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Ahmed Maalllem tire sa révérence : «Avec Ahmed Maallem, la génération de Novembre s'en va, comme les feuilles d'automne»
Publié dans El Watan le 09 - 11 - 2019

Le 22 octobre 2019, j'ai appris la disparition d'Ahmed Maallem, enfant de Batna et représentatif d'une génération d'Algériens qui eut à affronter la guerre de Libération et qui disparaît progressivement, comme les feuilles en automne.
Voici ce que j'en disais dans mon roman à paraître en Algérie Du giron au perron, des poilus aux barbus, mémoires synaptiques : «La rue des frères Guellil, la rue des frères Bouabsa rappellent en fait qu'il s'agissait de jeunes citadins, presqu'adolescents, nourris en général à la lecture des bandes dessinées ou de films ‘‘héroïques'', composés de combats singuliers et d'esprit chevaleresque qui faisaient les Blek le Roc ou les Tarzan, et parfois, pour les plus lettrés d'entre eux à la sève révolutionnaire de Robespierre ou de St Just et qui pensaient reproduire les exploits de leurs héros. Ils se retrouvent un jour, en compagnie d'autres compatriotes ruraux, plus frustes mais comme eux très mal armés, nez à nez avec des combattants professionnels, des paras, des légionnaires, des harkis solidement équipés.
Le combat, en dehors de rares cas d'anciens militaires aguerris dans les rangs de cette même armée française et qui avaient encadré les premiers groupes révolutionnaires paraît totalement déséquilibré et c'est pour cela que cette armée populaire a un mérite immense du fait même de la qualité et de la valeur combattante des soldats ennemis.Ahmed Maallem est un homme attachant, issu d'une famille venue d'El Milia, dans le Nord Constantinois.
Le monopole des boucheries et des boulangeries était réservé à cette région déjà à la période ottomane et cela avait été repris à la période coloniale. Le père Maallem, Saci, tenait une échoppe de gâteaux au miel et de crêpes à la mode locale. Ahmed (…), pour revenir à lui, avait pris le maquis en compagnie des frères Bouabsa, Chelghoum et d'autres jeunes, férus de westerns et de thrillers. Au fond du ‘‘Bar Michel'', sis à la rue Khelifa Boukhalfa qui lui avait été attribué par le ministère du Tourisme après l'indépendance, dans les années soixante, il me racontait ses aventures au maquis, du côté de Maafa, dans les Aurès. Les premiers mois n'étaient pas du tout ceux qu'il escomptait. Parti pour affronter un ennemi dans des duels en ‘‘face à face'', il était resté, ses camarades et lui sans voir un soldat de l'armée française pendant toute cette période.
La journée, le groupe était littéralement enterré dans des silos, à l'abri des regards et le soir venu, alors même que tous ces jeunes citadins peu rompus aux affres des montagnes n'aspiraient qu'à un sommeil réparateur, étaient ordonnées d'interminables marches de nuit. Ahmed Maallem, en vrai myope qu'il était vivait alors un véritable calvaire, obligé de marcher longtemps sur un terrain accidenté sans voir où il mettait les pieds. Au bout de cette longue attente et de cette quête de l'ennemi, Ahmed m'avoua qu'il s'était mis à douter de l'existence d'une quelconque guerre. Chaque maquisard avait son petit poste ‘‘TSF'' et tous avaient appris par cœur les chansons épiques et révolutionnaires composées le plus souvent en Egypte pour remonter le moral des combattants et galvaniser les énergies guerrières. Mais d'ennemis, point !
Par un bel après-midi de juin, le groupe d'Ahmed Maallem était dispersé au sommet d'un mont, sous les frondaisons des cèdres, à l'abri du soleil qui dardait fort ses rayons et surtout à l'abri des avions de reconnaissances, les fameux ‘‘mouchards'' de couleur jaune. Profitant de ces moments à l'air libre, Ahmed et la plupart de ses compagnons étaient plongés dans une sieste des plus agréables. Au beau milieu de leur somme, les maquisards furent réveillés par le trio qui les commandait : Ali Nemeur, Mohamed-Salah Kerrouani, qui donnera son nom au lycée Albertini de Sétif, et enfin Salah Nezzar, tous les trois combattants aguerris en Indochine.‘‘Allez, debout les gars, les paras arrivent !'' leur crièrent leurs chefs. Ahmed se frotta les yeux, regarda autour de lui, n'aperçut que ses camarades et crut soit à une plaisanterie de mauvais goût puisqu'elle interrompait un si bon sommeil, soit à un exercice de combat auquel il n'était pas habitué.
