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Eric : Naït ou Niet Zemmour: Quêtes de sens dans l'histoire et la baraka d'un nom algérien
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 21 - 04 - 2022

Les questions sur les origines d'Eric Zemmour et de sa fratrie, partant de l'étymologie de son nom « a-i-zemmour-en », de ses déclinaisons lexicales (a-i-zemmour-en) , extensions sémantiques et même symboliques (sacrées, religieuses, mystiques) nous ramènent aux profondeurs du système de nomination algérien, des individus et groupes (Izemmouren / Aït Zemmour /Beni Zemmour), aux lieux (Campus universitaire Targa Ouzemmour) et aux croyances (Sidi Zemmoura). Le nom propre en Algérie, société à tradition orale, est intimement lié au système social, lequel observe si bien Bourdieu, « est conçu selon le modèle de la généalogie qui, au moins idéalement, permet aux groupes ramifiés et dispersés de se découvrir des ancêtres communs ». Bourdieu parlera, à cet égard, de la « Baraka du Nom ».
A l'ombre d'un arbre et d'un nom
Le terme « zemur » est relevé en 1068 par El Bekri dans « Description de l'Afrique septentrionale » : 9 fois comme nom de lieu (ou toponyme) et 1 fois comme nom de tribu (ethnonyme ou ethnique), avec deux indications historiques. « Le récit qui va suivre provient de Zemmour, surnommé Aboa-Saleh, et membre de la tribu des Bereghouata » et « à côté des Nefouça habitent les Beni-Zemmour...» (traduction De Slane). Plusieurs caractéristiques linguistiques onomastiques (ou nom propre), de forme et de sens, caractérisent l'emploi systématique de ce terme : sous la forme arabisée collective, marquée par la chute de la voyelle initiale : a/zemour- zamour et surtout zemoura/zemourah... Il y a surtout celui de son usage collectif ou pluriel comme composant exprimant le thème de la tribu, à l'état libre dans « Zemmour, Zemouri [les] ou précédé de la particule de filiation berbère « Ait » ou arabe « Beni » (Ait Zemmour / Beni Zemmour), de la personne « ben » (Benzemmour), suivi du suffixe d'appartenance « -i » (Zemmouri), ou les deux en même temps Benzemmouri. Zemmour / Zemmouri est la déclinaison arabe d'azemmour, signifiant en amazigh « olive ». La forme collective donnera Zemmoura/Zemmourah « les oliviers », attestée dans des centaines de milliers de lieux en Algérie, au Maroc, en Tunisie et même, à des degrés moindres, au Sahara Occidental, en Lybie et Mauritanie. La forme ethnique Beni Zemmour est revendiquée généalogiquement par Eric Zemmour « je suis originaire du Maroc... de la tribu des Beni Zemmour », et non celle de Lybie, dont l'ancrage est pourtant plus ancien.
Un nom pan-amazigh
Dans le paysage toponymique maghrébin, sous ses différentes catégories (territoire, peuplement, relief, espace sacré, noms de personnes...), attestées partout en Afrique du nord, zemmur pl. tizemmurin « olivier cultivé », dont nous citerons, pour des raisons pratiques rédactionnelles, que les représentants les plus significatifs, est recensé sous sa forme originelle : azemmur : la forteresse d'Azemmor (en 1237-8), cité par Ibn Khaldoun dans les limites occidentales du Maghreb (Tanger). Comme nom de tribu (Beni Zemmour), descendant de Zemmour et de ses frères Maouès, Keba et Mesraï, l'illustre penseur du Moyen âge les fait descendre d'Aurigh, nom à rapprocher de Maghraoui, Ouraghen (Touareg) et Beni Wragh (Ouest algérien)... Une autre descendance est évoquée par Ibn Khaldoun, à la suite d'El Bekri, citant les Beni Zemmor, habitant aux environs de