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Sur les routes de la délinquance
À la conquête de l'autorité perdue
Publié dans Liberté le 29 - 07 - 2004

A la suite des houleux évènements qu'a connus la Kabylie depuis avril 2001, d'aucuns ont cru diagnostiquer une déliquescence totale de l'Etat dans cette région du pays et une grave déperdition de l'autorité, ce qui aurait permis à une certaine violence de droit commun de s'installer. Liberté a sillonné la Kabylie de part en part pour constater de près cet état d'“insécurité” tant décrié. Carnet de route.
Si au niveau des grands centres urbains, et en particulier Tizi Ouzou, nous avons constaté un certain délabrement de la chose publique, il n'en demeure pas moins que la Kabylie reprend des couleurs et la vie s'y réinvente chaque jour entre espoir et résistance.
Ville bazar, ville douar, ville lupanar, ville ghetto, zone franche, immense bordel, bref, Tizi Ouzou. “Tizi Ouzou ? C'est pire que Bogota”, lance un jeune de la région activant dans le milieu associatif. De fait, les superlatifs se succèdent et se ressemblent, martelés tout peu ou prou sur le mode “ya latif”. On parle volontiers de “clochardisation”, de cloaque urbain et autres qualificatifs puisés dans le registre glauque qui se déclinent comme autant de plaies de la “ghettopole” noueuse et boueuse qui se tortille au fond de cette cuvette couvée par l'imposant Djurdjura. La capitale nationale de la fronde est malade, assènent ses habitants. Ville chaos érigée autour d'une anarchie organisée.
L., la trentaine consommée, est ingénieur et travaille dans une entreprise étatique. Il y a un peu plus d'un mois, en se rendant à son lieu de travail, alors qu'elle pressait le pas sur une grande artère, un pickpocket fonce sur elle, lui pique son portable en cinq sec et prend la poudre d'escampette.
“Heureusement, il a été honnête, si tant est que ce mot ait un sens dans le cas d'un type comme lui. Je l'ai appelé sur mon numéro et il m'a rendu le portable. Il avait à peine 17 ou 19 ans”, confie-t-elle. L. estime que Tizi aujourd'hui fait peur. Qu'il y a un relâchement de l'autorité. “J'ai assisté de mes propres yeux à une scène terrible il y a quelques mois : un fou furieux a fondu sur une dame et lui a arraché des bijoux qu'elle portait sur elle. La bonne femme était toute en sang. C'était horrible à voir. Cela s'est passé sur la grande rue. Une autre fois, j'ai vu un homme courir en lançant des pierres après un fuyard. Il venait de sortir d'une banque située sur le grand boulevard et le jeune a tenté de lui arracher une liasse de billets. Si ça se trouve, c'était peut-être sa paie, ce pauvre malheureux”, poursuit L.
La république des parkings
Hamid, la quarantaine, habite le quartier des Genêts, bastion de la protesta. Hamid ne reconnaît plus son quartier : “Un marché informel a poussé autour du quartier. Des vendeurs venus d'un peu partout squattent les trottoirs. Des jeunes les font payer 100 DA la place. Le comble, c'est cet espace vert faisant face à l'hôpital. Il a été tout bonnement squatté pour y construire des locaux commerciaux, soi-disant au profit des jeunes chômeurs. On n'a pas idée de sacrifier comme ça un espace vert pour des raisons obscures.” De fait, deux longues parois en tôle sont nettement visibles au long de la cité des Genêts, en face de l'hôpital Nedir-Mohammed. Il n'y a aucune plaque indiquant la nature du projet qu'on va y installer. On croit savoir que c'est une façon de s'attirer la sympathie des jeunes du quartier, connus pour être d'intempestifs émeutiers. Hamid relève un phénomène qui, à la vérité, a pris des proportions nationales : la “dîme” due à la “république des parkings”. “Dans mon propre quartier, je vois des jeunes venus de je ne sais où pour m'interdire de stationner devant chez moi sans payer. C'est scandaleux !” peste-t-il. On nous a même parlé d'un hurluberlu qui aurait fait tout un tintamarre pour protester contre les travaux de la troisième trémie parce que celle-ci lui a fait perdre son gagne-pain, entendre un tronçon de trottoir mué en parking, et qui lui rapportait une petite rente.
