Si l'on ne peut objectivement anticiper sur les conséquences, à terme, de cette démarche et si elle procure quelque sympathie à Tebboune auprès de l'opinion, il reste qu'elle suscite des interrogations. Par petites touches successives, Abdelmadjid Tebboune, dont on ne donnait pas cher de sa peau il y a peu, est en passe d'imprimer sa marque de fabrique dans la gestion des affaires publiques. Depuis son intronisation en mai dernier, il ne cesse d'étonner par ses méthodes qui tranchent singulièrement avec celles de ses prédécesseurs, où la fermeté semble le disputer à l'effet surprise. Par certains égards, on est face à un plan visant à dresser un bûcher à "l'héritage" de l'ère Sellal. Après avoir annoncé devant les parlementaires et les sénateurs son désir de "séparer l'argent de la politique", dans une allusion franche aux nouveaux riches qui ont prospéré à l'ombre du quatrième mandat que la secrétaire générale du PT, Louisa Hanoune, n'a pas hésité à assimiler à l'oligarchie russe, Abdelmadjid Tebboune lance devant les sénateurs un pavé dans la mare : "L'Etat a consacré un budget avoisinant les 70 milliards de dinars (soit près de 600 millions d'euros) au cours de ces dernières années à l'investissement sans pour autant qu'il ait un impact palpable sur le secteur ni sur le niveau de vie des citoyens." La personne ciblée est facilement identifiable : l'ex-ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb. Quelques jours plus tard, c'est le nouveau ministre, Mahdjoub Bedda qui prend le relais de Tebboune pour critiquer ouvertement la politique économique dans le secteur de l'automobile. "Nous n'avons pas atteint nos objectifs. Il faut encourager ce secteur mais pas de cette manière. Car de cette manière, c'est de l'importation déguisée. Il faut redresser tout cela", accuse Bedda. On l'aura compris : il n'y a pas que l'ex-ministre qui est visé, mais aussi certains concessionnaires qui, eux aussi, ont prospéré ces dernières années. Mais c'est assurément l'audit engagé sur le foncier industriel et l'ordonnance de gel, datant de lundi dernier, des décisions portant affectation des réserves foncières agricoles destinées à la création de nouvelles exploitations agricoles et d'élevage qui semblent annoncer une volonté chez le Premier ministre de "nettoyer les écuries d'Augias". Déjà début juin, des médias annonçaient que le Premier ministre allait annuler la résolution n° 01/135 du 3 mai 2017 portant sur les projets de partenariats public-privé dans 25 firmes pilotes affiliées à la SGP Gvapro. "À la faveur de cette résolution adoptée par le Conseil des participations de l'Etat, des centaines d'hectares de terres agricoles ont été distribuées au profit de plusieurs hommes d'affaires", avait affirmé à TSA, une source ayant requis l'anonymat. Et depuis Oran, cette fin de semaine, le ministre de la Justice s'est également mis de la partie en invitant les magistrats à "s'autosaisir" devant les cas d'atteinte aux terres agricoles. "Les juges doivent s'autosaisir et entamer des poursuites judiciaires dans les cas d'atteinte aux terres agricoles quelle que soit l'origine de ces atteintes", a affirmé Tayeb Louh. Le ministre a appelé les magistrats à suivre avec "rigueur et par la force de la loi", tous les cas d'atteinte sur les terres agricoles, estimant que "ces efforts nécessitent la contribution de toutes les institutions de l'Etat dans la prévention et la lutte contre toutes les atteintes visant ce secteur vital". Ces séquences surviennent alors qu'un bras de fer est engagé avec le patron du FCE, présenté jusque-là comme un intouchable et, par ricochet, avec ses soutiens. Si l'on ne peut objectivement anticiper sur les conséquences, à terme, de cette démarche et si elle procure quelque sympathie à Tebboune auprès de l'opinion, il reste qu'elle suscite des interrogations auprès de nombre d'acteurs politiques, mais aussi des chancelleries occidentales. Les rapports de force ont-ils basculé ? Le "clan dominant" soupçonne-t-il quelque plan caché élaboré en catimini par Sellal et compagnie pour organiser la succession ? Tebboune exécute-t-il, lui aussi, "un plan" visant à éliminer tous ceux qui peuvent peser dans cette échéance et dégager la voie à Bouteflika où à celui qu'il aura adoubé ? Cherche-t-il à redonner quelque crédit à une gouvernance à laquelle personne ne croit, en témoigne la défection industrielle des électeurs lors des dernières législatives ? Ou est-ce, enfin, une façon de préparer l'opinion, laquelle sera invitée à serrer davantage la ceinture à la faveur de la loi de finances 2018 ? Quels que soient les objectifs poursuivis par la démarche, la bataille s'annonce longue, ardue, voire périlleuse. "J'irai jusqu'au bout", suggérait Tebboune dans sa réponse au FCE et à l'UGTA. Assurément, les prochains mois s'annoncent chauds. Et au regard des traditions du système algérien, difficile de tabler sur celui qui aura le dernier mot. Karim Kebir