Tripoli, parmi les Nefoussa, descendants de Nefous, fils de Zeddjik, fils de Madghis-el-Abter, fils de Berr (Berbères Botr). Un autre dérivé, Tazemourt, exprime le collectif de azemmur : « olive cultivée » contrairement à l' « olivier sauvage », « a/zeboudj » donnant des milliers de toponymes au Maghreb. Le nom, comme toponyme et ethnonyme, se décline le plus souvent sans voyelle au singulier et au pluriel : Zemoura. Exemples : Zemmoura (Mascara, Relizane), Douar Zemoura, Oued Zemmour (Chlef), Ain Izour Azemmour, Bled Zemmour, (Tissemsilt), Djebel Zemmour, Ain Zemmour (Tlemcen), Ain Ben Zemour (Nedroma), Bordj Zemmoura (Bordj Bou Arréridj), Rabat-Zemmour- Zaer, Agouni Zemmour (Maroc), Tiris Zemmour (Mauritanie), Gueltat Zemmour, Zemmour, lieu des peintures rupestres dans 110 abris préhistoriques au Sahara Occidental, commune de Bordj Zemoura, Beni Zemmour (Lybie), Sidi Zemoura (Marrakech), etc. D'autres sources les mentionnent ainsi : Zamour : Zammour, Agni Ou Zammour, Geltat Zammour, Azlag Ou Zammour, Jebel Ben Zammour, Zamouri El Sahel, Baten Zammour, etc.
Izemmouren d'Algérie : l'histoire au napalm
Le collectif à dimension communautaire amazighe est contenu dans Izemmouren, relevé dans Bou Izemmouren, Tizi Bou Izemmouren, Ighzer Izemmouren ... Ibn Khaldoun cite Izammouren, fraction des Botouïa de Taza soumis par Abd el Moumen (1142). En Algérie, le nom d'Izemmouren entre dans l'histoire quand ses habitants (Béjaia), les Ath Houari (nom à rapprocher de Hawara une des tribus fondatrices de l'Afrique du nord dès l'antiquité). Dépossédés de leurs terres, mis dans un camp de concentration, leur village est bombardé au napalm par l'armée française, avec la mort, le 11 mars 1957 de trois sections de l'ALN (75 moudjahidine de la Wilaya III historique). Le degré de productivité des dérivations de ce nom sous d'autres formes est remarquable. Tout d'abord, sous la forme de Zemourine dans Agouni-Izemmouren, Aït Yala n-tzemmourin (Kabylie), Draa Zemourine (Ouarsenis) Zemourine (Maroc)..., ensuite sous la forme arabisée : Zemamra, comme Kadda donnant Keddadra. Il s'agit d'un procédé onomastique où la solidarité tribale ou familiale se met sous la symbolique du nom de l'ancêtre éponyme exprimée par sa mise au pluriel en arabe algérien, exemple : MenadMenanda.
Un nom : en évolution historique et morphologique
Cette évolution morphologique de (Beni) Zemmour en Zemamra et même Zemamri, est attestée : Zemamra de Mascara, Bordj Bou Arréridj, en Tunisie et au Maroc (Khemis Zemamra). Cette forme est le pendant amazigh de Izemmouren, expression de la filiation, avec l'usage du pluriel et du collectif rappelant l'ancêtre éponyme, soit avec « en / enne », soit avec « i », exemple : IfeghoulenFeghoulFeghouli.
On aura ainsi : Izemmouren /Izemmourine, Beni Zemmour, Zemmouri [les] ou encore Zemourit, un des usages linguistiques mis en place par l'administration coloniale avec la pratique de rajout de lettres non étymologiques (Yermeche, 2008) : Ould/Oulds ; Zemmiti/ Zemmiter, Benabi/Benabit, dans le cadre de l'Etat civil (1882), conçue et élaborée comme une entreprise de dé/re/nomination inique et unique dans l'histoire de l'humanité : anonymisation, collation, parcage alphabétique (Lacheraf, Yermeche), « un onomacide sémantique » (Benramdane). « Une œuvre de dénationalisation, l'intérêt de celui-ci était de préparer la fusion» (Ageron). «Franciser plus résolument les patronymes indigènes pour favoriser les mariages mixtes» (Gouverneur d'Algérie devant la commission sénatoriale).
