Le bon sens voudrait qu'une mission aussi noble ne peut être confiée qu'à des spécialistes indépendants qui disposent du recul nécessaire pour une écriture plus ou moins objective de l'histoire. Parmi les amendements adoptés, mercredi dernier, et contenus dans la nouvelle Constitution, figure celui relatif à la protection des symboles de la révolution de Novembre 54 qui prévoit un certain nombre de rajouts et d'éclaircissements au texte de 1996 à même de participer à la préservation de l'héritage du combat libérateur, mais aussi de ce qui représente aujourd'hui l'identité du peuple algérien. Si l'article 5 de la Constitution adoptée en 1996 s'était contenté de mentionner que “l'emblème national, le sceau de l'Etat et l'hymne national sont définis par la loi”, l'amendement proposé hier est allé un peu plus loin dans la clarification en précisant que “l'emblème national et l'hymne national sont des conquêtes de la révolution du 1er Novembre” et qu'ils sont “immuables”. Le texte souligne aussi que “l'emblème national est vert et blanc frappé en son milieu d'un croissant et d'une étoile rouges et que l'hymne national est Quassaman dans l'intégralité de ses couplets”. Quant au sceau de l'Etat, aucun changement n'y est intervenu dans l'article en question. La nouvelle configuration de l'article 5 dispose, également, que “l'Etat garantit le respect des symboles de la Révolution, la mémoire des chouhada et la dignité de leurs ayants droit et des moudjahidine”, et que “l'Etat œuvre également à la promotion de l'écriture de l'histoire et de son enseignement aux jeunes générations”. Si les premières clarifications apportées par l'article en question concernant la protection des principes fondateurs de l'Etat algérien moderne et, bien plus, du peuple algérien tout entier, sont à saluer vivement, encore faut-il que tous les symboles en relation avec la glorieuse Révolution soient concernés par cette réappropriation. Et cela à commencer par le sigle FLN, premier emblème de la lutte d'indépendance qui devrait redevenir la propriété de tout le peuple algérien. Cet effort de l'Etat doit donc s'étendre pour concerner ce qui représente un patrimoine commun à tous les Algériens. Pour le moment, le seul et le premier responsable de l'Etat qui avait envisagé de renvoyer ce signe dans le musée de l'histoire nationale est Tayeb El-Watani. Un geste qui visait à réconcilier l'Algérien avec son histoire, mais que le président Boudiaf n'a finalement pas eu le temps de formaliser. Il est vrai que le débat, à ce propos, n'avait pas eu le temps d'éclore. Mais là où la nouvelle Constitution risque d'ouvrir la voie à d'autres interprétations que celles envisagées officiellement, c'est lorsqu'elle fait référence à l'écriture de l'histoire. La loi dispose, en effet, de “promouvoir l'écriture de l'histoire et son enseignement aux jeunes générations en tant que patrimoine que tous les Algériens ont en partage en vue de perpétuer la mémoire collective du peuple algérien et de consolider les principes fondateurs de la nation algérienne”. Mais, depuis quand il échoit aux Etats d'écrire ou de réécrire l'histoire de leurs pays respectifs ? Est-ce le rôle du pouvoir politique de conduire le travail de mémoire de toute une nation ? Le bon sens voudrait qu'une mission aussi noble ne peut être confiée qu'à des spécialistes indépendants qui disposent du recul nécessaire pour une écriture plus ou moins objective de l'histoire et qui ne tiendraient pas compte des interprétations des uns et des autres. A fortiori lorsqu'il s'agit d'un pays comme le nôtre qui a connu des évènements dramatiques à l'indépendance, et où les pouvoirs successifs n'ont pas consenti l'effort nécessaire pour permettre au commun du peuple algérien de connaître l'histoire de sa glorieuse Révolution et tout ce qui se rattache à ce combat libérateur. Il y va, en effet, de l'évidence même qu'un pouvoir ne ménage dans ce travail de mémoire que ce qui l'arrange. On ne peut donc avoir en conséquence qu'une histoire complètement biaisée. “L'histoire aux historiens”, a été la réplique des milieux intellectuels français et algériens à l'adoption par l'Assemblée nationale française de la loi du 23 février 2005 qui livrait une lecture partiale de la présence française en Afrique du Nord. “Aux mêmes maux, les mêmes remèdes”, sommes-nous aujourd'hui tentés de dire. Mohamed El-Korso, historien et ancien président de la Fondation du 8-Mai 1945, avait, il y a quelques jours seulement, soulevé dans le quotidien El Watan cette question. Citant l'expérience vécue du temps de Chadli dont l'objectif était d'écrire une histoire officielle, M. El-Korso estimait que “cette démarche n'était pas la bonne” et qu'il y a lieu “de ne pas confondre histoire et politique”. “L'histoire de l'Algérie appartient à tout le peuple au simple citoyen. Que l'Etat écrive son histoire et que le citoyen chercheur écrive l'histoire de son pays”, soutient-il très justement. Par le biais de cette révision constitutionnelle, le pouvoir est tenté par une écriture de l'histoire telle que perçue officiellement. La disposition constitutionnelle va-t-elle déboucher sur l'interdiction de toutes les autres versions de l'histoire du mouvement national ? Est-ce que l'évocation, demain, d'un des nombreux sujets tabous dont regorge le long chemin de la lutte de Libération nationale sera-t-elle considérée comme une atteinte à la Constitution ? Et ce lourd et sensible dossier des faux moudjahidine, qui continue d'empoisonner le débat sur la révolution, va-t-il dorénavant exposer celui qui ose en parler à des sanctions ? Hamid SaIdani