– Pouvez-vous nous dire quelles sont vos observations quant au suivi des personnes souffrant d'un trouble bipolaire en Algérie ? Le diagnostic des personnes atteintes de bipolarité est très difficile à poser. Il s'agit de personnes ayant deux états d'âme différents : elles vivent des périodes où elles sont très tristes, on ne peut pas discuter avec elles ni leur parler. Ensuite, les bipolaires ont des périodes où ils ont envie de sortir, ils sont excités, font trop de projets. Et leur entourage va vite s'en rendre compte, car ils perdent toute pudeur, ils deviennent envahissants, ils font des remarques désobligeantes, etc. Donc ce sont des personnes qui n'ont pas d'humeur stable et forcément, dans leur vie, les choses se passent très mal, que ce soit dans leur travail ou au sein de leur famille. De ce fait, les généralises vont constater la dépression uniquement et vont leur donner le traitement d'une personne qui déprime, alors qu'il s'agit d'une personne bipolaire. Et nous savons que dans certains cas, des médicaments contre la dépression peuvent plonger les bipolaires dans une phase d'excitation. Pour ça, il faut vraiment beaucoup communiquer et informer sur la maladie pour que dès une première suspicion, ils (les malades) soient orientés vers des psychiatres qui ont plus d'expérience et de qualification pour les traiter. – Que pouvez-vous dire à propos de la médication en Algérie ? Il est vrai qu'en Algérie, comme en France où j'ai travaillé, on ne fait pas trop confiance aux recommandations internationales, parce qu'elles viennent des Etats-Unis. Et on a tendance à utiliser des principes français qui sont anciens, alors qu'il y a des recommandations basées sur des études sérieuses et qui sont très récentes. Il faut savoir que la psychiatrie, comme toute la médecine, évolue. Il y a un devoir de perfectionnement, il faut s'informer et informer et peut-être former certains psychiatres sur ça. La médecine évolue : avant on incisait avec un bistouri pour l'appendicite sur 20 centimètres et maintenant avec la coloscopie il suffit d'un centimètre. C'est la même chose. – Peut-on vivre avec un bipolaire ? Comment le faire et comment une personne bipolaire peut-elle avoir une vie sociale qui se rapproche de la normale ? C'est très difficile. C'est une très bonne question que vous me posez, car, vivre avec un bipolaire, n'est pas une mince affaire, il s'agit de personnes très instables. Je vois des drames : des épouses qui viennent et qui vivent mal avec leur mari. Tantôt il (le mari) est bien, tantôt il est dans sa phase d'excitation. Il va donc s'emporter pour n'importe quoi. Il va être violent dans certains cas. Il va prendre des décisions qui ne sont pas appropriées, comme un crédit qu'il n'a pas les moyens de rembourser. Il va acheter une belle voiture, alors qu'il pouvait se contenter d'une petite, etc. Ce n'est pas évident du tout et c'est ingérable. Comment y arriver ? Il faut justement élargir l'information autour de la bipolarité, pour pouvoir repérer les gens et les amener à consulter des psychiatres, et là il y a des médicaments. Ce n'est pas une maladie inguérissable. Les médicaments peuvent réguler et redonner du sens. Ces médicaments vont réguler leur humeur pour qu'il n'y ait pas du haut et du bas, mais aussi on va leur expliquer qu'ils ont besoin d'une hygiène de vie bien stricte. Les bipolaires aiment bien veiller et sortir, alors qu'il faudra respecter les nuits de sommeil et surtout pas trop de stimulation. Au réveil le matin, ils veulent faire mille choses à la fois. Justement non, chaque chose à la fois et selon des priorités. Et il y a aussi la psychoéducation, c'est-à-dire informer le patient sur sa maladie et son entourage, expliquer que ce n'est pas une fatalité : c'est une maladie qui se soigne et avec laquelle on peut vivre si on est bien suivi.