D'autres explications de Zemur
Tout ceci ramène à (Beni) Zemmour, Izemouren, Zemamra... et aux autres significations que pourraient véhiculer ce nom propre. Celle qui rattache ce nom à une dimension humaine de la même racine (ZMR) : « être fort, puissant » (Laoust), autrement dit « ceux qui supportent, résistent, les résistants », à l'image de l'olivier et à sa capacité d'endurance et de longévité. C'est le seul, nous semble-t-il, récit de fondation de la tribu, qui représenterait mentalement un référent d'identification : plutôt d'un lieu que d'un ancêtre commun. Dans ce cas, il n'est pas exclu que le nom de la « tribu lui-même ne fait pas référence à un personnage mais aux qualités partagées par tous ceux qui se réclament de la tribu » (Assam). Une autre hypothèse rattache le sens de i-zemmour- (en/a) à Ti-n-Izammaren, «celle-de-agneaux» (Chaker), « à la mère, Tin Izamaren » nom d'une famille guezoulienne au Moyen âge (El Bekri). La répartition dans les différents parlers amazigh (kabyle, chleuh, tamazight, Ghadamès, chenoua, touareg...) a donné plusieurs dérivés, avec le sens d' « agneau, agnelle, bélier » : izimer izamaren - izmer izamaren tizimer - tizamarin (Kessai) ; mais elle nous semble peu probable dans la dénomination d'une confédération tribale. Les dénominations, sélectionnées dans les éléments du milieu naturel jouent le rôle de déterminatifs en mettant en évidence les aspects qualifiants et descriptifs des entités spatiales et territoriales. Les propriétés des éléments géographiques,les couleurs (Beni Zeroual, Beni Ouraghen), les qualités morales : la bravoure, la supériorité (Yughurta) sont autant d'éléments qui entrent dans la détermination d'un ensemble démographique ou territorial.
Fiction généalogique et vérité historique
La dénomination Zemmour, entre tous les usages relevés au Maghreb, semble exprimer un indicateur géographique d'habitation : un gentilé (Lyon/ un Lyonnais, Wahran / un Wahrani), cristallisé en onomastique. Ceci expliquerait cette dénomination « Zemmour », selon Marcel Lesne, auteur de l'étude la plus complète : « Les Zemmour. Essai d'histoire tribale » (1966). Faisant partie du Bled Seba (par opposition à Bled Makhzen), « illustre par ses actes d'hostilité, d'humeur guerrière, elle a gagné ce vaste territoire au XVIIIe siècle en repoussant pas à pas, depuis des générations, la puissante tribu de Beni Ahsen. Il posera tout de même cette interrogation sur les types de fiction généalogique et de ressorts historiques à la base du ciment unificateur de cet ensemble : « Les Zemmour n'ont ni ancêtres communs, ni fiction généalogique d'ensemble ; ils constituent un mélange de populations diverses, issues des groupements berbères traditionnellement distingués ». Sur cette dénomination, il notera que la confédération « ignore ainsi le mot Zemmour et n'offre que des explications imparfaites, ou manifestement contradictoires, d'un aussi vaste groupement. Personne ne sait plus pourquoi les diverses tribus se disent Zemmour ». Sur ses probables origines, il relèvera celle issue de la « tradition juive » ou l'origine juive de certaines fractions, il « reste toujours difficile à retrouver, par suite du voile qu'elles jettent sur la conversion de leurs aïeux ». Dans sa conclusion, il retiendra le sentiment d'une infinie diversité et d'une structure moléculaire souvent instable de cette tribu des Zemmour : « le pays Zemmour n'est donc pas la grande patrie de tous les Zemmouris, mais un agrégat de cantons occupés par des groupements divers et individualisés ».
Pourquoi et comment Eric Zemmour n'est pas forcément un Nait Zemmour ?