En plus de la prolifération des marchés anarchiques et des parkings sauvages, les riverains regrettent la disparition de cette rue mythique qu'est la rue Abane-Ramdane, et que les Tizi-Ouzéens appellent la grande rue. C'est incontestablement la rue la plus “politisée” de Tizi Ouzou, et pour cause : toutes les marches, toutes les manifs transitent par cet axe cerné par des blocs de bâtiments. Avec les travaux de la deuxième et de la troisième trémie, c'est toute la physionomie du quartier qui se trouve bouleversée. Les habitants du bâtiment Bleu suffoquent sous les nuages de poussière charriée par ces travaux. “Nous étouffons sous la poussière, dit l'un des riverains, sans citer le boucan des machines. “Tizi Ouzou n'a plus de centre-ville. On n'a pas idée d'ouvrir des trémies dans un espace aussi étroit. Ils auraient très bien pu terminer la rocade qui est censée contourner le centre-ville. Ils l'ont fait exprès : ils savent que ce carrefour entre la rue Abane-Ramdane et la rue des Genêts est le carrefour de toutes les marches à Tizi Ouzou !”
Si les Tizi-Ouzéens sont unanimes à déplorer une dégradation de la qualité de vie dans la ville des Genêts, les responsables des services de sécurité que nous avons consultés récusent catégoriquement ce diagnostic. “L'insécurité en Kabylie a baissé de plus de 70%. C'est la paix totale. La Kabylie va très bien et il ne reste que quelques énergumènes qui ne veulent pas que la situation se stabilise parce qu'ils aiment pêcher en eaux troubles”, déclare d'entrée le commissaire B., chef de la Police judiciaire à la Sûreté de wilaya de Tizi Ouzou, un homme jovial et volubile qui veille au grain. Le commissaire B. nous a même invité à une ronde nocturne dans les quartiers réputés difficiles de la ville, ainsi que sa banlieue, pour nous montrer que les choses sont maîtrisées. Nous y reviendrons dans un reportage spécial. Après la fermeture des brigades de gendarmerie — ou leur “délocalisation” selon la terminologie officielle — dans plusieurs localités en Kabylie, il nous a paru utile de nous interroger sur les retombées de ce retrait sur la situation sécuritaire dans la région.
Les responsables de la sécurité que nous avons rencontrés, et qui sont pour l'essentiel du corps de la police, affirment à l'unisson que la Kabylie “intra-muros” ne donne nullement à s'inquiéter mais que la délocalisation des brigades, il est vrai, n'a pas manqué de laisser de vastes territoires à l'abandon en extra-muros, ce qui a permis à une certaine délinquance de droit commun de gagner ainsi du terrain (vol de bétail, vol de voitures, grand banditisme s'apparentant à du terrorisme, braquages, etc.), sans parler du terrorisme proprement dit, l'attaque de la poste de Fréha avant-hier en étant un énième indice.
Une couverture policière insuffisante
Lundi 11 juillet, Béni Douala. 38 villages sont chapeautés par cette daïra où trop de choses se sont passées. C'est de là que tout est parti. Le bâtiment abritant la brigade de gendarmerie n'est pas aussi délabré qu'on le croyait, comparé par exemple à celui d'Azazga dont il ne reste que la carcasse. Sur un mur latéral, ce slogan : “Nous exigeons la fermeture de cette brigade d'assassins.” À la place des gendarmes, un détachement de policiers y a pris ses quartiers. Ils nous ont reçu fort agréablement. Loin de se mettre en quarantaine, ils donnent l'air de vivre en bonne intelligence avec la population, et les villageois le leur rendent bien. “La population est magnifique. Nous avons de bons rapports avec tout le monde. Ils nous apportent même du couscous”, dit un policier en civil, avec un fort accent oranais.
Au siège de la Sûreté de daïra, un officier nous reçoit gentiment. Un peu crispé, il nous confie que les services de la police maîtrisent la situation au niveau du chef-lieu, mais que vue l'étendue de la daïra, la tâche est ardue. Rappelons qu'en juin 2003, neuf policiers de la sûreté de Béni Douala étaient tombés dans une embuscade terroriste. Depuis, les déplacements en extra-muros sont calculés et prudents.
