C'est à Alger que fut théorisé le nouvel ordre économique mondial bien avant le nouvel ordre mondial actuel cher aux présidents Bush père et fils. Seul un grand diplomate chevronné de la trempe de l'Américain Henry Kissinger, toujours en vie d'ailleurs, pouvait juger et apprécier à sa juste valeur un homme d'Etat de la stature de Houari Boumediene de son vrai nom Mohamed Boukharrouba. Le chef de la diplomatie américaine des années 1970, pourtant connu à l'époque comme très avare d'éloges à l'égard de ses interlocuteurs, déclara un jour de 1974: «Ma troisième visite ici (à Alger) en un an reflète la très haute considération des Etats-Unis pour le Président Boumediene. Nous reconnaissons le rôle important qu'il joue parmi les pays non alignés et nous prenons très au sérieux ses opinions sur les affaires internationales et sur les affaires économiques.» Il est vrai, qu'en avril de la même année le deuxième président de l'Algérie indépendante fut chargé par ses pairs du tiers monde de porter devant la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies les revendications de ces pays pour un ordre économique international plus juste et pour une redéfinition radicale et équitable des relations économiques internationales. Il accomplit avec brio cette tâche à travers un discours célèbre par la pertinence des thèmes abordés et qui resta dans les annales de l'histoire de l'ONU. En fait, jusqu'à l'annonce officielle de sa mort, un certain 27 décembre 1978 et depuis son accession au pouvoir le 19 juin 1965, le deuxième président de l'Algérie indépendante aura marqué de son empreinte indélébile la politique extérieure de notre pays et la diplomatie arabe, africaine et même mondiale. Avec un sens aigu du réalisme politique, un caractère de visionnaire, une clairvoyante lucidité dans les situations les plus complexes et sa capacité légendaire d'avoir les moyens de sa politique, Boumediene jouissait alors d'un immense prestige et d'un profond respect dans presque toutes les chancelleries des Etats quelle que soit leur appartenance idéologique. Surtout, que sur le plan interne, l'homme n'avait rien à se reprocher en matière de gestion des affaires de son pays. En effet depuis son arrivée au pouvoir, l'Algérie a amorcé son décollage économique et poursuivait, à travers une judicieuse politique d'investissements productifs, de plans triennaux et quinquennaux, une planification rigoureuse et de grands travaux, son développement national au profit du plus grand nombre d'Algériens qui venaient juste de se débarrasser de plus d'un siècle de colonisation féroce. Au total, et d'après le grand expert pétrolier, le Dr Nicolas Sarkis, ce ne sont pas moins de 420 projets de développements régionaux et nationaux, dont 270 usines et 150 projets d'infrastructure qui ont été mis en phase de production entre 1971 et 1977. Par la suite ce sont 500 autres projets qui seront lancés dans divers secteurs industriels, agricoles et des services. D'autres chiffres permettent de mesurer les résultats de ces efforts: la production d'électricité est passée de 1000 GWh en 1962 à plus de 4000 GWh en 1977; celle de l'acier brut de 5500 tonnes à près de 400.000 tonnes; celle du ciment de 963.000 à 2,5 millions de tonnes et celle des engrais composés de 46 300 à près de 600.000 tonnes. La majeure partie des investissements requis pour financer ce développement provient des recettes d'exportation du pétrole et du gaz qui sont passées de 321 millions de dollars en 1971 à 6,2 milliards de dollars en 1978 et qui ont dépassé, dit-on, les 12 milliards de dollars au début des années 1980 avec le démarrage des grands projets d'exportation de gaz naturel. Autrement dit, avec un sens poussé pour l'autorité sur tous et la justice pour tous et faisant de l'intérêt national sa priorité, Houari Boumediene a su en 13 années d'exercice du pouvoir, - vu par ses détracteurs comme autoritaire, - subjuguer une population qui ne demandait qu'à vivre décemment et travailler humblement. Voilà pourquoi, le défunt Houari Boumediene reste pour beaucoup non seulement le père de la base industrielle du pays, mais aussi celui de millions de démunis devenus orphelins après sa mort.