Ayt/ At/ Ath/ Ait/Nait. Il s'agit de particules anthroponymiques filiationnelles typiquement amazighes ; elle est attestée dans les différentes formes de dénomination des entités onomastiques algériennes et / ou maghrébines, aussi bien individuelle (Ait Mimoun) que collectives (Nath Meguellat, Aït Sliman, At Boudou...). L'usage est devenu, avec le temps, plus collectif en termes d'indicateur de peuplement et de filiation, au sens de « descendants de..., enfants de ...), d'indication toponymique (référence à un lieu) : Ayt Toudert, Nait Oufella ou Ait Zemmour ou comme composant patronyme avec son correspondant arabe « ben/bel/be ».. Ce schème de filiation ou « nasab » explique aussi la profondeur des ancrages et appartenances d'une population (tribu, groupe, famille) : formés avec le nom de l'ancêtre éponyme (« ceux de ») : Aït Abdelkader, Ath Chabane... A qui et à quoi référent du point de vue sémantique et symbolique les porteurs du présent nom « Eric Zemmour ». La filiation est à chercher partant non pas du nom de famille (ou patronyme) mais des prénoms adoptés par la famille Zemmour, lesquels sont à connotation religieuse « juive » ou de souche « arabe » à la fin du XIX° siècle et « français » au XX°. Adopter un nom local (amazigh ou arabe) par les ancêtres d'Eric Zemmour est tout simplement un des procédés dont se sont servis les Juifs dans le monde entier, avec l'objectif de « préserver leur judéité et leur patrimoine culturel » précise Rozner dans « Guide des patronymes juifs ». En fonction des contextes socio-historiques et culturels, les Juifs adoptèrent plusieurs procédés onomastiques de « camouflage et de conservation», précise-t-il, optant, entre autres, pour des acronymes, des anagrammes ou la traduction des noms hébraïques en langue étrangère : « en règle générale, le fait de porter des patronymes étrangers ne présentant pas de problèmes pour les Juifs qui conservaient leurs prénoms traditionnels.
Beaucoup s'efforçaient néanmoins de donner à ceux-là un contenu juif, n'hésitant pas à les déformer par des procédés inventifs personnels pour atteindre leur but ». Un simple regard sur les nomenclatures des noms juifs du Maghreb rend compte de ce procédé, avec l'usage de noms aussi bien berbères qu'arabes. Cette représentation de la nomination, cette sorte de continuité sémantique et symbolique dans le changement des noms des Juifs s'est confirmée lors du passage de l'algérianité à la francité durant la période coloniale : « s'inscrire dans la francophonie sans pour autant oublier la chaîne généalogique dans laquelle on naît » (Joëlle Bahloul). Elle consiste à reproduire le même schéma opératoire onomastique, évoqué par plusieurs spécialistes en la matière : syntaxe hébraïque très ancienne (Esther, David, Salomon...), référence au monde judéo-arabe : Meriem, Zbiba, Ourida, Fredj... (prénoms des ascendants d'Eric Zemmour), univers espagnol et italien (Perla, Mercedes ou Nino, Umberto et Gilda). Avec l'entrée en masse dans le système éducatif français, le système onomastique juif algérien / maghrébin s'occidentalise, où jusque-là, le prénom était unique, de souche linguistique hébraïque (pour les hommes) ou judéo-arabe (pour les femmes). On y ajoutera un recours à des usages que l'on retrouve dans quelques motivations maghrébines pour prémunir le nouveau-né des puissances maléfiques, d'où la présence de Soltana, Messaouda, Hayim, qui, avec le temps français, deviendront Irène, Fortune...
Zemmour : descendant de Zamor et non d'Azemmour ?!