Aux confins de la circonscription, à Tizi Hibel, le village de Mouloud Feraoun, aucun homme en uniforme, ni policier, ni garde communal, encore moins un gendarme. “Il n'y a pas de différence entre aujourd'hui et avant. Avec ou sans gendarmes, l'Etat nous a toujours abandonnés”, maugrée un homme d'un certain âge. Une pharmacienne de Taguemount Azzouz souligne que les vols dans les maisons se sont accrus les derniers temps. “Nous n'avons pas les moyens nécessaires pour parcourir le relief montagneux et procéder à des patrouilles dans la périphérie de la daïra. Nous avons un vaste territoire à couvrir, soit près de 40 villages en tout, et la route, par certains endroits, est encore dangereuse”, argue l'officier de permanence de la sûreté de Béni Douala. Sur la route de Béni Z'menzer, située sur un autre versant, nous croisons un ferblantier du village d'Ath Mesbah occupé à donner forme à des citernes. “Nous avons toujours assuré notre sécurité par nous-mêmes. Le départ des gendarmes n'a fait aucune différence”, dit-il.
Kamel est bijoutier à Béni Douala. Un tantinet pessimiste, il estime que l'insécurité et l'anarchie règnent en maîtres en Kabylie. “Je ne peux pas mettre pour un ou deux kilos d'or dans la vitrine. J'expose à peine 500 g, tout ça à cause de l'insécurité. Et puis, pour ramener la marchandise, c'est tout un tralala. La route n'est pas sûre. Au niveau du carrefour où ils sont en train de construire un pont, tout à fait en bas, des bandits de grands chemins guettent les automobilistes. Ceux-ci sont obligés de ralentir en raison de la piste, et là, ils les coincent et s'emparent de leur voiture. Tout récemment, un jeune au volant d'une Golfe 4e génération et un autre qui roulait en Mégane ont été agressés et on leur a pris leur véhicule. Je ne m'aventurerai jamais sur cette route au-delà de 17h”, affirme Kamel. À propos du fléau de la drogue qui fait des ravages parmi les jeunes dans les villages kabyles — comme aux quatre coins de l'Algérie, du reste — notre interlocuteur résume cela en deux mots. “Ici, c'est la camorra”, lance-t-il. Un autre fléau fait rage : les suicides. Il ne se passe quasiment pas de jour sans que des suicides soient signalés. Kamel, dont le père est l'imam d'Ath Bouyahia, un village maraboutique, se félicite d'une seule chose : à Béni-Douala, les débits de boisson sont interdits.
M. Amar Fakhar est le maire de Béni Douala (FFS). Il est en poste depuis 1997. À ce titre, il a vécu de près les évènements qui ont ébranlé Ath Douala au lendemain de l'affaire Guermah. Il porte même un bleu à la jambe, séquelle d'une capsule lacrymogène qui l'a foudroyé alors qu'il était pris dans un chassé-croisé de projectiles entre gendarmes et émeutiers. Sur le mur de l'APC, on peut lire ce graffiti, vestige de la période chasse aux maires : “Non aux indus élus !” M. Fakhar estime que l'“Etat est absent en Kabylie”, justifiant par là même sa présence : “Nous avons dû pendant longtemps compter sur nous-mêmes pour assurer notre sécurité. Nous nous sommes organisés avec les comités de villages pour protéger les édifices publics”, dit-il.
Se prévalant d'une légitimité populaire, l'élu FFS se veut un “paravent” contre ceux qui veulent casser la Kabylie, car, professe-t-il, “la Kabylie est le syndicat politique de tout le pays”. Aujourd'hui, il aspire à travailler dans le sens d'un vrai “développement local”.
