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"L'idéologie plombe la réflexion"
Djoher Amhis-Ouksel, auteure et poétesse
Publié dans Liberté le 23 - 06 - 2020

Il était une fois une pédagogue téméraire qui, sa vie durant, a mené nombre de combats acharnés contre l'ignorance, l'illettrisme et l'intégrisme culturel, sans céder le moins du monde face au tenant du nihilisme. Grâce à une brillante scolarité jalonnée de titres universitaires prestigieux, elle accède à l'univers de la culture et du savoir. Le capital savoir, une fois acquis, sa préoccupation première était de le partager avec ses compatriotes sevrés d'instruction.
Ces derniers, disait-elle, doivent pouvoir se libérer des bâillons de l'inculture, de la soumission, de la marginalisation et de l'exclusion. Nonagénaire au caractère bien trempé, notre citoyenne de cœur et d'esprit va poursuivre avec ardeur et ténacité ses batailles contre l'intolérance, l'hypocrisie et le non-respect de l'être humain. Aux côtés de son regretté époux, militant nationaliste de la première heure, appartenant lui aussi à la grande famille éducative, elle consacrera sa vie à l'éducation, à la formation et à la transmission du savoir, marquant de son empreinte la littérature et les lettres de son pays, tout en perpétuant ses racines culturelles profondes. D'Azeffoun à Tizi Ouzou, d'Oran à Béjaïa, d'Alger à Timimoun, l'enseignante devenue poétesse à succès, écrivaine de talent et "romancière de la mémoire" dévoile, au fur et à mesure de ses pérégrinations, tout un pan de l'histoire algérienne à travers les plumes célèbres.
Collectionnant méthodiquement les textes de nos prodigieux écrivains, notant pêle-mêle réflexions et pensées, multipliant les aphorismes, gloses et divagations qui irradient et marquent les esprits en répandant une chaleur mystérieuse, Nna El-Djoher Amhis-Ouksel finira par marquer son temps d'une empreinte indélébile. Le documentaire Une femme d'exception, qui lui a été consacré, relate à la perfection son parcours exemplaire en tant qu'enseignante face à l'adversité. Son intérêt manifeste pour l'ouverture de l'esprit dès l'enfance est évident. Puisant dans sa propre expérience du terrain, elle déclare : "Si on n'apprend pas aux jeunes à s'ouvrir, à réfléchir, à faire preuve d'esprit critique, nous laissons la porte ouverte à toutes les invasions culturelles." Ses publications, repères-phares fondamentaux en direction de la jeunesse, soulignent la nécessité d'une bonne qualité d'enseignement et une bonne transmission des connaissances, seules à même d'éveiller la curiosité et de contribuer à donner le goût aux études, au savoir et à la connaissance. Les jeunes et les moins jeunes qui l'accompagnent gardent profondément ancré dans la mémoire le souvenir impérissable d'une illustre intellectuelle qui use des mots, comme de poings levés, pour réclamer un monde plus juste et plus équitable. "L'acte d'écrire, proclame-t-elle, est un acte de résistance.
" Et qui dit écriture dit lecture, et donc décodage, décryptage et quête du sens caché des mots. Mme Amhis-Ouksel n'aura de cesse de mettre en garde contre les glissements sémantiques, la polysémie, voire l'ambiguïté, le sens caché et l'aliénation des mots. Prenant l'exemple du discours officiel, elle précise : "Lorsque face à la vérité, face à l'évidence, ce dernier tente d'enfermer, de piéger la pensée et de plomber la réflexion, la langue de bois devient alors la langue qui formate la pensée." Une œuvre tout en intelligence donc, constituée de livres "uniques" (une vingtaine au total) et de publications diverses qui interpellent et captivent. De Taous Amrouche à Mouloud Mammeri, de Mohammed Dib à Tahar Djaout, de Rachid Mimouni à Abdelhamid Benhadouga, sans oublier les multiples chantiers littéraires relatifs à Frantz Fanon, Assia Djebar, Yamina Mechakra... Nna El-Djoher Amhis-Ouksel évoque les auteurs célèbres en bousculant leurs manuscrits et en brouillant les époques et les frontières, avec tact, élégance et intelligence. Fermement enracinée dans le terroir culturel amazigh et pétrie aux valeurs nationales et universelles, elle résiste farouchement à toute tentative d'effacement de la mémoire collective d'une histoire millénaire.
