Véritable tribune de la parole libre, et espace abandonné par les autorités, la placette dédiée au défunt journaliste a repris une jeunesse et des couleurs. Le déclenchement du mouvement national du 22 février a libéré bien des initiatives citoyennes, qui font de la réappropriation des espaces publics une belle réalité à Béjaïa. Timide mais réconfortante. Le début de la semaine en cours, les membres d'un groupe de citoyens de la ville de Béjaïa ont conjugué leurs efforts pour donner un coup de jeune à la placette de la liberté d'expression Saïd Mekbel. «J'étais attablé au café du coin. Le sort auquel était vouée la placette m'avait fait réagir. Il fallait faire quelque chose» nous raconte Halim, un riverain de la placette. Un simple appel sur facebook et le tour est joué. Nina, Lili, Farid, Ghani, Fatah, Omar, Nani…ils sont une vingtaine de bénévoles, hommes et femmes, à s'être mobilisé pour rendre son éclat à l'endroit. Qui un pinceau ou un chiffon à la main, qui un coup de fil à donner ou une échelle à tenir. Samedi dernier, ils ont entrepris d'abord un toilettage à grande eau et grands coups de balai. L'APC a répondu à leur sollicitation et mis à leur disposition certaines fournitures puisées dans le magasin communal. Les murs et la structure métallique ont reçu une nouvelle couche de peinture qui les a reblanchis. En attendant que les morceaux de toiture soient refaits. Des ouvriers de la commune ont remis en fonction l'éclairage de la placette qui sort ainsi de l'obscurité dommageable dans laquelle elle est plongée depuis longtemps et qui fait le lit de la délinquance. Pendant des années, les lieux sont devenus malfamés, où des ivrognes se retrouvent joyeusement pour des moments de beuverie et d'insalubrité à la faveur de l'obscurité. L'élan citoyen de ce début de semaine les a fait disparaître d'un coup. La nature ayant horreur du vide, les initiateurs de cette action promettent de passer souvent par là pour s'assurer que les lieux demeurent fréquentables. Un SDF qui avait pris ses quartiers sous un des abris de la placette a aussi disparu. On ne l'a pas chassé mais pris en charge. Une généreuse dame a fait fonctionner son association pour lui assurer un meilleur sort que de passer ses nuits dehors depuis qu'il a perdu son emploi après la démolition des commerces des Quatre chemins pour le passage d'un échangeur. On lui a payé une chambre d'hôtel en attendant de lui assurer le retour chez lui, dans une wilaya du pays. Conscience citoyenne Le buste figurant Saïd Mekbel, qui trône sur son socle au milieu de la placette, a repris un éclat de bronze. La plaque qui reprend, en français et en kabyle, un billet du chroniqueur assassiné est dévissée pour être remplacée par une nouvelle. Les quelques bancs publics sont repeints. Les petits bouts de terre supposés servir d'une ceinture verte autour du buste sont réanimés. On attend juste que la commune tienne sa promesse de livrer les plantes. Il y a longtemps que les fleurs qui y ont poussé ont disparu. L'espace devra reprendre vie après les coups de bêche. Les lieux manquent affreusement de la plaque qui annonce aux visiteurs «la placette de la liberté d'expression Saïd Mekbel». Une lacune à laquelle est sensibilisé le groupe de bénévoles qui promet d'y remédier. Elle sera une cerise sur le gâteau. Les bénévoles étaient encore en activité hier pour les retouches qui finiront de rendre les lieux l'espace qui témoignera de la conscience citoyenne et que le changement réclamé est possible par le bas. Projet cher à un collectif de journalistes à qui revient l'initiative qui a abouti à sa réalisation en avril 2014, la placette Saïd Mekbel est devenue depuis son inauguration le point de rencontres des mouvements sociaux. Depuis le mouvement du 22 février, elle a pris tout son sens d'espace de liberté d'expression en étant la tribune par excellence de la parole libre. Des artistes, des politiques, des militants de tous bords, des hommes et des femmes, tout le monde la sollicite. Y compris ceux parmi les passants qui s'y arrêtent pour se reposer sur un de ses bancs. Y compris aussi par des SDF de la ville qui trouvent refuge dans ses coins. En revanche, la placette n'a bénéficié d'aucun toilettage de la part des autorités publiques. Oublié de ces autorités, l'endroit a été nettoyé une unique fois pour recevoir, en mai 2015, le ministre de la communication, Hamid Grine, qui finalement ne s'y est pas rendu. «Ce lieu est devenu insalubre. Qu'un tel endroit, dédié à un journaliste connu et assassiné par des terroristes, subisse ce sort, c'est honteux. Normalement, un homme comme ça on doit le valoriser et non livrer cette placette à des voyous», s'exprime, pour El Watan, Ghani Kerkour. «Le sort de la placette nous a fait de la peine. Désormais, elle est un espace ouvert aussi aux familles», nous dit Halim.