Un artiste aux multiples talents Nous l'avons rencontré durant le mois de Ramadhan où il s'était produit à Alger. Ce vendredi il revient à nouveau, cette fois on le retrouvera à la salle Ibn Zeydoun, aux côtés de Samira Brahmiya, pour notre grand plaisir et celui de ses fidèles fans assurément. Dans cette interview intimiste il revient non sans émotion sur sa musique, son parcours, mais nous dévoile aussi ses projets. L'auteur de Caravane to Bagdad n'a pas fini de nous livrer tous ses secrets... Vous êtes de retour en Algérie après près de 10 ans d'absence... Hamid Baroudi: Si j'étais revenu pendant la période d'el Iftar, à Riadh El Feth ou à Timgad, par exemple, ça n'aurait pas eu autant d'impact émotionnel comme ce soir. Pourquoi? Parce que quand j'étais sur scène, il y a quelque chose qui m'a tellement touché. Bouleversé. J'ai eu peur, quand j'ai chanté le morceau Ya emma, j'ai dû détourner le regard, car il y avait des vieilles femmes qui pleuraient. J'étais obligé de détourner le regard pour continuer à chanter. J'ai souri à mes amis pour qu'ils me fassent rire car c'était un moment très difficile. C'est pourquoi j'ai parlé d'oubli. On fait semblant d'oublier ce que ce pays a enduré. Il y a des gens qui veulent qu'on oublie. Mais ce soir on a prouvé que c'est infalsifiable... Vos avez en effet beaucoup évoqué la décennie noire... Je l'ai vécue ici contrairement à ce qu'on pense. D'octobre 1988 jusqu'à 2007. Il y a l'époque de Aziz Smati, Allalou, la radio, Zhira Yahi, c'était le nagra, on sortait on faisait des reportages, Alger était plongée dans le noir, on avait peur qu'Alger se réveille, elle était plongée dans le noir. On avait peur de découvrir des corps qui nous rappellent ces gens assassinés, ces femmes violées. Nous, on n'a pas eu la chance, mais le malheur de vivre notre guerre d'Algérie, je parle de notre jeunesse. Je suis parti un an avant la mort de Athmane Bali... Depuis, vous continuez votre petit bonhomme de chemin en Allemagne... Bien sûr. Mais je reviens, moi je n'ai jamais coupé le nombril avec ce pays. A l'époque de la décennie noire, l'Algérie avait plus besoin de ses enfants que maintenant. Aujourd'hui ils s'exilent. A l'époque, on n'avait rien. Mais on était heureux avec le peu de ce qu'on avait. Quand on rentrait chez soi tu entendais nos parents pleurer sur les morts de la guerre d'Algérie et nous quand on a vécu ça, on a compris. Pourquoi je parle de cela maintenant? pas parce que je suis en Algérie, mais par ce qu'on est condamné à prendre position. C'est un problème géopolitique, ce qui se passe en Syrie, en Tunisie, nous, on est passé par là. On est crédibles aux yeux de l'Occident. Je parle de nous les artistes, Allalou, Daoud, les gens du théâtre... Aussi, on ne met pas en valeur le patrimoine qu'on possède, tu passeras par les lettres françaises pour connaître le Monde arabe, par exemple pour connaître les vieilles musiques arabes il faut aller à la Fnac française. Pourquoi? nous devrions écrire notre histoire. J'ouvre cette parenthèse dans le domaine du cinéma. On m'a toujours suggéré de faire un film, faire un clip. J'ai fait 7 ans d'audio-visuel de communication. Je suis formé comme réalisateur. La caravane qu'on voit dans le clip Caravane to Bagad, elle a été dessinée image par image. C'est moi qui l'ai produite, écrite, dessinée. Le hasard a fait que mon professeur à l'université, en Allemagne, soit le dessinateur de films d'animation, yellow submarine, du clip des Beatles. C'est lui qui m'a remis sur les rails. Il m'avait conseillé d'investir dans l'image en plus du son car il disait que nous étions la digital génération! Sur scène, ce soir, vous avez interprété un morceau de votre futur album, Nayli. Beaucoup de gens investissent dans le gnawi. Moi j'ai pas puisé dans le patrimoine gnawi j' ai fait ma chanson à moi avec des influences musicales diverses dont des sons de Djanet, j' ai intégré le mandole, le piano, le qanoun, la guitare électrique. Ce titre figurera-t-il dans votre prochain album? Oui, il sortira en septembre. Il y aura aussi une chanson qui sera chantée dans les quatre langues, algérienne, espagnole, française et anglaise. Le passage d'une langue à une autre ne se sentira pas phonétiquement. La couleur de l'album sera afro-latine. Avec de la «gasba», des chansons non plus targuies, mais avec des connotations