– Quelle est votre trajectoire artistique ? Je suis arrivé en France à l'âge de dix-sept ans. J'ai poursuivi des études artistiques et me suis spécialisé dans le domaine des arts graphiques qui correspondait aux métiers de l'imprimerie et, plus précisément, au procédé d'impression en offset ainsi que dans la création de maquettes pour la publicité. Parallèlement à mon activité professionnelle, je fréquentais les ateliers de la Ville de Paris à Belleville. C'est là que j'ai commencé à m'initier à la technique de la laque traditionnelle et contemporaine. J'ai également suivi des cours d'anatomie à l'Ecole des beaux-arts de Paris. Je me suis intéressé aux masques de théâtre et me suis lancé dans la peinture sur soie. Plus tard, j'ai suivi des cours de laque contemporaine chinoise, japonaise et vietnamienne. – Quelle est l'origine de la laque ? On a longtemps admis que c'est au Japon que l'art de la laque a vu le jour. Il est exact que ce sont les Japonais qui ont conduit cet art à sa plus haute perfection, mais c'est bien évidemment en Chine que la laque a été découverte il y a plus de 5000 ans. Et cette technique a été développée ensuite dans toute l'Asie du Sud-Est. La laque naturelle a deux sources. La première est végétale. Elle est extraite par incision sur les troncs du Rhus Vernicilica, arbre originaire d'Asie, appelé aussi arbre du laquier. La seconde source est une laque animale issue de la sécrétion d'une cochenille asiatique. Cet insecte s'installe sur les troncs d'arbres et se fixe grâce à une résine qu'il sécrète. Il existe un autre type de laque qui est appelé laque européenne. Dans les années soixante, la famille des Dogly de Spa, en Belgique, réalisa des imitations fort prisées. Le vernis Dodly fit une bonne part de la renommée de cette technique. Au XVIIIe siècle, les frères Martin à Paris ont mis au point une imitation de la laque à base de copal, connu sous le nom de vernis Martin. – Mais qu'est-ce qu'un laque ? Pourquoi emploie-t-on ce mot au masculin quand on le connaît féminin ? Laque, féminin ou masculin, c'est le plaisir des yeux et du toucher. Le mot est masculin lorsque l'on parle d'une œuvre. On dit alors «un laque». Il est féminin lorsque l'œuvre est exécutée dans cette matière qui est la laque. Etonnante, la langue française qui masculinise l'objet d'art achevé, et féminise la mère porteuse, la matière, sans qui l'œuvre ne pourrait exister. – Qu'est-ce qui différencie la laque traditionnelle de la laque contemporaine ? Sans rentrer dans les querelles identitaires et terminologiques des mots — tradition, modernité, traditionnelle ou contemporaine —, je pense que c'est un choix de l'artiste, en conformité avec ses valeurs authentiques et sa sensibilité profonde. La réalisation d'une laque traditionnelle nécessite le respect scrupuleux des techniques ancestrales telles que la préparation du support avec différentes couches d'enduits à base de colle de peau et de blanc de Meudon, l'utilisation de la laque naturelle, l'incrustation de nacre. Peu de pigments sont utilisés à cause de l'oxydation de cette laque naturelle. On incrustait donc des coquilles d'œuf pour remplacer le blanc, du cinabre pour le rouge et de l'or pour le jaune. Le séchage, étape très importante dans la réalisation, s'effectue dans un environnement chaud et humide. Les thèmes évoqués sont essentiellement asiatiques. La laque contemporaine se différencie par la préparation du support. Au lieu d'être enduit, il est juste recouvert de couche de laque européenne. La laque utilisée est une laque de synthèse. Les techniques employées sont plus modernes : oxydation des feuilles de cuivre et d'argent, la gamme de pigments est plus large. Comme la laque est différente de celle qui est naturelle, le séchage s'effectue à l'air libre. – Quels sont les supports sur lesquels on utilise la laque ? Les principaux supports sont le bois, le métal, le plexiglas, le papier mâché. Pendant la Première Guerre mondiale, on utilisait cette laque sur les hélices des avions pour sa solidité. Les supports utilisés par les Asiatiques étaient principalement le bambou, le bois, le métal, puisque la laque a été utilisée pour décorer les armures des Samouraïs et autres combattants. – Quelles sont les éléments requis pour réaliser une laque ? Toutes les étapes à réaliser pour la fabrication d'un laque (ponçage, passage de couches de pigments, l'attente du temps de séchage, incrustation de coquille d'œuf, etc.,) demandent un fort caractère pour ne pas céder à la déception face aux difficultés rencontrées. Le laqueur doit rester patient pour la réussite de cette technique. Pour certains sujets, la clé de la réussite est la précision. Pour un résultat final réussi, la minutie et la propreté sont des critères primordiaux. Je réalise ces œuvres avec ces deux procédés. En respectant le travail traditionnel et ancestral, j'arrive à une technique contemporaine et moderne. J'y ajoute quelques recettes personnelles. – Quelle est la part de création dans le travail de la laque ? Comme tout art, le travail de la laque n'exclut aucune création et permet une grande spontanéité. Cet art laisse une grande place à la créativité et permet une grande liberté d'improvisation. – Quelles sont vos thématiques dominantes et comment les exprimez-vous à travers le laque ? Mes premières réalisations ont été plutôt figuratives. Et au fur et à mesure des années, je crée des laques aux thèmes ou symboles puisés dans mon enfance, ma jeunesse, dans mon imaginaire. Jusqu'à nos jours, les thèmes de mes laques sont uniques. Mais, actuellement, je travaille sur une thématique qui comprend un grand nombre de panneaux.