Un siècle après sa création, à l'initiative de la socialiste Clara Zetkin, la journée du 8 Mars, Journée internationale de lutte des femmes, demeure un moment privilégié pour faire le point sur le combat des femmes et pour réengager une dynamique d'action qui nous fasse avancer vers l'égalité. Dans notre pays, où cette journée a une résonnance particulière, la légitimité de la cause des femmes est incontestable. C'est un acquis, une reconnaissance obtenue par les luttes courageuses des années 1980. L'avancée inéluctable des femmes dans tous les compartiments s'impose à une société revenue de la régression réactionnaire, mais toujours traditionnaliste, toujours réactive par rapport à notre émergence. Premier constat : l'immensité des transformations que notre sort de femmes a connu en un demi-siècle d'indépendance. Nous sommes encore loin de l'égalité citoyenne, mais nous avons beaucoup avancé depuis l'épopée d'une poignée de moudjahidate qui s'émancipe du rôle traditionnel, inscrivant le principe d'égalité dans la symbolique nationale, au profit de millions d'Algériennes qui vivent encore l'enfermement domestique et l'autorité patriarcale. Nous avons beaucoup changé depuis les années 1960 où nous étions toutes, presque toutes, des femmes au foyer. Le premier bouleversement, c'est la scolarisation massive qui nous fait déferler dans un espace public, hier interdit. Cet élan fait vite paraître anachronique le code de la famille, qui reproduit les normes de notre oppression traditionnelle. Et ce sont nos premières luttes, nos premiers collectifs. C'est ensuite l'irruption spectaculaire des femmes dans le monde du travail : une femme sur 30 en 1966, une femme sur 6 aujourd'hui. La participation des femmes a progressé même durant la vague rétrograde de la décennie 1990. Aujourd'hui, les femmes sont dans tous les métiers et dans tous les secteurs souvent à des postes qualifiés et elles commencent à accéder à des postes d'autorité. Cette progression des femmes est encore loin de notre objectif d'égalité totale. Nous ne nous satisferons pas d'être seulement une femme sur 6 à travailler, il faut la parité. Il faut un égal accès à la formation et un égal accès aux postes de responsabilité. Mais, déjà la société change. Le travail de la femme est désormais légitimé et il en résulte un bouleversement des mentalités et des pratiques sociales. Malgré les accents de misogynie entendus, çà et là, dans un contexte de chômage, en dépit de la proximité de la vague rétrograde des années 1990, la société algérienne d'aujourd'hui reconnaît et valorise le travail de la femme. C'est ce qui explique l'unanimité autour de notre campagne des années 2000 contre le harcèlement sexuel, qui signifie renvoyer la femme qui accède à la dignité de travailleuse à un statut d'objet sexuel ; on lui signifie que sa place est à la maison. Car, le harcèlement sexuel signifie l'amendement du code pénal de novembre 2004, qui criminalise le harcèlement et prend acte des évolutions de la société et des nouvelles mentalités. Après ce succès spectaculaire, nos luttes pour imposer le respect de la femme travailleuse pointent désormais les faiblesses du dispositif légal et notamment la protection des témoins. Mais le temps du volontarisme syndical ou associatif est dépassé. L'ampleur du phénomène est avérée, la société est favorable. Il ne faut pas traîner dans la mise en place d'institutions officielles pour prendre en charge l'écoute et le soutien aux victimes du harcèlement. Mais le développement du travail féminin souligne cruellement la faiblesse du système de pouponnières, crèches, cantines et transport scolaire, sans oublier l'inadaptation des horaires. Socialiser efficacement le travail domestique pour libérer la femme ! C'est aussi cette évolution de la réalité des femmes qui permet, lors de l'amendement du code de la famille, en 2005, la reconnaissance de l'apport économique de la femme et la suppression de l'obéissance au mari. Mais la structure inégalitaire de ce code demeure, en matière de mariage, comme de divorce, sans parler de l'héritage. L'émergence des femmes dans le champ politique a été d'abord celle des étudiantes de 1980 et des moudjahidate en lutte pour les droits de la femme. Mais le pluralisme voit émerger des figures de femmes dans la politique, dans les associations, les syndicats, dans les luttes sociales. La reconnaissance de notre présence est lente et laborieuse. Pourtant, l'instauration des quotas s'est faite sans dégâts. Malgré les railleries et la mauvaise foi des tenants du statu quo patriarcal, malgré la difficulté réelle à trouver des candidates dans une société encore traditionnaliste. La campagne actuelle contre toutes les formes de violences faites aux femmes souligne le chemin parcouru. Le chantier est immense, il est commun aux femmes du monde entier : violence sexuelle nous renvoyant au statut d'objet et contestant notre accès à la dignité citoyenne, violence dans l'espace public refusant notre présence hors de l'enfermement domestique, violence dans la famille perpétuant un rapport de force, une soumission millénaire, violence symbolique nourrissant toutes les violences physiques par une image dévalorisée fournie dans les manuels scolaires et les médias. Nous travaillons aujourd'hui dans la perspective d'une législation qui identifie et incrimine cette violence. Le combat est encore long. Ne perdons pas une minute. En avant les femmes ! S. S (*) Syndicaliste, féministe et militante des droits de l'Homme Nom Adresse email