jazz, du scat. L'album sera basé sur le rythme. Je veux créer une sonorité je dirai pas algérienne, mais maghrébine... On sait que vous êtes l'un des précurseurs de la world music Ça c'est Jean-Francois Bizo qui l'a dit à l'époque de Radio Nova dans les années 1986, Khaled venait de partir en France grâce à plein de gens comme le colonel Senouci, Mami faisait son service militaire, il y avait Rachid Taha, c'était l'époque de «Touche pas à mon pote». On faisait la tournée avec le groupe Dissidenten... Je suis devenu le dissident du groupe mais j'ai fini par le déserter car à un moment il fallait avancer. Quand on a commencé de 1984 à1990 on a essayé de moderniser la chanson marocaine. Dans les années 1970, ce qui marchait c'était les frères Megri, Jil Jilala, Nass El Ghiwan, El M'chaheb. Fin 1970 sont venus les frères Malik et Yacine, les Turkich blend, les Ramses, les Algiers, après le wahrani est apparu avant le raï. C'était en 1982, avec Blaoui El Houari, puis le raï a commencé a percer...en 1985 c'était l'époque de Khaled, du cinéma Le Régent, moi j'avais un groupe qui faisait de la musique moderne, pop américaine, les gens jouaient de la musique wahranie... Pour revenir à votre album, quelles seront les thématiques que vous allez aborder? C'est un message que je lance à l'Occident. Quand je dis «je viens d'un pays de rêve sans frontière, plein d'amour et de poèmes»... que je chante en espagnol, c'est l'Andalousie quand ses ruelles étaient illuminées que je convoque, alors que les Européens vivaient dans des grottes, maintenant on parle de nous en citant l'Etat islamique, le Daesh, ils disent que tous les musulmans sont pareils. Moi je voudrai secouer les mentalités. Les gens se taisent; même nos gouvernants ne veulent pas déplaire. Moi je n'appartiens pas et je n'ai jamais appartenu à aucun parti. Je suis le fils de l'Algérie, je veux rappeler qui nous sommes...il ne faut pas avoir le complexe du colonisé, il faut savoir d'où on vient... Vous avez un projet cinématographique en chantier. Pourriez-vous nous en dire plus? Je suis mordu de cinéma, j'ai grandi avec Charlie Chaplin, Spencer Tracy, Humphrey Bogart, je suis quelqu'un qui a toujours été fasciné par Sergio Leone, Scorcess, John Ford, Francis Coppola, ces derniers viennent de l'école de Sergio Leone. Il avait une manière de filmer, il avait toujours un faible pour l'improvisation et moi comme je suis quelqu'un qui se balade toujours dans des espaces, des vues imprenables cinématographiques, le désert, la Chine, le Japon où j'avais pris des Touaregs avec moi, travaillé avec des aborigènes avec le groupe Tinariwen...après avoir vu tout ça j'ai voulu faire quelque chose pour ne pas copier les autres dont Peter Gabriel, Sting, c'est comme dans la littérature ou le cinéma, la musique a toujours été écrite par des Anglo-Saxons mais maintenant c'est l'Algérie qui doit faire un film sur sa région. Je veux montrer comment la musique nord-africaine a influencé l'Europe, même l'Amérique latine. C'est un film musical, avec des histoires en parallèle. C'est qui la reine de l'imzad? C'est Tarzagh Benomar elle vient du Tassili N'aggers, elle est morte à 92 ans, j'ai déjà travaillé 15 ans avec elle. Le seul qui avait eu accès à elle c'était Safy Boutella à l'époque. On a mangé le même sel, elle était comme ma mère, elle est venue chez moi, on a vécu des choses extraordinaires et cette femme a été mémorisée dans des clips que je n'ai pas encore montés. La mère de Bali, Khadija c'est la même chose. Le fils de Bali, Nabil, c'est lui qui joue dans le clip Waâlech waâditni avec sa soeur Houda. Ya tellement de choses à raconter, sinon tout ca va disparaître. On va disparaître. On ne va pas attendre que d'autres fouinent et dénaturent notre patrimoine. Les gens ne vont pas me voir mais voir des personnes fictives qui vont raconter des histoires qui se sont passées. Aussi, j'aimerai montrer comment les rythmes nord-africains, de l'Algérie, du Maroc, ont envahi l'Europe. Les Maures qui sont partis dans le bateau de Christophe Colomb, ce sont eux qui ont inventé la salsa... J'ai le script. Il va y avoir aussi les «porteurs de valise» qui ont aidé le FLN. Le film abordera plusieurs sujets. On va commencer à tourner dans le sud de l'Italie. Le tiers du film sera tourné en Algérie. Je prendrai des gens qui n'ont jamais fait du cinéma...