ALNAFT et EQUINOR signent une convention pour étudier le potentiel algérien    Hamas informe les médiateurs qataris et égyptiens de son approbation de leur proposition concernant un cessez-le-feu à Ghaza    Ghaza: le bilan de l'agression sioniste s'élève à 34.789 martyrs    L'eau arrive en ville sur une distance de 146 kms    Plusieurs projets décidés par le président de la République inspectés    Cérémonie jeudi à l'occasion de l'anniversaire de nationalisation des mines et de création de la Sonarem    Conseil de la nation: la Commission des affaires juridiques examine l'avant-projet d'amendement du Règlement intérieur    Des visites d'inspection inopinées au niveau des chantiers de réalisations de logements    De nombreuses interpellations dans les campus américains    Les dirigeants arabes pérorent au Caire pendant qu'Israël massacre !    Mobilisation propalestinienne : Plusieurs syndicats appellent au blocage des lycées    Ligue 1 Mobilis: l'USMA et la JSK se neutralisent (2-2)    Distinction : Mustapha Berraf décoré de la médaille de l'Ordre national du Mali    L'international sénégalais Nicolas Jackson à égalité de but avec Didier Drogba    21 joueuses retenues pour le 3e et dernier tour qualificatif    Une bande de trafiquants de drogue démantelée et saisie de 750 capsules    Hommage aux chevaliers de la plume    Douze avions mobilisés par ''Tassili Airlines'' pour la lutte contre les feux de forêts    Projection honorifique du film «Tayara Safra» de Hadjer Sebata    Hasna El Bacharia inhumée au cimetière de Béchar    Célébration des costumes et des bijoux algériens authentiques    Enseignement et formation professionnels: les lauréats du concours du mois de Ramadhan distingués    Décès de la moudjahida Ouissi Aouali à l'âge de 86 ans    Tour d'Algérie-2024 : retour du MC Alger après une longue absence    "L'Algérie, un partenaire stratégique dans la coopération africaine", thème d'un séminaire à Alger    Nâama : décès du moudjahid Brahimi Laïd    Sport scolaire : Belaabed reçoit le président de l'ISF    Le droit de massacrer, de Sétif à Gaza    Le 9e Festival national de la création féminine du 9 au 17 mai à Alger    Merad appelle depuis Khenchela à l'intensification des efforts pour protéger les forêts contre les incendies    Agression sioniste contre Ghaza: l'UE appelle à un cessez-le-feu immédiat    Espagne: le Maroc fustigé pour non-coopération dans la lutte contre le trafic de drogue    Signature d'un mémorandum d'entente pour la commercialisation des produits d'ACS en Mauritanie    Belkacem Sahli réitère son intention de prendre part aux présidentielles du 7 septembre    Natation/Championnats d'Afrique Open: l'Algérie décroche six nouvelles médailles, dont trois en or    Le wali honore la presse locale    A Monsieur le président de la République    La protesta estudiantine occidentale face aux lobbies sionistes.    ALORS, MESSIEURS LES DIRIGEANTS OCCIDENTAUX : NE POUVEZ-VOUS TOUJOURS PAS VOIR LES SIGNES ANNONCIATEURS DUN GENOCIDE A GAZA ?    Megaprojet de ferme d'Adrar : « elmal ou Etfer3ine »    Témoignage. Printemps Amazigh. Avril 80    Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'imagination au pouvoir.    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



L'homme qui portait la cravate de sa mort
L'Autre Algérie
Publié dans Liberté le 17 - 02 - 2022


Par : Kamel daoud
Ecrivain
Mi-mars 1962. L'homme est assis dans la véranda d'une maison inconnue. Il a le front posé dans la paume de sa main, comme on le fait généralement contre le souci, la fatigue ou pour rester concentré. On ne le distingue pas avec certitude, mais l'homme lit un journal ou un rapport. Le mobilier est simple : un salon en fer forgé, des arbres qui emapêchent le ciel d'apparaître et, face à l'ombre racée, une lumière vive : celle d'un matin ? D'un
midi ? On ne le sait pas, mais le ciel entier ne devait pas être loin du jardin. Malgré la verdure monochrome, le lieu n'a pas de couleur et n'en aura pas sur la photo en noir et blanc.
"Il était seul, moi aussi. Je marchais dans la maison. Elle était calme, pas d'agitation, un jour férié ou un après-midi, pas de rotation sur Evian. Je l'ai surpris, il ne m'a pas vu tout de suite, j'étais un peu dans son dos. J'ai glissé légèrement vers son profil à lui. Je crois que j'ai fait seulement une photo. Le sentiment dont je me souviens à ce moment ? Une grande solitude face aux notes qu'il avait devant lui. Une fraction de seconde. Un instant de vérité rare à cette époque où tout était propagande pour ne pas montrer de failles. Cette photo a été publiée à la une du journal peu connu Candide (sorte de monde diplomatique). Il était un peu à part, Krim. Quelque chose de profond et une certaine tristesse aussi. Un homme à part. Très romantique aussi. On avait envie de l'aimer et de le consoler. C'est des mots comme ça. Je te les donne, ils sortent de ma tête", me raconte Raymond Depardon.
