La militante féministe et ex-présidente de la Commission femmes de l'UGTA alerte sur les remises en cause des acquis des travailleuses. Pour Soumia Salhi, le choix libéral, mais aussi le travail informel sont à l'origine de la dégradation de cette situation. Liberté : En tant que syndicaliste, que pensez-vous du travail féminin en Algérie ? Soumia Salhi : Nous sommes passés de 1 femme sur 25 actifs au recensement de 1966 à 1 femme sur 6 actifs à celui de 1998 ! Le nombre de femmes qui travaillent ne cesse d'augmenter. Les statistiques officielles révèlent que sur 100 femmes qui travaillent, 44,4% ont un niveau supérieur, contre 10,7% seulement d'hommes. Pourtant, le chômage touche plus les femmes (29,1%) que les hommes (9,8%). Vous remarquerez que cette progression, inéluctable, de l'activité féminine s'est poursuivie même durant les années 1990, marquée par une vague conservatrice et par les violentes remises en cause de la place des femmes dans la société. Même si de plus en plus de femmes revendiquent leur droit au travail et parviennent, quelque peu, à y accéder avec un taux, qui avoisine les 17%, les travailleuses restent souvent confrontées à une inégalité des chances, en matière de postes de responsabilité, et à la précarité que font peser sur elles les contrats à durée déterminée. Les chiffres témoignent de l'importance de l'emploi féminin dans le secteur informel... Quelles sont les conséquences de cette situation sur la condition féminine et sur le processus d'émancipation des femmes, en général ? (Rires) L'émancipation de la femme passe par son indépendance économique et donc par l'accès au travail. Vous savez, de nos jours, la précarité est devenue un mode de gestion de l'emploi. Il s'agit, comme au XIXe siècle, de rendre les travailleurs et les travailleuses flexibles et fragiles, pour mieux les exploiter. C'est pourquoi nous dénonçons "l'informalisation" de l'économie et la précarisation qui rendent inopérants les acquis sociaux, consacrés pourtant par la législation du travail. Le 1er Mai offre l'occasion de rappeler la loi des 8 heures : huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de sommeil... une revendication ouvrière ! Il y a plus d'un siècle, il n'y avait pas de week-end, pas de congés payés et pas de sécurité sociale. La généralisation du travail précaire fait perdre des acquis précieux. Comment voulez-vous réclamer des droits si vous n'êtes pas déclarée ou si vous êtes recrutée sur la base d'un CDD, qui pourrait ne pas être renouvelé, en cas de maternité, sans parler de la recrudescence du harcèlement sexuel dans ce cadre dégradé de la relation de travail. L'exceptionnel est devenu la norme. Le choix libéral supprime sur le terrain réel les discriminations positives qui facilitent le travail féminin. Le congé de maternité, les heures d'allaitement n'ont de sens que pour l'emploi formel, déclaré, qui tend à se réduire. Il y a manque flagrant de couverture sociale dans le secteur privé où plus de la moitié des travailleurs ne sont pas déclarés. Une stratégie est-elle possible pour mettre fin à cette situation ? Je pense qu'il n'y a pas de solution sans aller aux sources du problème. Il faut donc supprimer le travail au noir, lutter efficacement contre les zones de non-droit qui s'étendent, combattre la généralisation des contrats temporaires et imposer partout un contrat de travail décent. Mais, tout cela repose évidemment sur la mobilisation syndicale et sur la résistance des travailleurs et des travailleuses. Le harcèlement sur le lieu de travail a-t-il reculé en Algérie ? Le harcèlement sexuel n'est pas une réalité ou une pratique importée. Favorisé par la précarité de l'emploi, le recours à cette méthode d'asservissement des femmes a été dénoncé : la commission nationale des femmes travailleuses de l'UGTA a mené une importante campagne contre le harcèlement sexuel. Le centre d'écoute a révélé des centaines de cas et fait connaître leurs souffrances insondables. Notre campagne a brisé le tabou et son impact a été considérable dans la société algérienne plutôt traditionaliste. En novembre 2004, le code pénal est amendé pour incriminer et sanctionner le harcèlement sexuel. Et qu'est-ce qui a changé depuis ? La criminalisation du harcèlement est inscrite dans la loi, mais des obstacles persistent, des préjugés demeurent, limitant souvent la portée de l'action juridique. Le rapport de force dans la société a changé en faveur des femmes. Il a participé à légitimer le travail féminin à contre-courant de la vague conservatrice. Mais, l'évolution des mentalités en faveur de la victime ne change pas la réalité d'un patriarcat agressif ni celle d'une précarité qui continue de s'étendre. La victime de harcèlement sexuel évolue dans un climat de crainte et d'intimidation sur le lieu de travail. Les procédures restent pénibles, souvent les représailles administratives accablent les victimes qui osent dénoncer et les témoins qui les soutiennent. En fait, des travailleuses victimes se défendent, déposent plainte et tentent de faire reculer cette violence. Mais, il n'y a pas d'étude scientifique dans le domaine de la pratique du harcèlement sexuel qui permet d'attester du recul du phénomène.