Le président de la République présente ses condoléances suite au décès du président iranien Ebrahim Raïssi    Arkab en visite de travail en République du Congo pour élargir les perspectives de coopération bilatérale    TAC-2024: une avant-dernière étape pluvieuse, le maillot jaune en ligne de mire    Ghaza: des dizaines de martyrs et de blessés dans de nouveaux bombardements de l'entité sioniste    Derbal passe en revue l'état des relations bilatérales avec le président de l'Autorité de l'Eau palestinienne    Top départ !    Derbal s'entretient à Bali avec le ministre saoudien de l'Environnement, de l'Eau et de l'Agriculture    La Sonatrach pourrait concurrencer le groupe énergétique émirati TAQA par l'achat en bourse d'une fraction du groupe espagnol Naturgy Energy    La BNH officiellement opérationnelle    Les chefs de partis appellent à une forte participation au prochain scrutin    «La folie séparatiste des uns ou l'anti-kabylisme des autres doivent être combattues»    Iran: décès du président Ebrahim Raïssi dans un accident d'hélicoptère    Déplacement forcé de 700.000 personnes à Ghaza    La Présidente géorgienne a mis son veto à la «loi russe»    Au moins 68 morts après des crues soudaines    Le Général d'Armée Saïd Chanegriha en visite de travail à la 1ère Région Militaire    Un Open national des jeux d'échecs, le 17 mai à Sétif    Foule en liesse dans les rues d'Alger fêtant le 8e sacre du MCA    Retour surprise de N'Golo Kanté et première pour Barcola en équipe de France    Un mort et six blessés dans deux accidents de la circulation à Tébessa    Saisie de plus de 3 kg de drogues dures et 20 kg de kif traité    Il lui porte 7 coups de couteau pour lui voler son portable    Hadj: Zahana s'enquiert des préparatifs du transport des hadjis vers les Lieux Saints    Des certificats de formation, d'aptitude et d'honneur remis aux chercheurs    Aucune religion ne recèle quelque spiritualité    Décès de l'ancien journaliste de la télévision algérienne Mohamed Boussiha    Journée nationale de l'étudiant: diverses activités organisées dans le Sud    Hadj 2024/1445h: le président de la République appelle les hadjis à être les meilleurs ambassadeurs de l'Algérie    Le Président de la République préside la cérémonie commémorative de la Journée nationale de l'Etudiant    Le pôle scientifique et technologique de Sidi Abdallah, un acquis important pour l'Algérie    TAC-2024: Hamza Yacine s'offre une 3e victoire personnelle en attendant de récupérer le maillot jaune    Journée nationale de l'étudiant : diverses activités organisées dans le Sud    Grand Prix de Tbilissi: médailles de bronze pour les judokas Bouamer, Radjai et Chetouane    Le président de la République rend hommage aux jeunes maîtrisant les technologies modernes et jaloux de leur patrie    Timimoun: Bengrina appelle à la consolidation de la référence religieuse et culturelle nationale    Agrément du nouvel ambassadeur d'Algérie en Suisse    Le pouvoir politique US des deux poids, deux mesures….    Palestine. Mieux vaut tôt que jamais    Le droit de massacrer, de Sétif à Gaza    Megaprojet de ferme d'Adrar : « elmal ou Etfer3ine »    Témoignage. Printemps Amazigh. Avril 80    Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'imagination au pouvoir.    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Ordre et désordre au cœur de la réinvention du politique
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 08 - 08 - 2019

La relecture attentive de l'ouvrage de Georges Balandier (1988) sur «Le désordre. Eloge du mouvement» permet d'indiquer que toutes les sociétés sont nécessairement «confrontées au désordre, leur ordre en est indissociable».