"L'Algérie, notre chère et sublime patrie, legs d'ancestralité de nos aïeux, a été libérée du joug colonial de non-humanité grâce au sacrifice suprême des meilleurs de ses enfants. Notre devoir sacré demeure la fidélité du serment à pérenniser l'incommensurable richesse de son patrimoine d'historicité et d'authenticité." En deux phrases, tout est dit ! Il faut, poursuit-elle, "admettre que la diversité linguistique est une richesse si l'on veut avancer, dialoguer sereinement et tenter de régler les problèmes fondamentaux qui freinent toute falsification et ainsi empêcher de graves dérives". Ses productions (ouvrages, essais, conférences, articles, notes de réflexions), qui sont un véritable régal, se lisent d'un trait grâce à la dynamique formelle et sans limite qu'elle s'octroie. "Les utopies, répète-t-elle à satiété, sont devenues des réalités. Tendre vers le bien, le beau, le juste, se battre pour des idées de liberté, se sacrifier pour un idéal, c'est là tout le sens de l'existence."
Liberté : Vous avez, 70 années durant, enseigné la littérature, avant de vous consacrer pleinement à l'écriture et à la promotion de la lecture en soulignant la nécessité de résurrection de la mémoire. Pouvez-vous nous dire où en est ce travail d'anamnèse ?
Mme Amhis-Ouksel Djoher : La collection Empreintes tente de raconter l'Algérie dans sa pluralité. Mon souhait était de faire connaître aux jeunes leur patrimoine littéraire qu'ils n'ont pas eu la chance d'apprendre à l'école. Je trouve dommage qu'un Algérien ne connaisse pas des auteurs de son pays. Je ne voulais pas qu'il y ait une rupture entre les auteurs post-Indépendance et ceux d'avant.
Ces derniers, et plus particulièrement ceux des années 1950, ont été des éveilleurs de conscience. Ils ont eu le courage d'assumer leurs idées en pleine période coloniale. Ils doivent et méritent, par conséquent, d'être connus en particulier par la jeunesse qui doit être fière de son pays et de son histoire. Ces auteurs des temps difficiles ont eu le courage de donner une existence et une voix à leurs compatriotes qui n'existaient pas au temps de la colonisation. Mon souci permanent est de réconcilier les jeunes avec la lecture. Pour ce faire, je consacre l'essentiel de mon temps à faire la promotion de la lecture pour en faciliter l'accès aux jeunes. Ces derniers doivent connaître leur histoire et valoriser leur patrimoine. On se plaint que ces derniers ne lisent pas. Est-ce leur faute ? L'école n'a-t-elle pas failli ? Cette collection qui se propose de reconnaître et de promouvoir la littérature algérienne et qui tente d'en dévoiler les richesses et la complexité leur est dédiée. Nous ne sommes pas tombés du ciel ; nous avons un passé riche, une culture plurielle et une histoire dont nous devons être fiers, il s'agit de notre identité. Il est temps de briser les carcans et les tabous. Nous ne refusons pas les autres cultures, mais un socle culturel solide est un rempart contre les invasions culturelles.
Vos contributions dans les domaines de la littérature ont été majeures. Notre pays n'a que trop souffert de voir ses références nationales marginalisées. Comment, selon vous, sortir définitivement de l'ornière ?
Comment réhabiliter ce secteur aujourd'hui sinistré ? Tout simplement en s'investissant corps et âme, par le dialogue, le partage, la publication et surtout la formation. Depuis 1962, je suis à l'écoute des discours. Absence de transparence et langue de bois ! On n'avance pas, on est constamment dans l'explicatif, l'historique, les statistiques. Quelques journalistes, écrivains, cinéastes et intellectuels ont tenté, en vain, de dénoncer courageusement la léthargie ambiante, mais ils se sont heurtés à des attitudes autistiques. C'est le blocage et le déni du peuple, de toute une jeunesse réduite au désespoir, et exposée parfois à l'exil et au suicide. Les médias ne donnent pas la visibilité nécessaire à tout ce qui est positif. Nos jeunes disposent de potentialités énormes, mais on ne leur crée pas les conditions nécessaires à leur épanouissement et à leur créativité.
Ainsi, une énergie formidable est réduite à néant. La jeunesse est une richesse, mais la volonté politique capable de la mettre à profit fait défaut. Les solutions doivent venir de l'observation de la réalité, du terrain et, plus que jamais, de la lutte contre toutes les formes d'aliénation.