Il n'en était rien puisqu'au bout de plusieurs minutes ses compagnons et lui-même pouvaient voir et entendre la noria d'hélicoptères Sikorsky qui commençaient à tourner autour de leur refuge en exécutant des cercles de plus en plus rétrécis. Ahmed commençait à comprendre que c'était la guerre et que c'était son baptême du feu. Il ressentit un vide immense et une sécheresse de la bouche qui lui collait la langue au palais. Ahmed Maallem, comme hébété, obéissait machinalement aux ordres dispensés d'une voix ferme par l'un des chefs. ‘‘Couchez-vous.
Mettez-vous à l'abri !'' Quand on leur avait intimé l'ordre de creuser ‘‘le trou individuel'', Ahmed s'affola, car m'expliqua-t-il il eut fallu un Caterpillar pour le réaliser, mais Salah Nezzar vint opportunément à son secours quand il lui dit calmement qu'il pouvait se contenter de se mettre derrière le grand rocher.
A la question qui me turlupinait quant à savoir si Ahmed avait tiré sur les paras, la réponse était que chaque fois que l'un de ses compagnons ou lui-même avait un instant l'intention de le faire, l'un des chefs était là pour les en dissuader en leur disant qu'il ne fallait tirer qu'à leur ordre, au dernier moment afin de bénéficier du maximum d'efficacité, en réalité pour ne point gaspiller des munitions en quantités très insuffisantes.
C'était un peu dans l'esprit de la définition qu'avait donné Henri Monnier au sujet de la stratégie. L'humoriste disait : ‘‘La stratégie consiste à continuer à tirer pour faire croire à l'ennemi que l'on a toujours des munitions''. Bref, Ahmed me raconta qu'après avoir été largués autour de la crête où étaient retranchés les maquisards, les paras commencèrent leur progression vers les hauteurs en ayant donc réalisé un encerclement de plus en plus étanche. Embusqué derrière le rocher qui lui avait été assigné, Ahmed n'en menait pas large. Il sera littéralement pétrifié quand Kerrouani leur rappellera les dernières consignes : ne tirer que lorsque ordre leur sera donné, résister jusqu'à la tombée du jour, profiter de la nuit pour sortir de l'encerclement et rejoindre le premier lieu de ralliement, Victor Duruy, le second étant Maaffa. Si entre-temps on tombait entre les mains de l'ennemi, il fallait résister le plus longtemps possible à la torture avant de parler.
A l'idée de cette terrifiante perspective, Ahmed sentait un fluide glacial couler le long de son échine, parce qu'il connaissait comme tout le monde les cruautés des ‘‘DOP'', Dispositifs opérationnels de protection. Au bout d'un temps interminable, Ahmed pouvait distinguer nettement, lui le vrai myope, à quelques mètres en contrebas un sergent des bérets verts, géant barbu, la mitraillette MAT 49 en bandoulière avançant en sapeur, écartant ça et là l'armoise qui se trouvait sur son chemin et qui haranguait ses troupes en leur criant : «Avancez les gars, les Fellouzes n'ont que des cartouches en cartons !»
Le soudard poussait le mépris au point d'avancer… en pissant à la volée ! Même à ce moment, Ahmed et ses compagnons étaient dissuadés par leurs chefs de tirer. Et puis, brutalement, des salves violentes se mirent à retentir de tous les coins du champ de bataille. Ahmed ne se souvient d'aucun détail précis, en dehors d'une main large et noueuse posée sur son épaule et qu'il avait prise, presque résigné, pour celle d'un agent de la DOP et qui s'était avérée fort heureusement être celle d'un autre Ahmed, dit le ‘‘Bariki''.
Ce dernier l'entraîna d'autorité vers un petit sentier qui dévalait de la crête puisqu'il commençait à faire nuit et qu'il fallait exécuter la première partie des consignes, s'extraire de l'encerclement. Les deux Ahmed entamèrent leur dégringolade en esquivant les rochers et les buissons.