Les noms Zamor (Zamora, Zamorano, Zamorani...) pourraient ne pas dériver de azemmour, quand bien même des noms, relevés en Espagne (Tolède mozarabe) et en Italie, en Sicile arabo-normande (XI°-XII° siècle), proviennent d'un substrat maghrébin, arabe : ‘Allûn (de Ali), ‘Amrûn (de ‘Amar), Farjûn, Hassûn... ; amazighs : Bâdîs, Zekri, Zirwal, Zanîna, Wasif,Ya'la, Yanâr... (Annliese) ; Zenata (Atzaneta, Atzueva), Medyunaa (Médiane]), Zynhagia (Sanhadja), Cala Gazula (Galaa Guezoul), province de Zamora, etc. Cette dernière donnera : Rabbi Moshé Abenamias, rabbin de Zámora, et Niceto Alcalá-Zamora (Président espagnol 1931-1936). Une étude plus approfondie de l'onomastique juive permet d'établir une décantation formelle et sémantique entre Zamor et Zemour. Zamor est relevé dans les juifs natifs de Constantine déportés de France, rescapés des camps d'extermination : Zamor Jean Claude 8 ans, Zamor Colette 16 ans, Zamor Jacqueline 15 ans, Zamor Liaou 51 ans, Zamor Paul Aristide 13 ans,. Plus loin, dans le temps, Zamour Salomon (1897), et dans un décret français (1795) « Veuve d'André-Gabriel-Joseph-Marie Zamour, dit Zamor, lieutenant de chasseurs... » A partir des textes bibliques, des rapprochements peuvent être établis entre notre nom (Zemour) et Zimran, fils d'Abraham (Chroniques 1:32), mais également Zemira fils de Béker (Chroniques 7) que certaines hypothèses rattachent à zèmèr « chèvre sauvage », non sans rappeler sa correspondance avec le berbère izimer. Aussi, Zamora, grand centre de réflexion intellectuelle en Espagne et au Portugal, avant l'expulsion des Juifs au XV°. Un autre rapprochement va vers le terme religieux hébreu zemiro «chant religieux», Zimria « chant de Dieu», Zimri, 5ème roi d'Israël (886). La même base est représentée dans le karaïte zemir « chant religieux, poème religieux », zemer « vers des psaumes ». Relevons également Zmirou, porté par des Juifs d'Afrique du Nord, signifiant soit « celui qui est originaire de la ville espagnole de Zamora », soit dérivé de l'hébreu, avec le sens de « chant ou chanteur ». C'est la racine z-m-r avec des variantes en Zemiro, Zmiro. Sur une liste de noms formés avec Zmiro/Zmirou, relevés en Algérie fin 19°- début 20° siècle, les prénoms sont, de manière générale, de souche hébraïque Zmirou : Zmirou Abraham/Eialou/Rachel/Moïse/Esther/Salomon/Isaac, Messaouda-Fortunée, etc. Enfin, une référence à la fois ethnique et hagionymique (sacré), au Maroc : Ouled Ben Zmirou (sanctuaire des sept saints juifs) dont Abraham Ben Zmirou, fuyant l'inquisition espagnole. Il n'est pas exclu de formuler l'hypothèse selon laquelle la lignée d'Eric Zemmour, comme dans la longue tradition maghrébine, et comme les Juifs nord-africains, a fait usage de la dénomination personnelle, par le procédé de l'attraction paronymique ou attraction analogique, processus fréquent en onomastique consistant à modifier la forme d'un mot par rapprochement avec un autre qui lui ressemble mais ne lui est pas apparenté : Zmirou/Zemirou/Zemir/ Zamor/Zamour/Zemmour. C'est dire que l'usage de noms locaux, comme Zemmour, relève plus de la référence géographique (un tel est issu de la région de Zemmour-a) que d'un lignage de type généalogique (descendant de la tribu des Zemmour, Izemmouren ou Zmamra), encore moins d'un fondement mythique ou idéologique. Ce qui explique aussi cette proportion de références toponymiques ou ethnonymiques algérien et/ou maghrébin dans les noms de famille juifs : Ifrani de (Ifrane), Mendès ou Mendassi (de la région, du lieu de résidence de la tribu de Mendes). Ainsi de Branès, on aura : Beranez, Beranès, Bernoussi Baraneck ; de Ouezzane : Ouzani, Ozanne, Uzan,Uzanne, Uzano ; Touat, Touati, Ettouati, Thouati, Touaty, Toaty...
