Au Venezuela et au Soudan, deux Etats en crise, des terrains d'entente ont finalement été trouvés entre les différentes parties en conflit, la négociation ayant eu raison des positions tranchées et antagoniques, ce qui n'est pas le cas de notre pays où le dialogue en ne s'enclenchant pas conduit le pays à une impasse à l'issue incertaine. Une bonne partie de la réponse se trouve dans le dernier discours du chef d'état- major de l'armée qui rejette la revendication clé brandie par le mouvement populaire, l'opposition et la société civile : «Un Etat civil et non un Etat militaire.» A Gaïd Salah, il est fait le reproche de reproduire la même culture et la même démarche que ses «frères d'armes» depuis la Guerre de Libération nationale : placer le militaire au-dessus du politique, mettre ce dernier à sa disposition et l'utiliser à son profit. L'Algérie fonctionne ainsi depuis l'indépendance, ses présidents de la République toujours choisis ou cooptés par les militaires et tout indique donc que l'on s'achemine vers un processus identique. L'armée aura son mot à dire, y compris dans le choix du futur Président, cela est suggéré depuis les premiers mois du hirak et ça l'est directement de plus en plus à travers l'usage de la manière forte, voire de la répression : des dizaines de manifestants ont été arrêtés, certains déjà condamnés, des personnalités militaires et civiles subissent le même sort. Les marches des mardis et vendredis sont harcelées par les services de sécurité, le but étant de semer la peur chez les manifestants et les amener à renoncer aux marches et donc à brandir des slogans hostiles, plus précisément ceux qui vont droit au but : «Non à un Etat militiaire, oui à un Etat civil.» Le hirak, lui, ne cède pas et refuse toute concession sur cette revendication, appuyé par une partie de l'opposition et bon nombre de personnalités politiques. Par contre, d'autres parties en présence proposent ce qu'elles appellent des «voies de dialogue», la plus aboutie d'entre elles est le Forum national du dialogue, représenté essentiellement par Ali Benflis et Abdelaziz Rahabi qui a suscité maints débats et surtout de vives réactions, souvent très passionnées. Le forum préconise l'organisation d'une élection présidentielle le plus rapidement possible sans passer par une transition, solution, à leur avis, «la moins coûteuse, la moins longue et la plus rapide possible». Mais pour les détracteurs du hirak, de l'opposition démocratique et d'une partie de la société civile, une présidentielle ne saurait être organisée par les anciennes figures de l'ancien système, à leur tête le chef de l'Etat et le Premier ministre. Ils ne feront que reconduire les anciennes pratiques et les mêmes hommes et qu'obéir aux ordres et aux orientations de l'état-major de l'armée dont la feuille de route, de plus en plus évidente publiquement, est de baliser le terrain à un président de la République choisi ou sponsorisé par lui. Le dernier discours du chef de l'Etat intérimaire a quelque peu ouvert une petite fenêtre, en excluant l'Etat et l'armée du dialogue politique, mais les interventions de Gaïd Salah de plus en plus dures et menaçantes ferment le jeu aux propositions ayant trait aux préalables de départ de Abdelkader Bensalah et de Noureddine Bedoui ainsi que la mise en place d'une transition conduite par des personnalités consensuelles. Aussi, le bras de fer public entre le mouvement populaire et une partie de l'opposition et de la société civile est appelé à se durcir. Les marches sont de plus en plus émaillées d'incidents assez sérieux (tabassages, arrestations…), les signes de détente (libération des détenus politiques) absents sur fond de lourdes inquiétudes sur l'état de santé économique du pays qui ne survit plus que par des ponctions sur les réserves de change placées à l'étranger. Quelle solution donc à toute cette crise multiforme ? Elle est entre les mains de l'état-major de l'ANP qui doit démentir, par des actes, toute velléité de substituer un Etat militaire à l'Etat civil. Répondre donc aux revendications du hirak qui reste fondamentalement la source de tout pouvoir et de toute autorité dans le pays.