"J'ai bien aimé faire cette photo sans doute. Même avec le temps elle est toujours présente en moi." Et ensuite ? "Je ne lui ai pas parlé. Il était discret et soucieux. C'était le début des négociations. C'est un moment volé. Une fraction de seconde. J'ai eu le sentiment qu'il souffrait et qu'il ne devait pas le montrer."
Celui qui raconte, c'est Raymond Depardon, le photographe qui éternisa les séances des accords d'Evian, à la mi-mars 1962. Artiste français majeur de l'instant, de l'arrière-pays, du fugace converti en monument. L'immense photographe est le dernier témoin vivant de cette négociation historique. Celui qui est assis, seul, incarnant le moment solennel et difficile, l'acte las du héros après le climax face aux dieux, c'est Krim Belkacem, vice-président du GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne), signataire de l'acte de naissance de l'Algérie face à Louis Joxe, ministre d'Etat des Affaires algériennes.
Huit ans et sept mois plus tard, un homme, ou plusieurs, a glissé derrière le dos de Krim pour l'étrangler avec une cravate, dans une chambre d'hôtel à Francfort, à une heure grise d'octobre allemand. Les "services" algériens, à l'apogée de leur âge d'or funeste, en sont toujours accusés. Mais le destin cahoteux de l'homme ne s'arrête pas là : père fondateur (parmi les "six" dits historiques) du FLN, il sera enterré en "anonyme" dans le carré musulman de la ville allemande jusqu'au 24 octobre 1984. Est-ce tout ? Non : en 2015, un film est "sponsorisé" par les vétérans de guerre à Alger pour rappeler le parcours de Krim Belkacem.
Les vétérans de la décolonisation gardent la main lourde de la censure sur les scénarios et l'argent consacré à l'hagiographie de la guerre et veillent jalousement sur la légende dorée et une version édulcorée de l'Histoire. "Un biopic qui ne fâche personne", titra le journal Liberté en 2015, quand le film fut enfin projeté. Car si le film est élogieux, la fin est
"gommée" : rien sur son assassinat par ses "frères d'armes". En Algérie, le récit national est manichéen : le crime est français, le héros est Algérien. Le fratricide, la trahison, les meurtres pour concurrences politiques ne sont pas "réels". Que pensait l'homme, la tête dans la paume de sa main ? On ne le saura jamais.
Des années plus tard, son chauffeur à Tunis, à l'époque de la guerre, ajoute à la légende de l'abnégation : à la veille des négociations d'Evian, le futur signataire souffre d'une violente crise d'appendicite. Il doit se faire opérer en urgence, mais ne veut pas rater l'acte ultime en Suisse. "Il a ressenti des douleurs abdominales et je l'ai conduit à l'hôpital", raconte le chauffeur. "Je l'ai emmené à l'hôpital Sadikia de Tunis où il s'est avéré que son état de santé nécessitait une intervention chirurgicale, une appendicectomie." Le lendemain, Krim Belkacem demandait à son chauffeur de le conduire "immédiatement" à l'aéroport. "Au moment où Krim Belkacem allait monter dans l'avion, sa plaie saignait au point que des gouttelettes de sang en coulaient", rapporte le témoin. "Je lui ai apporté du coton et des médicaments et il a poursuivi son voyage."
Le héros est donc presque parfait, comme son assassinat.
Dans les photos de Depardon on se surprend, pour l'auteur né bien après la guerre, à contempler justement les corps des négociateurs et leur élégance : reflets minutieux des acteurs des films d'époque. Les mêmes codes, posture, plis du coude et nuance du sourire, cigarette et serviette en cuir sous le bras. Les coupes de cheveux sont soignées et les cravates nouées comme d'élégants paraphes. Il ne reste rien de la guerre que ce moment de triomphe affable. Le peut-on ? Non. Il semble à l'auteur que jamais une guerre qui dure ne pourra admettre cette "pause", ce démenti par le sourire, cette posture d'égalité entre la délégation algérienne et son vis-à-vis français. Célébrer ce moment équivaut à entamer, au présent, un travail de mémoire à assumer, de part et d'autre, et à chercher l'accord au lieu du culte de la crise dont les journalistes des deux pays raffolent pour se réchauffer à la braise d'une fiction d'entretien.
Il y a dans le souvenir des Accords d'Evian un spectacle qui dément la rancœur et les vétérans ne voudront jamais qu'on conclue l'épique guerrier par le climax du sourire de grâce.
Une dernière photo montre Krim Belkacem debout, parmi les autres délégués, sur le perron de la fameuse résidence. Il porte un costume clair. Il a le visage fermé, sérieux comme un drapeau, altier mais aussi comme las, traversé d'énigmatiques appréhensions. On cherche vainement la trace de sang de sa blessure au ventre. Au-dessus de la chemise blanche, l'homme endosse un costume clair qui le distingue des autres membres de la délégation et arbore une cravate sombre. Ses futurs tueurs l'avaient peut-être remarqué et noté ce souci d'élégance qui participera au futur meurtre parfait.
Car Krim Belkacem fut étranglé avec sa propre cravate.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.