Haro sur les débits de boissons
Boghni. 33 kilomètres au sud de Tizi Ouzou. Cette grande daïra, qui compte près de 50 000 habitants, est décrite comme la plaque-tournante de tous les trafics. Un officier de police l'avoue à mots couverts : “Ici, il faut faire gaffe. Il y a de tout.” Côté population, il nous a été signalé plusieurs désagréments liés particulièrement à la prolifération des débits de boissons et des bars dans la région, avec leurs corollaires : rixes, tapage nocturne et prostitution. “Dans un quartier, un bar mal fréquenté a poussé au beau milieu d'un site où sont établis pas moins de cinq établissements à caractère socio-éducatif dont une crèche et un technicum. Les dépôts de boissons alcoolisées sont légion, avec leur pesant de vacarme, de bagarres et autres jeux de hasard. Cela se compte par dizaines et tous se transforment tôt ou tard en bars clandestins qui font travailler des filles qui défilent en tenue indécente. On se demande comment ces établissements ont-ils pu ouvrir sachant que préalablement, les autorités locales auraient dû procéder à la traditionnelle enquête commodo-incommodo”, dénonce un cadre de la ville.
Une pétition a même circulé pour exiger la suppression de ces commerces dans les quartiers résidentiels. “Durant les événements de Kabylie, les filles de joie ont disparu de la région. Mais avec le retour de l'accalmie, elles sont revenues. Sur la route Tizi-Boghni, au lieudit "la gare de Maâtkas", vous ne manquerez pas de voir des filles se prostituer près de l'oued, au désespoir des automobilistes de passage avec leur famille. Une fois, il y a bien longtemps, il y a eu une rafle effectuée par les gendarmes qui avaient embarqué tout le monde. Mais là, c'est le laxisme total. Curieusement, même le terrorisme n'a pas réussi à les dissuader. Les terros font des descentes dans les bars, rackettent les fêtards et s'en vont”, ajoute-t-il.
À signaler qu'en juillet 2003, le député FLN Rabah Raja, originaire de Maâtkas, était tombé dans un faux barrage, vraisemblablement tendu par le GSPC, et y avait trouvé la mort. Hormis cet attentat, la route semble fréquentable bien que peu fréquentée, surtout le soir. Quant à la splendide station de Tala Guilef qui relève de la daïra de Boghni, elle est toujours inopérante et le complexe touristique occupé par des militaires.
Azazga : la hantise des braquages
À peine quelques mois après l'attaque de l'agence BDL d'Azazga, attaque qui s'était soldée par la mort d'un policier et un magot de 52 millions de centimes et 28 000 euros, voilà que la poste de Fréha, située à 7 kilomètres d'Azazga et relevant de sa juridiction, subisse le même sort lorsqu'une bande armée s'est emparée de la caisse, emportant 480 millions de centimes. Cette affaire vient s'ajouter aux nombreuses attaques contre des convoyeurs de fonds qui ont défrayé la chronique cette année et attribuées un peu facilement au GSPC, alors que des associations de malfaiteurs commencent à essaimer en Kabylie, nous a-t-on signalé un peu partout, et mimant dans leurs agissements les groupes terroristes proprement dits. Le chef de la Sûreté d'Azazga, un homme sympathique et dynamique, rencontré le 12 juillet dernier, niait en bloc l'idée qu'il y aurait une insécurité grandissante en Kabylie. “On chôme !” lance-t-il avec un grand rire entendu. “Entendez par là que nous n'avons pas de grosse affaire à porter à l'attention des médias. Cela dit, il y a toujours de petites affaires qui nous sont signalées, de petits larcins.” Il n'en demeure pas moins que depuis la fermeture de la brigade de gendarmerie, la police a du pain sur la planche : “Nous avons une population de plus de 30 000 habitants à couvrir. Nous avons cinq grandes communes qui relèvent de nos compétences : Azazga, Fréha, Azeffoun, Bouzeguène et Mekla. De plus, il ne faut pas oublier que la route d'Adekkar est très fréquentée par les automobilistes et les camionneurs, ceux qui vont vers Béjaïa, Jijel, Sétif, etc., et cette densité du trafic nécessite une mobilisation particulière”, souligne le chef de la Sûreté de daïra.
Au nombre des délits constatés régulièrement en Kabylie maritime, les vols par effraction sur les maisons des émigrés, des résidences secondaires laissées vides la majeure partie de l'année.
Concernant le terrorisme, le commissaire est prudent : “Le terrorisme est sournois : nous ne savons jamais quand est-ce qu'il frappe ni où”, dit-il. Manque d'effectif, un vaste territoire, un maquis dense, autant de facteurs qui rendent le terrain kabyle particulièrement difficile.
