Je pense à Mohamed Boudia. Dramaturge. Ecrivain. Militant culturel farouche, dès les premières heures de l'Algérie indépendante. Je ne remue pas la plaie. Pourquoi pensai-je, en cet été intrigant, à Mohamed Boudia ? Tout simplement parce qu'il nous manque ! Mohamed fut l'artiste façonné de courage et de justice. Il était juste. Enfant. Poète. Il n'a jamais séparé l'art de jouer sur scène théâtrale de l'art de jouer sur scène de la vie. La vie est une pièce théâtrale qui se joue depuis la nuits des temps à guichet fermé. Les comédiens changent, vieillissent, se fatiguent, meurent, mais la pièce continue sa tournée.Les lumières. Les mots. Le mot, pour Mohamed Boudia est un geste. L'art est un acte de présence dans la vie, dans le temps. Il fut l'ami du Che Guevara, héros de la Sierra Maestra. Un romantique révolutionnaire. Il n'y a pas d'art rebelle sans romantisme. Je pense à Mohamed Boudia, dès que je regarde autour de moi, apercevant cet écart entre l'art d'écrire et l'art de vivre, se faisant, de plus en plus, étendu et vertigineux. Le gouffre ! Je pense à Mohamed Boudia, le dernier des apôtres algériens. Il n'avait pas peur de regarder la mort en face. La mort était collée à la peau de sa vie. La dignité. Je pense à Mohamed Boudia, parce que je ne crois pas à la culture sans militantisme. La culture est la sœur jumelle de l'agriculture. Il faut semer et prendre en charge les grains. Cultiver c'est accompagner sa culture dans tous ses états. Dans l'agriculture le geste, le souffle, est capital. Il est l'essence même de l'agriculture. La substance de même la culture. Mohamed Boudia était un agriculteur. Laboureur des sens! Cultivateur des valeurs humaines. La culture se cultive comme les tomates et les cerises ! Et Mohamed était "culteur", dans le dictionnaire ce mot signifie : celui qui adore Dieu. La vie a besoin d'utopie pour souffler le sens du rêve dans les jours et dans les mots. Quand l'Algérie rêvée a glissé dans la haine et dans les guerres entre frères d'hier, en ce 19 Juin 1965, Mohamed a pris le chemin de l'exil (je n'aime pas ce terme : exil). Parce que Mohamed Boudia était citoyen du monde. Après l'indépendance de l'Algérie, il change le fusil et l'épaule du fusil. Il trouva dans la révolution palestinienne sa continuité, le sens de sa vie. L'artiste révolutionnaire ne se fatigue jamais. Il découvre refuge et oxygène dans la poésie de Mahmoud Darwich, de Samih el Qassim, de Maïne Bssissou, dans les nouvelles et les romans de Ghassane Kanafani, dans les pièces théâtrales d'Emile Habibi... À Paris, le prince de la planche est mort assassiné comme dans un spectacle. Paris a trahi Mohamed. La fin tragique de Boudia ressemble à celle du caricaturiste palestinien Naji El Ali. Si le premier a été assassiné dans les rue de Paris, ville de liberté, des lettres et de justice, le deuxième a été abattu dans les rues de Londres, cité symbole de la démocratie et des droits de l'homme. Une bombe haineuse placée sous le siège de sa voiture a mis fin à la vie d'un homme plein de vie et de mots. C'était le jeudi 28 juin 1973 à Paris, rue des Fossés-Saint-Bernard. Le 22 juin 1987, une balle venimeuse a mis fin à la vie de Handhala, le plus grand caricaturiste arabe. Dès que la marge entre l'écrit et l'acte est resserrée, l'artiste fait peur aux ennemis de la vie, de la justice et de la beauté. Les ennemis de tous les horizons. A. Z.