Le mouvement de contestation populaire dans la région du Rif au Maroc s'est poursuivi cette semaine sur fond de répression et d'arrestations arbitraires largement relayées par les médias, suscitant une vague d'indignation d'associations de défense des droits de l'homme et d'hommes politiques dans le pays. La répression violente de ce large mouvement de contestation populaire, déclenché il y a plusieurs mois pour réclamer des projets de développement économique et social en faveur de cette région marginalisée, témoigne selon toute vraisemblance de l'"échec du pouvoir marocain" dans la crise du Rif, selon des médias locaux. Une coalition marocaine regroupant vingt-deux associations de défense des droits de l'homme a, elle, dénoncé des arrestations "abusives" et l'usage excessif de la force lors des interventions des forces antiémeute dans le Rif. Combien de blessés et d'arrestations ? Si aucun décompte officiel n'a été donné, la soirée du lundi 26 juin a été, selon plusieurs témoignages, la plus violente depuis le début de la mobilisation sociale à Al-Hoceima, dans le nord du Maroc, il y a huit mois. Un appel à y manifester avait été lancé pour lundi, jour de l'Aïd el-Fitr, marquant la fin du mois sacré du Ramadhan. Un nombre important de personnes ont toutefois réussi à se regrouper dans les rues de la ville en fin de journée, où ils ont été violemment dispersés par la police, selon plusieurs témoignages et comme le montrent des vidéos. "Ce fut une journée très longue, dans un climat particulièrement lourd", soulignait une militante citée par des médias locaux, qui évoque de nombreuses arrestations, des confrontations dans plusieurs quartiers ainsi que des blessés. Pendant toute la journée, des militants ont posté sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des barrages de police installés sur les routes afin d'empêcher les habitants des environs de rejoindre Al-Hoceima. Ces heurts survenus le jour de l'Aïd ont fait réagir des hommes politiques, qui se sont empressés de s'exprimer sur les réseaux sociaux. Ilyas Elomari, président PAM de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, s'est dit "choqué" par les images qu'il a vues d'Al Hoceima. "Lors de toutes les fêtes passées avec les amis et la famille, on recevait les vœux et bonnes nouvelles. Même s'il y avait de mauvaises nouvelles, elles ne nous étaient pas communiquées pendant l'Aïd (...) durant toute ma vie, et spécialement à l'occasion de l'Aïd, je n'ai jamais ressenti autant de haine (...) j'ai ressenti une haine envers les nouvelles technologies, les smartphones et les réseaux sociaux de toutes sortes qui m'ont transmis les pires nouvelles", a confié le chef d'un parti politique sur Facebook. Le président PJD de la région Rabat-Salé-Kénitra, Abdessamad Sekkal, a lui déploré la "violence contre une manifestation pacifique qui en plus d'être contraire à la constitution et à la loi, va approfondir les blessures (...) et éloigner de la solution". Le député Mehdi Mezouari a dénoncé une "répression" qu'il a qualifiée de "tactique" à Al Hoceima, et qui est loin d'être une "simple décision sécuritaire". "Ce qu'il s'est passé à Al-Hoceima aujourd'hui, jour de l'Aïd, est une honte. Cette approche sécuritaire conduit tout le pays à une catastrophe", a jugé un journaliste et animateur télé Abdellah Tourabi dans un Tweet. Une vidéo de la dispersion violente d'une manifestation choque l'opinion publique La dispersion musclée d'une manifestation à Al Hoceima est devenue symbole de la répression policière, reléguant au second plan des images des forces de l'ordre caillassées. Cris d'effroi, image d'un jeune homme à terre matraqué par un agent des forces d'intervention, ou encore la scène d'un policier assénant un coup de pied à une manifestante. Une vidéo de la dispersion d'une manifestation le jour de l'Aïd al Fitr choque l'opinion publique à mesure qu'elle devient virale. Avec plus de 400.000 vues et plus de 9.000 partages sur Facebook, la vidéo montre, durant quelques secondes, l'assaut des forces de l'ordre qui ont dispersé les manifestants qui tentaient de se regrouper à Al Hoceima. Ces images, filmées en hauteur depuis la fenêtre d'un immeuble, ont fait le tour du web, suscitant plusieurs réactions indignées. Il s'agit en effet de l'un des rares contenus montrant une manifestation violemment réprimée par les forces de l'ordre. Certains internautes se sont dits choqués par ces hordes de manifestants courant dans tous les sens pour échapper à la répression policière lors d'un jour censé être synonyme de quiétude, et indignés par des images de manifestants évanouis, ou encore en sang relayées par plusieurs médias. A Al-Hoceima, les blessures du Rif marocain se réveillent Depuis le décès le 28 octobre d'un jeune marchand de poisson, Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à ordures alors qu'il tentait d'empêcher la destruction de sa marchandise saisie par la police, la mobilisation n'a jamais cessé à Al-Hoceima et dans plusieurs localités alentour pour s'élargir ensuite à d'autres villes, dont la capitale Rabat. Si les premiers cortèges exigeaient que justice soit rendue pour la mort du jeune Rifain, les rassemblements se sont rapidement mués en un mouvement plus large de revendications économiques et sociales en faveur de cette zone géographiquement enclavée et historiquement marginalisée. Animé par des jeunes de la région, le Hirak (mouvance), nom donné à ce mouvement de contestation pacifique, a pris une autre tournure avec l'arrestation le 26 mai, de Nasser Zefzafi, le leader du Hirak, après avoir pris la parole dans une mosquée de la ville pour protester contre le prêche de l'imam qui accusait son mouvement de provoquer la fitna (le désordre, la division). Les autorités ont alors ordonné son arrestation et en un mois, plus d'une centaine de personnes, surtout des jeunes, ont été arrêtées, selon des médias locaux. Les accusations de répression se sont ainsi multipliées, les ONG Human Rights Watch et Amnesty International ayant affirmé dans un communiqué publié le 22 juin que Nasser Zefzafi avait été "battu" et "insulté" par les policiers lors de son arrestation et ont appelé à ouvrir une enquête. Plusieurs milliers de policiers ont été envoyés à Al-Hoceima, sans parvenir à empêcher les manifestations quotidiennes réclamant la libération des jeunes arrêtés ces dernières semaines et des réponses concrètes aux revendications du mouvement.