de choisir entre les trois solutions suivantes :
1) Se rendre au sultan du Maroc et courir le risque d��tre ex�cut�s vu le degr� d�inimit� du souverain marocain envers l�Emir (aubaine certaine pour �liminer ainsi un rival dont la popularit� parmi les tribus marocaines devenait mena�ante).
2) Se replier vers le Sud oranais et �tre � la merci des tribus sahariennes qui le consid�reraient comme un fugitif et non comme le leader l�gitime de la r�sistance et le b�tisseur d�Etat qu�il �tait.
3) N�gocier un armistice honorable avec l�occupant fran�ais, consid�r� comme le plus fiable en mati�re de respect vis-�-vis de trait�s sign�s.
Le medjliss opta � l�unanimit� pour la troisi�me solution apr�s �r�signons- nous. Dieu est t�moin que nous nous sommes battus aussi longtemps que nous en avons �t� capables� C�est l�heure que Dieu nous a fix�e.� Auparavant, pour appuyer leur avis unanime, les proches de l�Emir lui avaient d�clar� : �Nous portons t�moignage devant Dieu que vous avez fait tout ce qui �tait en votre pouvoir d�accomplir pour sa cause.
Et Dieu vous rendra justice au jour du Jugement dernier.� Plusieurs journ�es sont n�cessaires pour mettre au point la cessation n�goci�e des combats.
L�armistice est r�gl� selon les quatre conditions de l�Emir :
1) Etre transport� avec sa suite directement � Akka (Saint-Jean d�Acre) ou a Alexandrie.
2) Maintenir sur place les tribus qui ont combattu avec l�Emir jusqu�� cette date.
3) Disposer de ses biens pour ne d�pendre de personne. Ses �missaires rencontrent � plusieurs reprises les militaires fran�ais. Des lettres sont �chang�es, notamment celle dans laquelle le g�n�ral de Lamorici�re s�adresse au duc d�Aumale, fils du roi de France et gouverneur g�n�ral : �J�ai promis et stipul� que l�Emir et sa famille seront conduits � Saint-Jean d�Acre ou � Alexandrie. Ce sont celles qu�il a d�sign�es dans sa demande et que j�ai accept�es.� Avec cette stipulation �crite, enti�rement conforme � ses propres termes, l�Emir n�avait plus de raison d�h�siter. Il avait la parole du g�n�ral et du duc d�Aumale qui l�avait approuv�. Son combat durera dix-sept longues et p�nibles ann�es sem�es d�emb�ches et de trahisons. Au cours de cette p�riode, il aura � affronter les plus grands g�n�raux de l�arm�e fran�aise et parviendra � faire sortir la r�sistance alg�rienne de l�anonymat. Mais harcel� de toutes parts par une arm�e impitoyable, pr�te � an�antir des pans entiers de la population, l�Emir pr�f�rera d�poser les armes et sacrifier sa personne et sa famille plut�t que son peuple vou� aux g�monies et � la brutalit� d�une soldatesque barbare. Cependant, il fut trahi par la France et sur ordre du gouvernement, le navire devant le conduire en Orient se dirigera vers les c�tes fran�aises. Il sera emprisonn� avec les siens pr�s de cinq ans dans les ge�les fran�aises et assistera impuissant � la mort de bon nombre de ses compagnons et enfants en terre fran�aise. Il faudra attendre 1852 pour que Napol�on III le lib�re et exauce son v�u de rejoindre son Orient. Malgr� les trahisons de la France, Abdelkader ne lui en tiendra pas rigueur et ne recourra jamais � la vengeance ni ne sera anim� d�une quelconque haine envers ses ennemis. Des documents existent � la fondation, les clauses plus confidentielles sont consign�es dans d�autres correspondances d�tenues par les services des archives de l�arm�e � Vincennes (France). Ces d�tails ont �t� donn�s pour situer le geste de l�ennemi qui n�a �t� ni captur� ni vaincu, il a �t� battu militairement au vu des circonstances de l��poque. S�il s��tait rendu, comme le pr�tendent certains, sans conna�tre la tournure des �v�nements, aurait-il �t� emprisonn� quatre ans lui et les siens. Ne voulant point assister � l�an�antissement des populations, il a d�cid� de continuer le combat autrement. Le guerrier s�est effac� devant le soufi.
