Dire le présent avec un genre du passé en plaçant les personnages dans un futur... lointain, voilà la formule magique des concepteurs de ce spectacle, présenté mercredi dernier dans la grande salle Mustapha-Kateb du Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, dans le cadre de la compétition du 9e FNTP. Un drame des temps modernes porté par une fabuleuse et ingénieuse écriture scénique. Dans un monde post-apocalyptique, les humains se dévorent entre eux – au sens propre du terme. Il n'y a plus de place pour les émotions et encore moins pour le sens du discernement. L'humanité vit ses moments de déclin, notamment après la disparition du soleil. Au milieu de ce chaos, une famille de la noblesse vit au rythme des drames : trahisons, sacrifices, passions meurtrières, amours déçues... Ce sont là quelques micro-histoires qui se greffent à l'intrigue principale de la pièce, Al-qors al-asfar, celle relative au meurtre de la matriarche. Dans ce futur lointain, et suite à l'assassinat de Victoria, Eva, sa mère, prend sa place. Tous les membres de la famille font allégeance à la nouvelle maîtresse de la maison, sauf Adel, le fils de Victoria, qui souhaite découvrir l'assassin de sa mère. Proche d'un groupe d'écologistes qui aspirent à remettre la vie à l'endroit et à "(ré)humaniser" la planète Terre, Adel, épris de la belle Venecia, est comme la conscience de sa famille ; il leur rappelle à chaque fois leurs tares, leurs torts, échecs et la perte de leur humanité dans un monde froid, sans âme, sans intelligence et sans soleil. Les cœurs sont froids et les hommes ont muté vers quelque chose d'effroyable. Al-qors al-asfar est une dystopie (contre-utopie) de notre monde ; ce sont les conséquences de l'actuel échec de l'humanité, sur le plan écologique, sociologique, politique... La réalité de notre monde, en éternelle mutation et en guerre continuelle, pourrait transformer notre esprit, nos âmes, nos cœurs. De quoi dépendra notre salut ? De notre conscience sans doute. En tout cas, ce sont nos pires cauchemars qui se concrétisent dans cette pièce, écrite en arabe classique par Fethi Kafi, d'après une idée de Rabie Guechi, qui a également signé la mise en scène. La complicité entre le dramaturge et le metteur en scène a été l'une des clés de la réussite de ce spectacle, car l'écriture scénique a complété et porté le propos du dramaturge. Al-qors al-asfar est un drame qui a mêlé plusieurs styles qui se sont harmonieusement intégrés au propos. On y retrouve du tragique, du baroque et même du comique. Parfois, on voit des personnages shakespeariens traverser cette œuvre, riche en contrastes et en propositions, notamment en ce qui concerne les symboles, qui ont été nombreux et aucunement accessoires, à l'exemple d'une chaise symbolisant le pouvoir et toutes les luttes de notre époque centrée sur la domination et l'oppression non pas des peuples ou des sociétés, mais des humains tout simplement. La lumière a également été un élément important sinon déterminant dans ce spectacle, puisqu'elle a, tout au long de la pièce, délimité l'espace de jeu. Le rythme était également soutenu, porté par différents rebondissements mais également par la remarquable prestation des comédiens, qui ont été homogènes et justes de ton. S'il devait y avoir un bémol dans cette pièce, ce serait le fait qu'elle soit trop courte, et notamment la mise en abîme. Même si tout a été dit en environ 70' minutes, il aurait été intéressant de prendre davantage de temps pour le dire et de nous émerveiller. S K Nom Adresse email