Si pour Ahmed le ‘‘Bariki'', cela paraissait chose aisée, il n'en était pas de même pour Ahmed Maallem, le citadin, qui venait de perdre en chemin ses lunettes, ce qui le rendait, dans l'obscurité de plus en plus épaisse, totalement dépendant de son guide. Leur cavalcade était émaillée de tirs de plus en plus sporadiques qui entretenaient la frayeur d'Ahmed qui s'accrochait de toutes ses forces du bout des ongles à la manche du treillis de l'autre Ahmed, le Bariki. Arrivés en contrebas du piton, les deux Ahmed n'eurent que le temps de se terrer derrière un bosquet pour échapper à un peloton de la DOP qui crapahutait non loin de là, à la recherche justement des blessés et des fuyards. Le Bariki, avec une assurance doublée d'une inconscience désarmante, se mit en devoir d'épauler son fusil de chasse pour leur faire le coup de feu en commentant cette épisode comme étant le passage ‘‘au sacrifice et donc au paradis''.
Notre Ahmed eut toutes les peines du monde pour le dissuader de réaliser cette héroïque perspective. Nos deux compères reprirent bientôt leur marche qui fut longue et sinueuse et qui les mena finalement dans la cuvette qui sépare les monts du Belezma des monts des Aurès proprement dit, c'est-à-dire dans la vallée située entre Batna et Mac Mahon, au lieu-dit Lamberidi. Cette vallée est traversée par la ligne de chemin de fer Touggourt-Philippeville jalonnée à distances régulières par des miradors qui en assuraient la surveillance. Des projecteurs tournaient en continu et balayaient la vallée pour détecter, afin de la déjouer, toute tentative d'intrusion.
Profitant des moments où le phare était braqué à l'opposé, les deux Ahmed couraient éperdument sur ce terrain somme toute plus facile et plus praticable comparativement aux flancs des crêtes pour se jeter à plat ventre quand la lumière était dirigée sur eux. Ils finirent par arriver à mi-parcours, affalés sur les remblais de la voie ferrée, ahanant et soufflant bruyamment, le temps de reprendre leur souffle. Au bout de quelques minutes, le sifflet strident du train de marchandise Biskra-Constantine déchira le lourd silence qui régnait jusque-là. Ce sifflet dura longtemps et se répéta, alors que l'on commençait à apercevoir la locomotive qui crachait la fumée en cette aube estivale. Pétrifié au début, Ahmed le Bariki, oubliant les règles élémentaires de prudence, se leva et détala comme un lièvre, droit devant lui, enjambant les rails et disparut à l'horizon. Ahmed Maallem, décontenancé par cette réaction, eut très peur qu'elle ait attiré l'attention des soldats de garde.
Il resta coi pendant quelques minutes, puis s'aperçut que cette fuite inexpliquée n'avait été remarquée par personne. Juste après le passage du train dans un bruit assourdissant, Ahmed traversa à son tour l'espace qui le séparait des premiers contreforts des Aurès, alors que le projecteur était braqué vers Batna. Il arriva en fin de journée au deuxième lieu de ralliement à Maafa.
Quand il pénétra dans le petit gourbi, il passa devant quelques blessés qui recevaient les premiers soins et aperçut au fond de la pièce Ahmed le Bariki, cramoisi et soufflant comme un phoque en train de raconter à un auditoire imposant qui faisait cercle autour de lui que ‘‘la France avait lâché contre lui une bête monstrueuse, un énorme serpent de fer et qui sifflait et crachait le feu, venu directement de l'enfer !''.
Ahmed Maallem jugea inutile de le contredire. Il apprit la mort au champ d'honneur de Mohammed Kerrouani et de seize de ses compagnons, amis d'enfance : il en fut meurtri.» Ainsi, Ahmed m'avait-il raconté son histoire qui était celle de ses compagnons qu'il vient de rejoindre pour la majorité d'entre eux dans l'eau-delà.
C'est une histoire dans laquelle ils n'étaient pas obligés de remporter systématiquement toutes les batailles pour gagner à jamais notre reconnaissance et nos cœurs. Adieu Ahmed, toi qui a su rester le grand enfant qui forçait le respect de tous ceux qui t'ont connu.


Par le Pr Maaoui
Chirurgien


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