Sur le “lac” de Taksebt
Nous avons sillonné la Kabylie de part en part, de Tigzirt à Tikjda, de Béni Douala à Béni K'sila, et de Toudja à Yakouren. Si le tableau dressé à travers les faits relevés çà et là laisse à penser que l'insécurité ronge la région, cela n'est pas pour nous faire oublier le versant vivant, pétillant, imaginatif et entreprenant de la Kabylie. Celle-ci nous est rarement apparue aussi prospère, aussi bouillonnante, aussi créative et aussi festive.
Les gens circulent, discutent, rient et s'amusent, en se laissant bercer par la grisante brise des sorties vespérales. Les femmes devisent en toute liberté dans les ruelles des petits villages, vêtues de leurs belles robes aux couleurs vives, avec leurs zigzags bariolés. Des routes fraîches et nouvellement revêtues renaissent un peu partout des anciens chemins cabossés qui, pour beaucoup, n'avaient pas changé de peau depuis l'époque coloniale. Autour du barrage de Taksebt, un fabuleux belvédère a émergé de l'oued. Une espèce de lac serpente ainsi au bas des collines et des crêtes, et tout au long de la route qui le surplombe, une chaîne de buvettes et de cafettes ont poussé, proposant sandwiches et rafraîchissements, mais surtout leur petite terrasse sous des toits en roseau d'où le visiteur peut admirer la beauté du paysage jusqu'à l'ivresse.
À un moment donné, un joli pont de construction récente et de fort bonne facture enjambe le “fleuve” artificiel, et les automobilistes s'y arrêtent volontiers pour prendre des photos.
Au carrefour tant craint jadis de Thakhoukht, la vie a repris ses droits, et les cortèges nuptiaux n'hésitent pas à inonder la montagne de leurs klaxons noceurs, en lançant des mains amicales aux militaires et gendarmes qui tiennent le barrage de contrôle.
Le défilement des matricules étrangers témoigne d'un rush des émigrés.
Les bâtiments incendiés ont été refaits et badigeonnés. Béjaïa, contrairement à Tizi, respire la peinture fraîche et l'iode de la mer accueillante.
La route Tazmalt-Bougie connaît un boucan d'enfer, avec un intense défilé d'une noria de camions chargés de toutes sortes de marchandises, signe d'une bonne santé industrielle.
Au long de la forêt de Yakouren, des files de voitures sont stationnées pour faire des emplettes chez les vendeurs de poterie traditionnelle. Tel éleveur de Bouira exhibe un drôle d'ovidé : un mouton à quatre cornes, nouvelle race non clonée se faisant prendre en photo sous le regard amusé des enfants.
À la lisière de la dense forêt de l'Adekkar, ou encore le maquis de Béni Ksila où les forces combinées ont décapité tout récemment la direction du GSPC, aucune trace visible de cette grosse opération. Nous avons fait la liaison Toudja-El Kseur en plein maquis et en sommes sortis indemnes, avec tout juste quelques frayeurs toutes humaines.
À Béni-Yenni, village de Mouloud Mammeri, Idir et autre Mohamed Arkoun, village emblématique des bijoux d'argent aussi, nous avons eu l'agréable surprise de tomber à pic sur une semaine culturelle des plus animées, que l'on doit à des associations très actives comme Azar (racines) et Thaghrassth (la ruche). La manifestation a été rehaussée par la mobilisation d'une brochette de “stars” de la culture : Denis Martinez, Arezki Metref, Omar Fatmouche, Fettouma Attouchi, Lynda Koudache, Jaoudet Gassouma, Serge Lledo et une pléiade d'humoristes du terroir kabyle qui nous ont fait plier de rire. Sur le dépliant de présentation, cet extrait qui dit tout, texte incisif signé Si Moh (traduction Amel Benghida) : “J'ai vu dans un rêve / Vibrer les cordes d'une guitare aphone / J'ai vu dans un rêve / Tant de graffitis sur des murs en décombres / J'ai vu dans mon rêve / Sur une étendue boueuse / Un souk aux portes béantes / Où se marchande la vertu !”