La pluralité est aussi une richesse et comme l'a si bien dit Mouloud Mammeri, "la culture ne se décrète pas". Jean Jousselin écrivait : "Être citoyen, c'est vouloir maintenir un accord et une unité entre des gens différents." La citoyenneté n'est pas donnée, elle se construit par un effort, une réflexion, une volonté.
Votre décryptage des œuvres de Mouloud Mammeri, loin d'être une sinécure est un véritable travail d'information. Pensez-vous que vos travaux vont séduire les futures générations ?
Plus que jamais ! Il est parfois nécessaire de changer de regard, notamment en ce qui concerne l'ethnologie et l'anthropologie, et d'apporter une contribution dans une démarche qui marque une rupture avec le passé. Profondément ancré dans la terre et l'histoire de son pays, l'écrivain, par son regard, donne à voir une Algérie avec ses valeurs, son histoire, sa civilisation. Dans un contexte hostile, il est parfois nécessaire d'user de moyens détournés pour remettre en cause les méthodes répressives. À travers son œuvre dense et profondément enracinée dans le terroir, Mammeri a tenté d'aiguiser le regard de l'autre sur la réalité, d'éveiller les consciences, de développer de nouvelles idées en renouvelant les pistes de recherches et de réflexion, le tout à travers un discours rationnel et un argumentaire sans faille, qui évite la langue de bois et le double langage. Tout son argumentaire obéissait à un souci d'éclaircissement et de rétablissement de la vérité. Vous n'êtes pas sans ignorer que l'idéologie plombe la réflexion...
"Le meilleur hommage qu'on puisse rendre à Assia Djebar serait de la faire revivre à travers son œuvre et son parcours", dites-vous. Juge éclairé du bon usage des mots, vous avez dédié à Fatima-Zohra Imalayène un ouvrage, où vous revenez sur tout son parcours à travers une œuvre prolifique. Un palmarès prestigieux, dites-vous !
Effectivement ! La diversité et la richesse de son œuvre lui ont donné une dimension universelle et humaniste. À une époque où la voix des femmes était occultée, elle a osé faire entendre la sienne en dévoilant et en affirmant son existence.
J'ai évoqué son œuvre imprégnée de sa vie et de son combat pour sortir les femmes de l'enfermement et du patriarcat. Elle a brisé les interdits et les tabous dans la langue de l'autre, le français, à l'instar de ses pairs qui, durant les temps difficiles, ont eu le courage de donner une existence et une voix aux Algériens qui n'existaient pas au temps de la colonisation. Assia Djebar est avant tout présence. J'ai tenu à consacrer tout un ouvrage à l'académicienne saluée dans le monde entier, car j'ai trouvé scandaleux qu'elle ne soit pas assez médiatisée en dehors des cercles des initiés. Je considère qu'un travail de mémoire est vital contre l'effacement.
Un pays qui oublie ses penseurs, ses artistes, son histoire et sa culture contribue à la perte de l'âme de tout un peuple. Assia Djebar, une figure de l'aube, fait partie de la collection que nous avons initiée pour faire découvrir le patrimoine littéraire du pays et tordre le cou à une croyance qui veut que les jeunes ne lisent pas et ne s'intéressent pas à la littérature. L'œuvre d'Assia Djebar est immense ! J'ai tenté de décortiquer une douzaine de ses ouvrages pour ouvrir la voie à la lecture de ses œuvres. Dans l'ouvrage autobiographique, Nulle part dans la maison de mon père, elle raconte la difficulté d'aller à l'école française dans un contexte colonial, et la difficulté d'échapper au pouvoir patriarcal au sein de certaines familles. Loin de Médine est le livre dont on n'a pas beaucoup parlé. Il était pourtant d'actualité à sa parution.
Et pourtant, je trouve qu'elle avait été très courageuse d'aborder le problème de la vérité historique des femmes au début de l'islam et d'expliquer que le Messager accordait une grande place aux femmes. Dans La Femme sans sépulture, elle consacre un hommage à Zoulikha Ouadaï, une moudjahida de la région de Cherchell, décapitée par les forces coloniales auxquelles elle a donné du fil à retordre, et dont la sépulture n'a jamais été retrouvée. Toute l'œuvre d'Assia Djebar est dominée par son parcours personnel et la condition des femmes musulmanes faite de claustration, d'enfermement et d'impossibilité de s'affranchir des contraintes de la domination masculine. Ces dernières savaient dans une résignation de fatalité souffrir en silence. On ne peut dissocier l'auteure du contexte historique dans lequel elle a évolué.
