Depuis ce matin, Karim ne tient plus en place. C'est dur, une longue journée d'attente. Surtout, quand au bout, il y a une soirée du destin. Les «soirées du destin», il y en a beaucoup. Mais ce soir, ça va être un peu spécial. Karim veut de l'adrénaline et il est certain d'en avoir plein. Les Verts vont jouer ce soir un quart de finale de Coupe d'Afrique des nations. Maintes fois, il a tenté de calmer ses ardeurs. On lui a dit que cette équipe, on a été la chercher dans des clubs européens, que la majorité d'entre eux ne connaissent de l'Algérie que sa sélection de foot, qu'ils sont là parce qu'ils n'ont aucune chance d'être dans l'équipe de France, qu'on les a rémunérés avec des liasses sonnantes et trébuchantes et qu'ils ne sont pas le reflet du niveau du football algérien, au ras des pâquerettes. Il a failli succomber mais il a fini par résister en disant que ces joueurs sont des Algériens à part entière. Que toutes les sélections du monde rémunèrent leurs joueurs. Que ce n'est pas de leur faute si leurs parents ne les ont pas intéressés au pays. Que parmi eux, il y en a de très jeunes et qui ont assez de talent pour espérer une place avec les «Bleus» et ont quand même choisi de jouer avec les Verts. Que de grandes nations de football comme le Brésil et l'Argentine n'ont pratiquement aucun joueur évoluant dans le championnat local au sein de leur sélection. Bien sûr, il arrive à Karim de douter mais aujourd'hui, il est presque en «mode certitude». Depuis la Coupe du monde, rien n'est venu déranger sa conviction que l'Algérie a une sélection nationale comme les autres et qu'elle devait mettre tous les atouts de son côté pour briller. Il s'est dit qu'après tout, il vaut mieux avoir une équipe nationale même si on n'a pas de championnat que n'avoir ni l'un ni l'autre, comme ça a été le cas pendant de longues années. L'argent, ça sert aussi à ça. Pour la «récupération politique», il s'est dit qu'en la matière, l'Algérie n'a rien inventé. Karim a mis tous les atouts de son côté pour ce soir… du destin. Il veut de l'adrénaline et ce soir, il en aura. Depuis le début de la CAN, il n'en a pas eu beaucoup. Au premier match, il a eu surtout des «boules» et au bout, une victoire un peu fade, tellement il n'a pas reconnu son équipe. Au deuxième, son équipe a mieux joué mais au bout, une défaite aux relents de hold-up. Au troisième, enfin, une victoire un peu facile qui ne rassure pas sur la suite. Ce soir, ça va être la Côte d'Ivoire, une équipe qui a toujours la… cote même si elle n'est plus ce qu'elle était. Si les Verts se qualifient aux demi-finales, Karim ne va pas sortir dans la rue. Depuis la Coupe du monde, il est convaincu que les Verts sont les meilleurs d'Afrique et manifester dans la rue avant le sacre final est pour lui un manque d'ambition. Il n'a pas compris, il a même fulminé quand, après le match gagné contre le Sénégal, des Algériens ont investi la rue et jubilé pour si peu. En plus, ce n'est pas Karim qui le dit presque tout le monde, les Verts sont les grands favoris de ce tournoi. Même si la donne a quelque peu changé depuis la délocalisation de l'épreuve du Maroc vers la Guinée Equatoriale et beaucoup ont relativisé leur pronostic, Karim n'en démord pas. Les trois premiers matches ne lui ont pas donné son adrénaline mais ils ont permis aux Verts de s'adapter à la chaleur et l'humidité. Ici, loin de la Guinée Equatoriale, Karim a froid mais ça va chauffer tout à l'heure. Le reste, il y réfléchira après.