M. B.
Nouvelle-ville, vieux métier…
C'est dans les arcanes de la “nouvelle-ville”, entendre un ensemble de constructions relativement récentes, ne répondant à aucun plan urbain, et que la vox populi attribue au génie de Boumediène, avec une sournoise volonté, pensent-ils, de greffer un tissu social “urbain” à la ville de Tizi Ouzou pour mieux la contrôler, que le plus vieux métier du monde a élu domicile. Ainsi, dans les principaux hôtels du boulevard Krim-Belkacem, le visiteur non habitué à ce bouleversement de mœurs en Kabylie est surpris de voir un ballet de jeunes femmes, plus sexy les unes que les autres et rivalisant de charme, défiler autour de ces hôtels, pour quelques-unes “presque habillées”. H. est serveuse dans le bar de l'un de ces établissements hôteliers. 31 ans, grande, vêtue d'une tenue, on ne peut plus correcte, elle récuse catégoriquement l'étiquette qui taxe toutes les filles du coin de filles de mœurs légères. “Chacune a ses raisons, elle est libre de faire ce qu'elle veut. Moi, j'ai deux gosses à nourrir. Leur père est mort et j'ai été contrainte de faire ce métier pour eux, mais je n'ai jamais eu à me servir de mon corps pour subvenir à mes besoins. D'ailleurs, je ne supporte pas la goujaterie des hommes qui viennent ici. Ils sont grossiers comme tout et mettent toutes les filles dans le même sac”, témoigne-t-elle. H. se targue de compter parmi ses intimes tel médecin ou tel cadre.
Signe des temps : dans ces bars-boîtes de nuit, ce n'est pas du Matoub que vous risquez d'écouter mais du raï et du charqi. En boucle tourne le tube du moment Joséphine, de Réda Taliani. La bière coule à flot ; les incivilités aussi. Bourrée et mal barrée, telle loque humaine roule sur son tabouret en tambourinant au rythme d'une musique agaçante et étreignant par la taille quelque silhouette aguichante de passage. Ivresse à tout faire. Tendresse de pacotille. Les filles passent sans gêne d'une main à l'autre. Sinon, elles visent quelque “baggar” à plumer. Et tant pis pour ceux quoi n'ont pas le “tiki”.
La technique est simple : faire croire à l'heureux pigeon que la nymphe lui est promise pour la nuit. Il consomme, il trinque à la santé du premier venu. Dans sa griserie, il multiplie les tournées. “Les filles soutirent à leur client 2 000 ou 3 000 DA de consommation, voire d'argent frais, balancent un prétexte quelconque et disparaissent, laissant le bougre sur sa faim”, explique un officier, habitué de cette société de la nuit.
Les filles rivalisent d'ingéniosité en matière de “costumes”. Certaines s'exhibent carrément en maillot, avec de larges extraits de leur anatomie.
À leur accent, il est aisé de deviner qu'elles viennent des autres régions du pays, particulièrement de l'ouest. “Elles sont attirées par l'euro. Ici, le “tarchaq” est en euro”, fait observer malicieusement notre policier. L'euro, les bars et la liberté. “Il y a trop de bars et d'hôtels en Kabylie et ces établissements ne peuvent pas fonctionner sans femmes. Les filles laissent Oran et Alger pour venir travailler ici dans l'espoir de rafler l'argent des émigrés”, poursuit-il. Pourtant, zéro matricule étranger aux alentours des hôtels de passe, en tout cas, nous n'avons pas perçu d'émigré déclaré. La clientèle est plutôt issue des wilayas limitrophes. Les Tizi-Ouzéens ont maille à partir avec les prostituées. Cela se verrait tout de suite. Même s'ils ferment les yeux, ils sont peinés de voir la prostitution prendre une telle ampleur en Kabylie.
Cela dit, une certaine prostitution kabylo-kabyle commence à naître. Les Kabyles le disent : “Il y a un relâchement de mœurs terrible en Kabylie.”
“Il n'y a pas que les hôtels et les bars. Il faut voir ce qui se passe autour des cités U. Certaines étudiantes qui viennent des villages troquent rapidement la “horma” traditionnelle contre une certaine liberté débridée et basculent vite dans la débauche, avec ses corollaires : la drogue et les avortements clandestins lesquels, souvent, se terminent mal”, fait remarquer une source.
À la question de savoir à quoi les villageois imputent-ils ce basculement des mœurs, leur réponse est unanime : “Que Dieu maudisse Internet, le portable et la parabole !”
M. B.


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