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Abderrahim Moussaouer. Doctorant en Sciences du Langage (Université Paris 13 – Sorbonne Paris-Cité) : Le peuple algérien ou la révolution par l'humour
Publié dans El Watan le 03 - 04 - 2019

Les Algériens sont en train de réussir non seulement les plus belles manifestations de toute l'humanité, mais aussi les plus drôles et les plus caustiques. Allant des pancartes jusqu'au produit alimentaire le plus polémique du moment : le cachir, bienvenue au sein de la révolution dont l'humour et la drôlerie constituent un des ferments.
Après plus d'un mois de manifestations quotidiennes, on se demande comment les Algériens suscitent l'admiration du monde entier. Sociologues, politologues, politiciens, linguistes, historiens et artistes ne cachent pas leur fascination.
Les uns saluent le caractère pacifique du mouvement, les autres affichent leur satisfaction de l'absence de la répression et de la violence. S'il y a une explication à cela, c'est que les éléments des forces de l'ordre vivent eux aussi ce que subit le peuple en termes d'injustice, d'inégalités et, à grande échelle, de corruption.
On en parle partout, dans les médias et sur les réseaux sociaux qui deviennent aujourd'hui une arme redoutable contre les régimes dictatoriaux. Si certains appréhendent le mot révolution et toutes les connotations que cela peut avoir, les Algériens adoptent cette notion avec un contenu inédit, teinté d'amour et surtout d'humour. On peut même croire qu'ils sont en train de réussir leur coup avec un humour révolutionnaire très significatif.
Il n'y a pas effusion d'une goutte de sang, mais des éclats de rire, sans oublier l'ambiance sereine, solidaire, voire festive dans laquelle se déroulent les marches et les rassemblements en Algérie comme à l'étranger. Sur une caricature d'Ali Dilem (18 mars), Macron, du haut de la Tour Eiffel, demande au «gilets jaunes» de «prendre exemple sur les sociétés civilisées…» en montrant du doigt l'Algérie.
Comme il y a autant de couscous que de mamans (selon Fellag), on peut remarquer qu'en Algérie il y a autant de slogans que de manifestants. Il y a là une figure d'exagération, toutefois chaque manifestant s'amuse à sa manière à transmettre un message avec des dictons et des proverbes souvent détournés en fonction de la revendication.
Concernant le règne de Bouteflika, «je vous parle d'un temps qui a duré vingt ans que l'on ne veut plus connaître», un détournement d'un passage de La bohème de Charles Aznavour. Dans cette optique de détournement, on peut remarquer des dizaines d'exemples, que ce soit en français, en arabe ou en berbère : Dernier épisode de la Casa d'El Mouradia – Indépendance II.
Une phrase puisée dans le titre de la série télévisée espagnole La Casa de Papel et appuyée avec la notion Indépendance II qui signifie qu'en 2019 on obtiendra la deuxième indépendance, après celle de 1962. En plus, il n'y a que Chanel qui peut faire le n° 5, ou encore une pancarte qui nous interpelle sur l'état de santé de Bouteflika : Le crédit de votre vie est insuffisant pour effectuer ce mandat.
Ce qui explique qu'au vu de son état de santé, le président actuel ne peut plus se présenter pour un autre mandat. Sur cette question liée à la santé de Bouteflika, il est intéressant de rappeler l'épisode qu'ont vécu les Hôpitaux Universitaires de Genève (le principal centre hospitalier de Genève) lors de son hospitalisation en début du mois de mars. Des milliers d'appels en provenance d'Algérie ont été enregistrés, entre le 5 et le 6 mars, au standard dudit hôpital. Les Algériens ont fait appel à leur sens de l'humour pour manifester leur refus d'un 5e mandat pour Bouteflika.
Certains ont demandé au personnel de l'hôpital de le débrancher, d'autres les ont suppliés de le garder là-bas parce que les Algériens n'en ont plus besoin et le canular téléphonique le plus écouté était sans doute l'appel en provenance de Pizza Hut de Didouche Mourad quand l'appelant fait référence au cinquième mandat de Bouteflika à travers la livraison d'une cinquième pizza. La présidence de la République française n'a pas échappé aux appels d'Algériens qui voulaient rappeler à Macron qu'il n'a pas à se prononcer sur ce qui se passe en Algérie. «Macron, va ramasser du bois, il n'y aura plus de gaz».