Rapport au sang / rapport au sol : algérianité et ancestralité
Les noms algériens sont là, tout de même, pour rappeler ceci. L'ancestralité en Algérie et au Maghreb, un des paradigmes d'une nation, a un rapport beaucoup plus avec le Sol qu'avec le Sang (comme en Orient). De «L'Afrique au Africains» de Massinissa à «Cette terre n'est pas à vendre» de Messali Hadj jusqu'à «Nous mangerons la terre de notre pays» de Boumedienne, c'est le même rapport à l'espace, à l'identité. La terre et sa dénomination, cristallisée dans les toponymes, les ethniques, les hagionymes, sont au cœur de l'identité algérienne : terre soumise à des rythmes séquentiels historiques violents de ré/occupation et re/libération, sans aucun sens, ni culture de la victimisation. Peuple rebelle, esprit frondeur, culture de résistance, valeurs guerrières, la Terre ou le Territoire et sa dénomination joueront le rôle d'une forte identité et la fonction d'une puissante identification. C'est le droit de sol, non le droit de sang. Fanon, Lacheraf, Sahli... parleront de cette vaste entreprise de dé/re/structuration identitaire de l'Algérie sous colonialisme français, puis d'un sursaut populaire historique salvateur, de « l'impératif biologique de civilisation et de permanence du besoin culturel, (...) de la géographie, de l'esthétique, du caractère affectif de la transmission identitaire propre à notre pays depuis la plus haute antiquité » (Lacheraf, 1998).
Je suis une olive mais l'olivier n'existe pas ! Je suis un Juif algérien mais l'Algérie n'existe pas !
Ceci nous rappelle les raccourcis historiques et historiographiques sur les prétendues origines juives des Berbères d'Algérie et du Maghreb, repris curieusement dans le discours séparatiste algérien, déjà usités dans l'anthropologie coloniale. Et c'est dans cet ordre d'idées qu'il faut comprendre la réplique sous forme d'offre de service du Grand rabbin de Tunis (1884), et d'autres représentants juifs, celle de son inscription dans cette logique onomastique de rupture avec l'Afrique du nord historique et d'assimilation culturelle avec la France coloniale. Ceci explique ce surdimensionnement exagéré de la composante berbère dans le système de référence généalogique d'Eric Zemmour au détriment délibérée de la composante arabe, qui culturellement et onomastiquement, lui est consubstantielle, d'où la pratique systématique de la langue arabe dans la communauté juive d'Afrique du nord, en sus du délire identitaire et du raisonnement par l'absurde « je suis un juif algérien mais l'Algérie n'existe »). Comme si nous disions : je suis une olive (azemmour), mais l'olivier (tazemmourt) n'existe pas !
Une conception plus proche du sionisme que du judaïsme maghrébin
Elle reprend à son compte, comme semblent le croire, naïvement d'ailleurs, quelques concitoyens algériens, de manière plus inconsciente que consciente, les concepts issus de la pensée coloniale, au sens développé dans les thèses de Nahum Slouschz (1872 1966), dans son doctorat et ses annexes : Hébræo-phéniciens et Judéo-Berbères. Introduction à l'histoire des juifs et du judaïsme en Afrique (1908). Slouschz, s'inspirant du livre du grand rabbin de Tunis David Cazès (1888) avec sa liste des 74 noms usités par les Juifs de Libye et/ou de Tunisie qui, d'après lui, « indiquent une origine berbère certaine». Cette assertion est reprise, selon Beider, de manière mécanique par d'autres auteurs : Gautier, Chouraqui, Laredo, Tolédano, Cohen ... Il est vrai que la liste des patronymes cités, dans une approche étymologique, est sujette à de nombreux biais méthodologiques et sémantiques. Dans la mise en œuvre de l'entreprise coloniale, deux mamelles idéologiques feront de la vente concomitante : la latinité et la judéité. Des études en Algérie ont dé/montré les différentes expressions de la thèse latiniste de l'Algérie dans le discours de légitimation coloniale par l'usage de l'onomastique (toponymie et anthroponymie). Quant au profil final du grand rabbin de Tunis, il est résumé ainsi : «l'œuvre produite repose sur un véritable bricolage culturel. David Cazès est un autochtone sans l'être véritablement. Juif marocain, il est quelque peu étranger à l'univers des israélites de Tunisie. « (Zytnicki, 2006). Plus incisif, l'autre spécialiste du domaine, Beider conclut : «on peut affirmer que l'analyse des noms de famille des juifs maghrébins ne fournit strictement aucune corroboration pour la théorie des Judéo-Berbères, alors que les arguments onomastiques proposés par les partisans de cette théorie sont soit erronés, soit, pire, relèvent une imposture». Enfin, est-il pertinent de signaler que Nahum Schlouschz, fervent sioniste, est nommé secrétaire général de l'Organisation sioniste mondiale (1897), après sa rencontre avec Théodore Herzl. La jonction entre la thèse latiniste et la thèse judaïste est établie en contexte colonial, surtout algérien. Des travaux de chercheurs algériens (CRASC) ont démontré les expressions de la thèse latiniste dans le discours de légitimation coloniale par le biais des noms propres. L'objectif (Bertholon, Pellegrin...) est de rattacher des noms relevant de l'onomastique berbère à un peuplement primitif européen de l'Algérie (1898). Ces deux paradigmes de l'anthropologie coloniale visaient l'intégration démographique des communautés «musulmane» et «juive» dans la matrice du colonisateur. Chacune répondra de manière différente et différenciée...