Cette grande femme de lettres est pour moi une intellectuelle engagée, une romancière d'envergure universelle, mais également une observatrice lucide et intransigeante de la société algérienne. Dans la langue de Molière, elle a su évoquer des sujets tabous, casser les barrières et se frayer une ouverture sur l'universel, ce qui l'a enrichie culturellement. Ce n'est pas parce qu'elle a écrit en français qu'il faut l'effacer de la mémoire, il faut lutter contre cette tentation idéologique.
La maîtrise des langues étrangères a favorisé son épanouissement personnel, tout en gardant en mémoire le berbère des montagnes du Chenoua qu'elle s'est réapproprié dans le film La nouba des femmes du mont Chenoua, et l'arabe de sa ville et de son enfance. Elle a montré comment les femmes des montagnes vivaient leur berbérité, qui était une façon de vivre leur algérianité de manière profonde, authentique et réelle. En fait, toute l'œuvre de Djebar porte, comme un leitmotiv, le thème de la condition et du statut de la femme depuis la nuit des temps, particulièrement depuis l'avènement de l'islam avec, bien sûr, l'espoir d'impulser le changement.
Les rencontres littéraires que vous avez initiées ont quasiment levé le voile sur les auteurs d'avant-l'indépendance. Kateb Yacine en fait partie. Votre conviction demeure-t-elle toujours aussi forte sur l'homme et son œuvre ?
Kateb Yacine mérite d'être connu, en particulier par la jeunesse qui doit être fière de son pays et de son histoire. Initié par la fondation Asselah-Ahmed et Rabah, le cycle de rencontres littéraires que j'ai eu l'honneur d'animer m'a permis de révéler l'œuvre de Kateb Yacine (1929-1989) et sa création culte Nedjma, née il y a 60 ans, qui mérite d'être vulgarisée en priorité à l'école. Il est aussi temps de lever le voile sur l'homme qui a eu le courage d'assumer ses idées en pleine période coloniale, l'homme qui adulait sa terre et de parler de son amour du pays, du respect des femmes et de son rapport aux langues. Débattre sans tabou aucun autour de son itinéraire, du trauma colonial qui a généré l'aliénation. L'auteur du Cadavre encerclé fut dépossédé de son enfance, de ses rêveries et de ses idéaux avec la tragédie du 8 Mai 1945. La cruelle stratégie de la colonisation et ses desseins de l'effacement de notre personnalité, de notre âme, de notre peuple, à l'aide d'une optique d'anéantissement, ont fait qu'un tiers de la population a disparu entre 1830 et 1875.
Outre l'horrible nuit de l'heure coloniale de 1830, suivie de l'épisode crucial de la dépossession des terres et les affres de la déportation, il faut noter également 12 000 morts dans les rangs des tirailleurs algériens lors de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Il ne faut pas oublier les bûchers et les enfumades encouragés par des cercles d'esprits supposés éclairés qui claironnaient l'hallali contre l'existence même de la personnalité algérienne. L'écrivain a vécu également la rupture linguistique et a souffert de la distance mise entre lui et sa mère avec laquelle il communiquait en arabe algérien. En effet, la scolarisation à l'école de Jules Ferry a généré la perte de ses repères et la rupture avec sa société envers laquelle l'auteur de la pièce théâtrale l'Homme aux sandales de caoutchouc (1970), Kateb Yacine avait tant à partager. Comment ne pas reconnaître l'œil du visionnaire qu'était Kateb Yacine qui nous a légué Le cercle des représailles ?
Et puisqu'on est dans l'offense coloniale, il est utile d'évoquer l'exemple de Si Mohand Ou M'hand (1845-1906) qui a perdu les siens au lendemain de l'insurrection de 1871. Le poète n'a gardé, comme seul legs, que sa poésie pour crier sa détresse et son tourment.
Et pour clore notre entretien, le mot de la fin...
Permettez-moi de souligner ceci : l'Algérie est notre chère et sublime patrie, c'est un legs d'ancestralité de nos aïeux qui a été libéré d'un joug colonial de non-humanité par le sacrifice suprême des meilleurs de ses enfants. Notre devoir sacré demeure la fidélité du serment à pérenniser l'incommensurable richesse de son patrimoine d'historicité et d'authenticité. Dans une société en pleine mutation, où tout est réduit à l'expression de la nécessité, ces mots donnent le ton d'une pensée féconde qui saisit le sens profond de l'homme. Il faut entendre l'eau enfouie dans les profondeurs...


Entretien réalisé par : Mohamed Bensalah


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