Un message qui sous-entend que le pouvoir en Algérie reviendra à son peuple et que ses richesses seront distribuées de façon égalitaire.
L'autre épisode qui a marqué cette période est lié au phénomène Rachid Nekkaz, candidat à la candidature à la présidence de la République en 2014 et en 2019. «En 2014, nous avons attendu Nekkaz, ils lui ont volé les signatures ; en 2019 nous avons attendu les signatures et ils ont volé Nekkaz», a-t-on lu sur Facebook.
A la surprise générale, au moment où nous avons attendu et Nekkaz et ses parrainages, c'est son cousin Nekkaz 2 qui s'est porté candidat. On peut lire des déclarations du type culinaire :
Rachid Nekkaz agit de la même façon que sur Samira-TV : si tu n'as pas de noix, utilise des amandes, ou si tu n'as pas de coriandre, tu peux utiliser du persil. Au moment où les candidats déclarent leur patrimoine (mobilier et immobilier) au Conseil constitutionnel, Nekkaz 2, mécanicien de profession, déclare le sien : un cric, une clé 19, un tournevis américain, une pince, une voiture Maruti accidentée et deux pneus, peut-on lire sur les réseaux sociaux.
Tous les moyens sont bons pour manifester son mécontentement et adresser des messages à l'endroit des décideurs. Un peuple qui introduit des notions liées au domaine de l'informatique dans ses revendications et ses critiques. Avec des traits ludiques appuyés par des mots et des images, on pourrait voir sur une pancarte le signe du réseau wifi avec les mentions : peuple connecté et système déconnecté.
Ce qui signifie que le pouvoir doit s'en aller et laisser sa place au peuple. Une autre image nous interpelle, au moment de l'installation du logiciel Démocratie dans Algérie, un message apparaît : ERROR Installing Democracy – Impossible d'installer la Démocratie, veuillez nettoyer le système. Pour ce génie de photoshop, le message est clair : pour pouvoir vivre en démocratie en Algérie, il faut changer le système et mettre en place un autre qui la garantira.
Après l'annonce du retrait de Bouteflika ainsi que l'annulation des élections, les manifestants sont vite sortis dans les rues de tout le pays pour continuer à faire entendre leur message : on exige le départ de tout le système et non pas un changement dans le système. Cette idée a été joliment illustrée : on leur a dit que le plat manquait de sel, ils nous ont changé les cuillères.
A la soirée-même de cette annonce, l'envoyée spéciale de la chaîne arabophone Sky News Arabiya qui annonçait que les Algériens se félicitaient a été interrompue par un citoyen qui l'a corrigée et déclaré : […] yetneḥaw gaâ […] («Qu'ils partent tous»).
Cette phrase yetneḥaw gaâ est répétée à toutes les circonstances. Son auteur est devenu «une star» sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. Quant à la Conférence Nationale proposée par Bouteflika afin de mener des réformes politiques et sociales, la rue refuse l'idée et affirme que c'est à elle que revient le dernier mot. Un jeune brandit une pancarte avec la phrase : Ce n'est pas à mon ex de me choisir une femme.
Ce qui explique la rupture totale avec le pouvoir en place.
S'il y a un média qui accompagne cette ferveur populaire avec de l'humour, on ne peut pas se passer d'El Manchar. Ce journal satirique, qui refait le monde avec des scies, ne surfe pas sur les marées humaines, mais il les accompagne avec des articles à mourir de rire initiés par des titres à la fois créatifs et ludiques. On peut lire que Bouteflika cède : «Je pars dès que je suis en mesure de marcher», ce qui renvoie à son amour du pouvoir. On peut lire également la déclaration de Benyounes qui rejoint à son tour le Hirak : «yenaâl bu li yḥeb rrayes» («maudit soit celui – ou le père de celui – qui aime le président»).
Cette phrase venant du chef du MPA va à l'opposé de ce qu'il avait déclaré dans un meeting lors de la présidentielle de 2014 : yenaâl bu li ma yḥebna-ch («maudit soit celui – ou le père de celui – qui ne nous aime pas»). Rappelons qu'il a toujours soutenu le régime en place et en particulier le président Bouteflika.
