Deux jours après la «fête des mères», Karim s'est rappelé que sa maman n'a pas eu de cadeau, ni de lui, ni de ses frères et sœurs. Il n'est pas triste pour autant. Karim aime sa mère «normalement». Il l'embrasse sur le front tous les matins, tous les soirs en rentrant du boulot et quand elle va dormir, parce que bien évidemment, elle dort toujours avant lui. Karim est un garçon comme en rêvent toutes les mamans. Travailleur, pieux, économe et sans histoires. Il adore sa mère et… respecte son père. Il n'est pas toujours d'accord sur ce que pense son géniteur de la vie mais il n'a jamais osé le lui dire. Mais aujourd'hui, c'est de sa génitrice qu'il s'agit, puisque la «fête des mères» est toujours d'actualité et Karim vient de s'en rendre compte en entendant ses collègues – femmes surtout – évoquer les cadeaux qu'elles ont offerts à leurs mères, ou ceux reçus de leurs enfants. Parce que les filles aussi sont des enfants. En attendant d'être mère ou en même temps. Il a commencé un peu à s'en vouloir de n'avoir pas fait comme tout le monde et offrir quelque chose à la sienne mais s'est vite rappelé que ce n'est pas faute de l'aimer. Il n'a pas l'habitude, c'est tout, comme ne le dit pas le poète. Et puis, en se perdant dans ses réflexions, il s'est posé cette question, un peu bizarre : si sa mère n'avait pas été mère, qu'aurait-elle fait d'autre dans la vie ? Il s'est alors consolé en se disant que c'est tout de même étrange qu'on offre des cadeaux pour les femmes dont le… métier est de faire des enfants. Parce que c'est le seul «métier» que Karim connaisse à sa mère et la fête des mères n'est pas un rituel «professionnel». A longueur d'année, Karim fait des cadeaux à sa mère qui lui dit à chaque fois plusieurs… fois que le plus beau cadeau de sa vie lui est venu du ciel : lui, son petit dernier déjà devenu grand par la sagesse, la douceur et la reconnaissance. Il lui fait des cadeaux mais il ne les appelle jamais «cadeaux», puisque pour lui, ce sont des choses tout à fait «normales». Il lui achète des vêtements, renouvelle à temps son tapis de prière dont il surveille l'effilage avec une infinie attention, lui glisse quelques billets à chaque mensualité, lui a payé une Omra et rêve de lui faire vivre son… rêve suprême : un pèlerinage aux Lieux Saints de l'Islam. Il veut bien se mettre à lui faire des cadeaux à l'occasion de la fête des mères mais il a un problème : il n'y pense pas. Et il ne pouvait compter sur personne pour le lui rappeler. Son père pense qu'il lui en fait déjà trop comme ça, ses deux frères sont trop occupés à tenir les murs du quartier, sa sœur mariée vit au Canada et sa sœur célibataire pense plutôt à son trousseau à elle. Alors ils évitent de parler des fois que quelqu'un aurait l'idée de leur demander quelque chose. Karim ne doit surtout pas compter sur sa mère pour lui rappeler qu'il y a une fête des mères. D'abord, parce qu'elle ne le sait pas, ensuite de nature, elle n'a aucun caprice, sans doute parce que la vie ne l'y a pas préparée. Il a alors pensé qu'à défaut de célébrer la fête des mères, il pourra créer une fête spéciale pour la sienne. Quand il lui en a parlé dans un solennel aparté d'un coin de cuisine, elle l'a regardé avec des yeux humides, levé les yeux au ciel, porté sa main droite à sa bouche et est partie dans un interminable concert de youyous. Karim n'avait pas compris tout de suite mais quand son père a accouru pour savoir ce qui se passe, il a cru entendre sa mère dire à son mari que «leur fils voulait se marier» !