De nouveaux éléments sur le massacre de Thiaroye, en décembre 1944, commencent à pointer, fruits des inlassables recherches d'Armelle Mabon. Résumé des faits. En décembre 1944, plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais subissaient un massacre. Une des pages les plus sombres de la colonisation de l'Afrique. Ces soldats, au nombre de plus de 1600, qui avaient combattu pour la libération de la France lors de la Seconde Guerre mondiale, devaient être démobilisés à la caserne de Thiaroye, au Sénégal, sans avoir reçu leur dû. Logiquement, ils ont réclamé l'argent de leur engagement (primes, rappel de solde de captivité, etc.). Ils n'obtiennent pas un sou. Le 28 novembre 1944, un contingent de 500 hommes devant rejoindre Bamako et des colonies du Sud, refuse de partir sans être payé. Le 1er décembre 1944, les tirailleurs sont rassemblés sur l'esplanade du camp de Thiaroye, l'ordre avait été donné la veille de réduire les «rebelles». Expression lourde de sens : «Je démontre qu'il n'y a jamais eu de rébellion armée, mais un massacre prémédité. Le massacre a été maquillé en rébellion armée par une machination diabolique avec des rapports écrits sur ordre», explique Armelle Mabon, auteure de Prisonniers de guerre indigènes/Visages oubliés de la France occupée, dont une version actualisée vient de paraître aux éditions La Découverte (Paris). «Au final, presque toutes les archives consultables sont des documents falsifiés, tronqués, mensongers pour camoufler le nombre de victimes», nous indique cette universitaire qui voit patiemment aboutir des années de travail acharné pour commencer à voir un bout de vérité : «Durant 70 ans, l'administration a fait croire à 35 victimes enterrées dans les tombes du cimetière, alors qu'elles ont été jetées dans des fosses communes. La France, comme le Sénégal, connaissent l'endroit (moi aussi). Il se peut que le document mensonger mentionnant que 400 ex-prisonniers ont refusé de monter à bord à l'escale de Casablanca, soit au final le nombre de victimes.» Armelle Mabon rappelle que le cinéaste, Ousmane Sembène, réalisateur du Camp de Thiaroye, avait évoqué le chiffre de 380 morts. Ce film courageux et émouvant tourné en 1988 sur ce triste et macabre épisode était un premier pas pour lever le voile. Cependant, le chiffre des victimes était nettement en-deçà de la vérité, même s'il paraissait déjà énorme. «Le mensonge d‘état continue» Pour Armelle Mabon, les militaires «ont réduit le nombre de rapatriés volontairement. Un procès à charge a fait condamner 34 innocents et le gouvernement provisoire a aussi camouflé la spoliation des soldes de captivité, en prétextant trois jours après le massacre via une circulaire officielle que ce contingent avait perçu l'intégralité des soldes avant embarquement…».L'universitaire est outrée que «le mensonge d'Etat continue». A présent, elle continue d'œuvrer afin que le combat juridique permette d'«obtenir le libellé d'une archive caviardée, pour pouvoir consulter les archives ‘‘secrètes'' ; l'arrêté de Jean-Yves Le Drian de dérogation générale signé le 24 septembre 2014 fait juste croire à la transparence. Si toutes ces archives, avec la liste des rapatriés, des victimes, les calculs des soldes, les fiches de contrôle de paiement du pécule n'ont pas pu se perdre. Personne ne peut croire cela. Alors ? Outre la requête au TA, il faut une enquête administrative diligentée par le ministère, ou une enquête parlementaire pour savoir quel traitement a été réservé à ces archives sensibles».«Maintenant, ajoute Armelle Mabon, «il faut agir en justice pour le procès en révision avec l'exhumation des corps et, pourquoi pas, pour séquestration et disparition». – Prisonniers de guerre indigènes Dans son livre, Armelle Mabon détaille comment, après la débâcle de juin 1940, les combattants de l'armée française sont faits prisonniers. Tandis que les métropolitains partent pour l'Allemagne, les prisonniers coloniaux et nord-africains prennent le chemin des frontstalags répartis dans la France occupée. En avril 1941, près de 70 000 hommes sont internés dans 22 frontstalags. Ces prisonniers nouent des contacts singuliers tant avec l'occupant qu'avec la population locale qui les réconforte, voire les aide à gagner les maquis ou la zone Sud. Lorsqu'en janvier 1943 le gouvernement de Vichy accepte de remplacer les sentinelles allemandes par des cadres français, ils se sentent trahis. A la libération, certains ont attendu très longtemps d'être rapatriés, tandis que le premier contingent arrivé en Afrique occidentale française a été massacré le 1er décembre 1944, à la caserne de Thiaroye, pour avoir osé réclamer les soldes de captivité. L'auteure juge crucial de parvenir à l'exhumation des corps, de mener un procès en révision et de parvenir à la réhabilitation de ces combattants avec de justes réparations, pour faire jaillir enfin la vérité : «Il fallait révéler cette histoire occultée qui donne la mesure de l'injustice, du déni d'égalité et du mépris dont s'est rendu coupable l'Etat français, durant l'Occupation, mais aussi par la suite…»