Tribunes politiques ? Bien avant le début de ce mouvement populaire, les stades de football en Algérie sont transformés en grandes chorales. Les supporters du MCA, du NAHD, de la JSK, de l'USMA, du MOB et autres clubs nous ensorcellent avec des chants truffés de slogans et de revendications sociopolitiques. En dénonçant le mépris des responsables, la violence morale dont ils ont toujours été victimes et les fléaux sociaux qui ont eu raison de cette jeunesse perdue, ils composent de très beaux poèmes sous des airs musicaux joliment interprétés durant les matchs de foot.
Ces extraordinaires chants envahissent les réseaux sociaux, à tel point que même les manifestants les reprennent dans la rue. D'ailleurs, l'une des chansons les plus répétées en ce moment parle de la détresse de la jeunesse et décrit les quatre mandats de Bouteflika : […] Ils ont fait passer le premier mandat, car la décennie noire était leur argument. Au deuxième, leur but était clair, c'est la Casa d'El Mouradia. Le pays a souffert durant le troisième mandat à cause des intérêts personnels. Au quatrième mandat, la poupée est morte, mais la cause est toujours d'actualité […].
Une douche populaire ? Dans son spectacle Un bateau pour l'Australie (1991), Fellag racontait que lors des événements d'Octobre 1988, les manifestants venaient avec des serviettes, du shampooing et des brosses à dents pour prendre leur douche en profitant de la présence des canons à eau chaude.
Il y a quelques semaines, à Alger, à la fin d'une marche populaire, quelques individus ont tenté d'en découdre avec les forces de l'ordre et ces derniers ont riposté en envoyant de l'eau à haute pression. D'un seul coup, les manifestants se sont calmés et ont commencé à scander : mettez du shampooing et on sera labass (tranquilles).
Qu'en est-il du couscous populaire ? Si le Hirak a permis aux Algériennes et aux Algériens d'exprimer leur amour pour la patrie, leur sens de l'humour, leur inventivité et leur créativité artistique et langagière, il n'en est pas moins pour la solidarité.
Si les premiers jours du mouvement certains commerçants ont appliqué la baisse des prix sur les produits de première nécessité, les manifestants leur ont emboîté le pas en ramenant avec eux des boissons et des produits alimentaires. Toutefois, les images les plus marquantes sont celles de grands plats de couscous offerts par des bénévoles. Un geste loin d'être fortuit, car ce plat traditionnel est symbole de solidarité et de cohésion sociale.
Cette révolution à l'algérienne est aussi l'occasion pour les enfants de ce pays de dire leur refus de toute intervention étrangère. Ils sont persuadés qu'il y a une voie algérienne consistant à laver le linge sale en famille.
Deux exemples sont d'une extrême pertinence : un Egyptien qui demande à son ami algérien ce qui se passe en ce moment en Algérie, celui-ci lui répond comme quoi il s'agit d'un problème familial qui sera réglé en famille ; une deuxième image qui fait le tour des réseaux sociaux indiquant que le grand chantier Algérie est fermé pour travaux de rénovation. Enfin, sur une pancarte brandie par une jeune fille, on peut lire un passage de L'esprit Africain d'Amazigh Kateb : Une Algérie se meurt dans une autre en train de naître.
C'est l'existence de deux Algéries, celle d'un régime usé qui montre ses limites, et celle d'une société intelligente, créative et prometteuse.
Certes, la drôlerie, l'humour et le «sang-froid» sont très remarquables, mais cette révolution est profondément sérieuse, d'où l'auto-organisation et l'auto-mobilisation d'un peuple qui est sur le point de faire tomber un régime autoritaire qui a longtemps sous-estimé la capacité des Algériens à produire et à créer.
Ce que l'on constate aujourd'hui avec fierté, hormis la solidarité, l'entraide voire l'entretien des lieux de manifestations, c'est la forte implication de la jeunesse et des femmes dans ce processus de changement, en portant des revendications historiques qui vont dans le sens d'une Algérie souveraine et démocratique et d'un Etat de droit.
Depuis le début de ce mouvement populaire, aucun harrag n'a pris le large et sur l'un des ḥitt (murs) de l'Algérie, un citoyen a écrit en graffiti : Pour la première fois, je n'ai pas envie de te quitter, mon Algérie.


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