Marginalisée, brimée, isolée, poussée à l'exil et même fréquemment bastonnée, l'élite algérienne est aujourd'hui, à la faveur de la grave crise que traverse le pays, de plus en plus courtisée par les gouvernants qui se rappellent subitement au bon souvenir de ce qui représente la crème de la société. Dans les pays qui peuvent se targuer d'avoir un niveau de développement appréciable ou qui ont déjà atteint les objectifs en la matière, l'élite occupe une place de choix dans le processus de prise de décision et c'est elle qui imprime une ligne de conduite à même de permettre à leurs nations respectives d'avancer. Mais dans un système politique qui, ces vingt dernières années, a développé une aversion maladive pour la compétence et tout esprit critique, préférant la promotion de la courtisanerie et du népotisme, il était évident que l'élite intellectuelle se retrouve complètement neutralisée et impuissante à peser sur le cours des événements. Dans son message à l'occasion de la Journée nationale de l'étudiant, lu en son nom par la ministre de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication, Houda Iman Faraoun, le chef de l'Etat concède que la contribution de l'élite nationale sous forme d'expertises auxquelles peuvent recourir le gouvernement et toutes les institutions en charge de la gestion du pays "est une nécessité impérieuse". À l'évidence, la démarche ne peut que surprendre les concernés, eux qui sont plus habitués au mépris des autorités qu'à leur bienveillance. Mais là où la sollicitude sonne davantage mal, c'est lorsque le premier magistrat du pays évoque le rôle qu'il assigne à cette élite qu'on a tant persécutée. "Le concours de l'élite nationale permettra incontestablement d'élever le niveau de conscience au sein de la société et, partant, barrer la route aux manœuvres orchestrées tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, dans le but de semer le doute et le désespoir", soutient, pince sans rire, le président de la République qui invite par là même les intellectuels algériens à contribuer à sensibiliser et à mobiliser la société face aux nouveaux défis. Autrement dit, si on fait appel aujourd'hui à cette élite, ce n'est pas parce que le pays, qui traverse une effrayante zone de turbulences, a vraiment besoin de tous ses enfants et de toute son énergie pour faire face aux dangers qui le guettent de toutes parts. On l'invite, en réalité, juste à faire la promotion des choix politiques, économiques et sociaux, au demeurant très contestés de toutes parts, du pouvoir en place. Le premier responsable du pays ne dit pourtant pas comment il peut arriver à convaincre cette élite qui a payé un lourd tribut pour sa résistance aux forces obscurantistes durant la décennie noire et qui, pour toute récompense, s'est retrouvée vilipendée, morcelée et poussée à l'exil ? Nous assistons tous les jours que Dieu fait aux performances que réussissent les cerveaux algériens à l'étranger lorsque les conditions de leur émancipation sont réunies. Des milliers de chercheurs, de médecins, d'ingénieurs, d'enseignants, de dirigeants, d'opérateurs algériens et tant d'autres spécialistes et experts, chacun dans son domaine, sont aujourd'hui, à travers le monde, au service de sociétés qui n'ont dépensé aucun sou pour les former. La faute, évidemment, à un système politique à bout de souffle qui bannit la compétence, le génie et le savoir-faire, et qui privilégie pour assurer sa survie, le clientélisme, le copinage, la servilité et la rapine. L'échelle des valeurs s'en est retrouvée complètement chamboulée d'où, aujourd'hui, cette incommensurable crise morale qui s'abat sur la société algérienne. "La confiscation de notre liberté par ces gueux qui nous gouvernent a fait de notre peuple un troupeau malade où les meilleurs ont disparu, isolés ou vaincus, et les médiocres ont pris des allures d'astres scintillants." Cette complainte tirée d'une chanson de Matoub Lounès trouve, d'ailleurs ici, toute sa pertinence. Hamid Saïdani