Comment s'offrir une loi sur l'audiovisuel pour mieux le verrouiller ? Le gouvernement semble détenir la formule : elle consiste à prendre son élan pour mieux... reculer. Il avait déjà éprouvé le procédé à l'occasion de la confection de la loi sur les partis et de celle sur les associations. Il consiste à proclamer le progrès visé par les textes en question avant de faire passer, le moment venu, des textes qui s'avèrent être des instruments d'abrogation des menus acquis démocratiques existants. L'entreprise de régression, méthodiquement exécutée depuis le discours du 15 avril 2001, devrait connaître son couronnement avec le "vote" de la loi sur l'audiovisuel. L'alibi d'une "profonde réforme" constitutionnelle, aujourd'hui remisée parce qu'elle n'a certainement plus d'utilité tactique, aura au moins servi, pour le pouvoir, à revenir sur les petites poches de libertés publiques et droits civiques consenties qui ont survécu à la restauration autoritaire. Aujourd'hui, la question de la liberté d'expression ne se pose pas dans son principe. Elle est incompatible avec la vision monopoliste du discours public et la conception autoritariste du contrôle de la société du régime. Ce n'est pas après quinze années de répression de la liberté d'expression que l'on peut espérer voir celui-ci libérer le débat public. C'est donc bien de cette volonté de vouloir faire passer pour un acte d'ouverture la véritable opération de verrouillage politique de l'audiovisuel dont il s'agit. Au demeurant, et avant même de finaliser son projet de loi, le pouvoir avait préalablement posé son paysage médiatique télévisuel, en "tolérant", voire en suscitant les émetteurs de son choix. Tout se passe comme s'il voulait se donner les apparences d'un régime qui aurait quitté le club résiduel des Etats monopolisant l'information à moindre frais. En instituant la multiplicité de chaînes avec l'unicité de discours. Un peu comme il s'offre un système de multipartisme tout en organisant le monopole exclusif de la vie politique. D'ailleurs, l'appréhension de la liberté d'expression dans un éventuel contexte de réelle ouverture de l'audiovisuel est avouée par le ministre de la Communication quand il déclare que le projet de loi s'inspire "d'une expérience de plus de vingt ans de la presse écrite privée, et ce, avec ses côtés positifs et négatifs", et qu'il ajoute que "nous avons mesuré les risques de dérives, dans notre pays et ailleurs, desquels nous devons nous prémunir". Le tout suivi d'arguments scolaires, telle la question de l'écart de sens créé par la traduction du terme "thématique", entre son singulier et son pluriel... L'argumentaire trahit en fait l'appréhension d'un pouvoir qui trouve qu'il a assez enduré de contrariétés avec la presse écrite et qu'il compte prendre les devants pour empêcher la presse radiophonique et télévisuelle, une fois "ouverte", de lui causer les mêmes désagréments. Dans une démocratie, on légifère au profit des droits et des libertés ; l'on se soucie ensuite des dérives auxquelles ils peuvent donner lieu. Chez nous, l'on semble d'abord fonder la démarche législative sur la prévention des "dérives" que ces droits et libertés pourraient autoriser. En cela, ce projet de loi est l'expression, encore une, de la méfiance naturelle du régime envers tous les attributs de la démocratie. M. H. [email protected] Nom Adresse email