Sélectionné pour représenter l'Algérie aux Oscars 2021 dans la catégorie du meilleur film international, le premier long métrage de Djaffar Gacem est sans conteste l'une des plus belles œuvres réalisées ces dernières années sur l'Histoire du pays. Emotion et émerveillement, ce sont là les sensations qu'a fait naître Héliopolis chez le public, composé de journalistes, de comédiens et d'acteurs culturels, lors de la projection-presse organisée mercredi à la salle Ibn Zeydoun (Oref, Alger). Cette œuvre époustouflante est sans doute l'une des meilleures productions réalisées ces dernières années sur l'histoire du pays. Djaffar Gacem, connu pour ses séries télé à succès telles que Achour El Acher, s'est encore distingué en tant que réalisateur de fiction. Pour ce premier long métrage, un drame historique dont le scénario est cosigné par le couple Salah Eddine Chihani-Kahina Mohamed Oussaïd, le choix s'est porté sur les événements du 8 Mai 1945. D'une durée de 116 minutes, cette fiction tant attendue est une coproduction du CADC (Centre algérien de développement du cinéma) et Prod'Art Film. En lisant le synopsis – "À Héliopolis, un village colonial à Guelma, vit une famille dans un grand domaine, entre valeurs musulmanes et occidentales (...). Mais voilà qu'une deuxième guerre mondiale éclate et perturbe cet équilibre, levant doucement le voile sur une ‘Algérie plus complexe'" –, nous pensons machinalement : "Encore un film sur la guerre, dont les héros sont des surhommes !" Mais loin de là. Ecrit avec intelligence et finesse, le discours prédominant sur des combattants exemplaires, et que tous les colons sont des "méchants" n'est pas de mise dans cette production. En effet, nous sommes en 1940 et la trame s'ouvre sur les Zenati, des propriétaires terriens, dont le paternel, Si Mokdad (fils d'un caïd), jouit des avantages d'appartenance à une "Algérie française", car "nous ne pourrons jamais l'emporter sur les colons". De son côté, Mahfoud, le fils prodige, ne partage pas l'avis de son père, car il représente cette jeunesse avide de liberté, prête à donner sa vie pour décrocher son indépendance du joug colonial. Il choisit son clan en rejoignant le bureau du PPA... À partir de là, nous sommes plongés dans l'histoire, qui donne un aperçu sur l'élément déclencheur des manifestations du 8 Mai 1945. Les personnages sont tiraillés entre la peur, la résignation et le doute ; pour certains algériens ou Français, la solution est la cohabitation ou l'extermination de l'autre. Sans faire dans le misérabilisme, Djaffar Gacem a montré une autre image de cette page de notre histoire et ce, sans tomber dans les clichés perpétuels connus dans notre cinéma. Il a su miser sur un dialogue lourd de sens et pertinent. D'ailleurs, pour raconter l'injustice et ces terribles massacres, il a eu seulement recours à quelques séquences de guerre. Par ailleurs, même si Héliopolis a souffert de quelques failles (longueur au début), cette œuvre est sans conteste magnifique et troublante. Et cela est dû, entre autres, au jeu d'acteur de Aziz Boukerouni (Si Mokdad), qui s'est surpassé dans ce rôle, et de Mehdi Ramdani (Mahfoud), aussi talentueux que dans ses précédents personnages. D'autres figures comme Souhila Maalem, Mourad Oudjit, Fodil Assoul, Nacereddine Djoudi ou encore Alexis Rangheard ont porté avec virtuosité ce film. Sans compter également les décors et les costumes qui nous ont fait voyager dans les années 1940. Loin des cafouillages que l'on a connus dans certains films. "Un film pour les Algériens" À l'issue de la projection, le réalisateur et son équipe se sont prêtés au jeu des questions-réponses du public. Interrogé sur les différents accents algériens qui figurent dans cette fiction, Djaffar Gacem a indiqué qu'il ne voulait pas se focaliser seulement sur celui de la région de Guelma. "Je voulais un film algérien, avec un langage algérien. C'est un film actuel, je voulais que tous les jeunes puissent retrouver un langage compris." Sur le choix de cette thématique, le cinéaste a insisté sur le fait que "le rôle d'un réalisateur est de choisir une thématique, un scénario, une histoire et de la raconter. Nous ne sommes pas là pour raconter toute l'histoire. Nous ne sommes pas des faiseurs d'histoires mais des réalisateurs". Parmi les particularités de cette fiction, c'est que Gacem s'est penché sur la qualité du scénario et le discours politique, et non pas sur des images de guerre et de massacre. À ce propos, il a informé : "Dans le cinéma, il vaut mieux suggérer que d'aller frontal. Les images des massacres ont été réduites, car après le 8 Mai 1945, il y a eu 25 jours de massacres dans tout le Constantinois. En tant que réalisateur, je ne peux pas tout faire, le film aurait pris 4 ou 8 heures !" Et d'ajouter : "J'ai pris quelques séquences-clés. Je ne suis pas là pour montrer que l'Algérie s'apitoie sur son sort !"