Pour toute personne ayant connu l'Algérie d'il y a quarante, trente ou même vingt ans, ce pays est aujourd'hui méconnaissable. Pourtant, la société, en émergeant lentement de son archaïsme socio-économique, n'a pas été d'emblée hostile à la modernité, la rationalité et la citoyenneté. Une fois celle-ci libérée de l'ordre colonial, c'est, naturellement, que l'Algérien a laissé s'exprimer son besoin de progrès, longtemps étouffé par le statut d'indigène. Besoin, auquel le pouvoir a répondu en partie, "matériellement", en généralisant la scolarisation, en étendant l'électrification, en facilitant l'accès à la médecine et, dans une moindre mesure, en améliorant les conditions de logement. Mais cet effort a été largement contrarié dans ses effets par certaines "omissions", comme la négligence des espaces ruraux. Une école et un dispensaire, c'est plutôt court comme plan de développement ! La bureaucratisation de l'agricole et la déstructuration de la ruralité par la "révolution agraire" ont eu pour effet de jeter massivement les Algériens vers les périphéries des centres urbains, qui dans des "logements de fonction", qui dans des bidonvilles ! C'est ainsi que la hideuse cité a tué le beau village. Que l'encadrement politique a remplacé le consensus communautaire. Et que les valeurs ancestrales d'aînesse, de sagesse, etc. se sont vu progressivement reléguées au statut d'archaïques survivances d'une société pré-moderne. Le sage du village doit prêter allégeance au chef de kasma, s'il aspire à quelque existence publique. Le P-DG et le professeur se doivent d'en faire autant, s'ils ambitionnent de faire carrière... L'utilité politique de l'individu s'est substituée à son utilité sociale et le savoir n'était plus socialement valorisant. Ni économiquement. Et pour renforcer la décadence culturelle et s'assurer qu'il manquerait toujours quelque chose aux savants et lettrés d'alors, on a inventé "la" langue nationale, unique vecteur d'expression publique. Puis la république des instituteurs d'arabe qui, plus tard, sont venus coloniser "le" Parti, "le" Syndicat, et la "société civile" officielle. Les clans du pouvoir en avaient fait venir de leurs creusets tribaux respectifs : un peu d'arabe de bois, un appartement en ville, une fonction dans l'administration ou dans l'entreprise publique, éventuellement un "poste" dans "le" Parti ou "le" Syndicat... et d'en faire alors une "personnalité" !... Ni le sage, ni le connaisseur, ni le compétent ne faisaient plus référence, mais le fort et le riche, si. Sous le régime actuel, le fort et le riche se sont rapprochés au point de se confondre. L'obédience l'a emporté sur la dignité, l'égoïsme sur le sens de la communauté, le larcin sur le travail, le détournement sur le sens du bien public, le mauvais goût sur le beau. En grandissant, les jeunes d'aujourd'hui ont découvert les vertus de la rapine, de la force et de l'obédience, pas celles de l'effort, du civisme et de la dignité. Et tout cela donne une société déstructurée, peuplée de mentalités définitivement perverties par l'avidité, la haine de l'autre, le mauvais goût et dénuées de tout sens de l'environnement et de toute idée d'avenir collectif. Une société sans citoyens. Une jungle en somme, un marécage, où chacun contourne les obstacles pour sauver sa peau. M. H. [email protected] Nom Adresse email