Autrement dit, ordre et désordre s'entremêlent. Il n'est donc pas vrai qu'une société puisse être totalement dominée, comme dans le récit politique algérien, par la stabilité et l'équilibre, s'interdisant tout désordre au cœur même du fonctionnement apparemment ordonné du tissu social. Il définit la modernité par le mouvement et l'incertitude en référence à l'imprévisible et à l'inattendu au cœur de tout système social. Il a été l'un des pionniers les plus influents de l'anthropologie politique dans les années 1960 (Selim, 2019). En consacrant une grande partie de ses travaux à l'Afrique, il a magistralement montré l'ampleur du mouvement et des turbulences sociales dans ce continent, à l'inverse de nombreuses thèses centrées sur le conformisme, le culturalisme et l'exotisme des sociétés africaines. La relecture de Georges Balandier est aujourd'hui pertinente pour appréhender le mouvement social algérien. Il montre que tout mouvement social, apparemment producteur de désordre, n'en est pas moins une création constante d'une nouvelle façon de s'approprier le politique que celui imposé par les pouvoirs d'ordre. Sa conclusion a un sens sociopolitique profondément actuel: «Autrement dit, faire l'éloge du mouvement, dissiper les craintes qu'il inspire et, surtout, ne jamais consentir à exploiter la peur confuse qu'il nourrit» (Balandier, 1988).
Un laboratoire pour comprendre les dynamiques sociopolitiques émergentes
Le mouvement social algérien est un laboratoire d'initiation à la compréhension des dynamiques sociales et politiques que ses différents acteurs déploient tous les vendredis et les mardis. Il représente un trésor fabuleux pour nous permettre de décrypter le sens novateur du changement social et politique porté principalement par les jeunes. Le mouvement social sort des sentiers battus reproduits mécaniquement par les politiciens paternalistes et éloignés du réel, pour s'inscrire, au contraire, dans le bricolage inventif et créateur. Cette posture originale permet aux jeunes de produire de nouvelles catégories du politique. Elle opère un dépassement critique des revendications classiques et ordonnées autour de programmes formels à soumettre aux détenteurs du pouvoir. La force du mouvement social algérien est profondément liée à la quête d'une rupture politique significative avec le fonctionnement actuel du politique. Il s'agit pour les jeunes manifestants d'accéder à leur émancipation politique pour prendre leur destinée en main. Les mots d'ordre des jeunes manifestants sont dans une logique de réinvention du politique. Ils ont bien compris qu'ils n'ont rien à attendre d'un système politique anachronique. Décryptons ce slogan très significatif: «Vous allez vous confronter à une génération qui vous connaît bien et que vous ne connaissez pas du tout». La compréhension fine de ce mot d'ordre est intéressante. Osons une interprétation: «le système politique que vous avez mis en place depuis longtemps ne nous est pas étranger. Nous connaissons vos pratiques politiques pour ne plus tomber dans le piège de vos promesses. A l'inverse, la génération des jeunes qui est en face de vous, vous l'avez toujours ignorée, et méprisée».
Nous ne sommes pas dans un mouvement social classique et réformateur qui souhaiterait se limiter à l'obtention de quelques acquis pour continuer à rester dans l'ombre du système politique actuel. La gestion du mouvement, où s'incruste l'ordre et le désordre, relève indéniablement d'un profond désir de dignité, de liberté et de citoyenneté. Pour le philosophe Spinoza, juif, d'origine portugaise, ayant vécu aux Pays-Bas, au XVIIe siècle, le désir, rappelé avec beaucoup de pédagogie par Frédéric Lenoir (2017), n'est autre que «l'appétit accompagné de la conscience de lui-même. Autrement dit, le désir, c'est l'appétit, cette puissance, cet effort qui nous fait rechercher consciemment telle ou telle chose». Ceci peut être aisément observé au cours des marches, où le mouvement du corps, l'appropriation du drapeau (Mebtoul, 2019) et le cri de rage des jeunes manifestants se conjuguent pour se donner à lire comme une ferveur collective, fortement partagée par ses membres mais aussi par les habitants du quartier où se déroule la manifestation.