L'histoire des prénoms : une adversité artificielle
Déjà, dès 1882, en Algérie, des administrateurs coloniaux avaient relevé « une certaine ressemblance de prononciation avec des noms européens » : Hamel, Amaury, Sassi, Noir, Ruis (Tabet, 1882). Ce problème a pu être résolu à partir de la question sur l'origine des noms dits «arabes» et dits «français». Beaucoup de noms, surtout de la Bible, sont présents en Afrique du Nord avant l'arrivée des Arabes, assurant leur large diffusion. Les principaux, sont usités aussi bien les Chrétiens, les Musulmans que les Juifs : Adam /Adem, Jean /Yahya, Anne / Hanna, Sadok/Sadek, Elisée /Elyas, Zacharie /Zakariya, etc. La conception du nom dans les religions monothéistes «abrahamiques» et son apport à la personne qui le porte est la même (cas des noms attributs de Dieu «Asma Allah al Husna »). Remplaçons, dit Pierre Rossi « Noé par son nom arabe Nùh , Job par Ayyùb , Jonas par Yùnous ben Matta , Sem par Sam bin Nùh , Abraham par Ibrahim , David par Daoud , Aaron par Haroun , Salomon par Soleïman , Goliath par Djaloud , Jésus par Issa , Marie par Myriam , et alors nous retrouvons la fraîcheur primitive du Testament et sa présence réelle». Alors, quelle différence entre Youssef/Joseph, Meriem, Miriam, Marie, Mariama, Maria, Marion, Marianne... ?
En conclusion, avons-nous tout dit ?
Avons-nous tout dit ? Tout dit sur les voyages d'un nom propre bien de chez nous, un être de langage dans notre identité, un être de vie dans la matrice de sa nation (l'Algérie) ? Non et...non ! Scientifique, académiquement et éthiquement. La deuxième négation : oublier de rendre hommage, en 2022, à l'occasion du 60ème anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, à ces Juifs algériens, ayant fait le choix du combat anticolonial (Le Foll-Luciani), mort (e ) s, armes aux mains, d'autres torturés : Maurice Audin, William Sportisse, Pierre Ghenassia, Henri-Salem Alleg... Ceux qui ont rejoint l'ALN (Timsit, Ghenassia, Chouraqui, Benhaïm) ; les militants clandestins (Hanoun, Zaoui, Akoun, Serfati), les déserteurs de l'armée française (Aïach, Bensaïd) ; les avocats et médecins (Bouaziz, Benamara, Cherki, Aïach, Halimi...) et forcément aux nombreux anonymes se sont mis au service de la lutte clandestine, en France ou en Algérie. En l'an de grâce 2022, merci frères et sœurs de sang et de ...nom.
*Professeur des universités (Boumerdès), Directeur de recherche-associé CRASC, Président de la SASO (Société algérienne savante d'onomastique)


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