Justement, expliquez- nous cette transition, comment l�homme politique et chef militaire est devenu un homme totalement d�vou�e au soufisme et � sa qu�te de spiritualit� ?
Il existe un certain nombre d�hommes qui ont marqu� � jamais l�histoire et la m�moire collective de leur peuple, voire m�me de l�humanit�. Parmi ces hommes exceptionnels, � l�instar de Lincoln, Gandhi, Juarez, Bolivar ou encore M. Luther King, figure et �merge le nom de l�Emir Abdelkader (1807 - 1883), fondateur de l�Etat moderne alg�rien, pr�curseur des droits de l�homme et du dialogue entre les civilisations et les religions. Les historiens contemporains iront m�me jusqu�� lui attribuer les titres de �h�ros des deux rives� et d��isthme entre l�Orient et l�Occident�. L�homme est exceptionnel � plus d�un titre et pour diff�rentes raisons. En effet, il est l�un des rares hommes d�Etat qui �tait � la fois fin strat�ge, homme de guerre, chevalier, philosophe, po�te et mystique. Le destin extraordinaire d�Abdelkader commence avec l�invasion barbare de son pays. Choisi par ses pairs, les notables et les sages de l�Ouest alg�rien, et malgr� son jeune �ge, l�Emir sera le premier �prince� de l�Alg�rie moderne. Il ne lui faudra que quelques ann�es pour unir un peuple divis�, venir � bout des guerres fratricides et parapher des trait�s avec la France en tant qu�Emir de l�Alg�rie. Apr�s un tel parcours, l�homme consacrera le restant de ses jours � la m�ditation et � la m�taphysique en s�immergeant dans les �crits du plus grand ma�tre de la spiritualit� musulmane, le soufisme, Ibn Arabi, aupr�s duquel il demandera � �tre inhum�. Comme l�a si bien d�peint l�historien alg�rien M. Sahli : �De quelque point de vue que l�on consid�re l�Emir Abdelkader, on ne d�couvre rien de mesquin ni de m�diocre en sa personne. Id�es, sentiments, gestes, actions, tout en lui porte le signe privil�gi� de la noblesse et de la grandeur. Il est de ces �tres rares qui, de si�cle en si�cle, de mill�naire en mill�naire, offrent au genre humain une id�e de la perfection, un mod�le exemplaire. Par sa vie, son caract�re et ses �uvres, Abdelkader honore son pays, sa foi et l�humanit� tout enti�re�.
Une derni�re question pour conclure cet entretien. Que devient le film �pique sur la vie de l�Emir Abdelkader, pourtant annonc� en grande pompe dans le cadre d��Alger, capitale de la culture arabe 2007� et il semblerait que c�est le pr�sident Bouteflika lui-m�me qui en a donn� l�ordre et pour lequel un budget cons�quent a �t� d�gag� ?
La r�alisation d�un long m�trage sur la vie de l�Emir participe �galement � la pratique du devoir de m�moire. Chez nous, on h�site encore, malgr� les fermes instructions du pr�sident de la R�publique lequel, rappelons- le, a accord� son haut patronage permanent � la fondation et lui a m�me offert des objets qu�il a acquis de ses deniers personnels durant sa carri�re. Il est le seul � mieux conna�tre et respecter le personnage � qui il a rendu un hommage en prenant son nom comme pseudonyme de guerre. Annonc� par la ministre de la Culture, lors de la conf�rence de lancement d��Alger, capitale de la culture arabe 2007�, ce projet n�a pas pris forme, malgr� la mise en place d�une commission, pr�sid�e par M. Ahmed Bedjaoui, charg� de rechercher et d�identifier les meilleures voies en vue de la r�alisation effective de ce film. Inscrit dans les grandes r�alisations du 3e mandat, ce projet devra imp�rativement voir le jour dans les mois � venir. La fondation a insist� pour que la r�alisation soit alg�rienne afin de ne pas alt�rer le contenu du sc�nario d�j� confectionn�. Je vous informe que la vie de l�Emir int�resse beaucoup de cin�astes et je ne vous cacherai pas que nous avons re�u des propositions �manant de personnalit�s arabes orientales et fran�aises qui se sont adress�es � la fondation pour r�aliser ce film de grande envergure mais en ce qui nous concerne, la pr�f�rence nationale reste souhait�e mais malheureusement, jusqu�� pr�sent rien n�a �t� fait. Nous attendons que la ministre nous �claire sur cette question.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.