Se réapproprier autrement la Nation
Le mouvement social se traduit par une puissance de dire et d'agir qui va au-delà d'une simple marche du vendredi ou du mardi, pour au contraire en révéler sa profondeur sociologique et historique. La volonté et la raison ne sont pas suffisantes pour opérer le changement, nous dit Spinoza. «La seule force qui peut nous faire changer, c'est le désir. Voilà une puissance du corps et de l'esprit capable de mobiliser tout notre être pour l'amener à changer, où la raison et la volonté, exclusivement liée à l'esprit, peuvent se révéler impuissantes». (Lenoir, 2017)
La profondeur du mouvement social est attestée par ce désir des manifestants de se réapproprier autrement la Nation. Ils refusent de façon radicale de se reconnaître dans la gestion patrimoniale de celle-ci. Comprendre ce slogan dans sa finesse est une manière d'indiquer le refus des jeunes d'abdiquer face à la répression et aux violences multiples déployées par le pouvoir réel qui tente, par tous les moyens, de détourner le mouvement social de sa trajectoire initiale. «Nation, Nation, Ils se sont emparés du mot, mais pas du sens». Avec des mots simples et clairs, ils décryptent de façon critique cette idéologie d'appropriation forcée du pays, interdisant à la majorité de la population d'en être partie prenante. Ils se perçoivent étrangers dans leur propre nation. Force est de reconnaître que la prise musclée de la Nation par le pouvoir a abouti à un bilan politique peu glorieux. Le système politique a opéré dans l'exclusion et la marginalité des jeunes, les laissant dans leur désoeuvrement, pour permettre à une clientèle privilégiée de se rassasier de tous les privilèges appartenant à la Nation.
Dans les entretiens réalisés avec des étudiants, ressort le mot fort et récurrent, «d'indépendance politique» réelle qui puisse redonner du sens au mot «peuple» bafoué pendant plus de vingt ans par l'ancien président de la République Abdelaziz Bouteflika. Ecoutons cette étudiante: «C'est une deuxième naissance de l'Algérie contemporaine. La France nous a colonisés durant 132 ans et ce système politique nous a idiotisés et obscurcis depuis plus de vingt ans. Le peuple algérien s'est découvert à nouveau. Il s'est rendu compte qu'il est le vrai maître de cette terre et que sa voix doit être entendue, après une longue période d'effacement et de mutisme».
Georges Balandier (1988) rappelle fort à propos que le changement social et politique, au cœur du mouvement où se cristallise à la fois le désordre et l'ordre, consiste à «donner toutes ses chances à ce qui est porteur de vie, et non à ce qui relève d'un fonctionnement mécanique, à la société civile et non aux appareils».
Pour mettre à nu les mystifications du pouvoir, ce slogan, mieux que mille discours, refoule l'élection comme une alternative immédiate pour mettre fin aux incertitudes politiques actuelles, telle qu'elle est portée à bout de bras par les acteurs du système politique. «Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit». Tout est dit dans ce propos de bon sens et d'une pertinence politique qui contraste avec ceux qui pensent faussement qu'il est encore possible de ruser avec un mouvement social aussi puissant mené par les jeunes. A leur encontre, une majorité d'acteurs stagnent, souvent avec mépris ou condescendance, dans une posture patriarcale par absence d'écoute et de reconnaissance de leurs propos inventifs. Ils refusent de rompre avec un temps politique bien révolu, considérant que le politique doit se limiter à l'accaparement féroce du pouvoir, rien que le pouvoir, faisant fi du cri des jeunes: «Nous ne voulons plus de vous. Partez et laissez-nous réinventer le politique en tenant compte de nos attentes et de nos exigences».
*Sociologue
Références bibliographiques:
Balandier Georges, 1988, Le désordre. Eloge du mouvement, Paris, Fayard.
Balandier Georges, 1967, Anthropologie politique, Paris, PUF.
Lenoir Frédéric, 2017, Le miracle de Spinoza, Paris, Fayard.
Mebtoul Mohamed, 2019, «L'appropriation du drapeau national au cœur du mouvement social en Algérie», Revue internationale Multitudes, 75, 7-12.
Selim Monique, 2019, Anthropologie globale du présent, Paris, L'Harmattan.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.