Dans une étude parue en janvier dans la revue Nature, un chercheur anglais et un chercheur américain (*) démontrent que 83% des décès survenus lors d'effondrements à la suite de séismes ces trente dernières années, sont enregistrés dans des pays anormalement corrompus. Nicholas Ambraseys, professeur du risque sismique à l'Imperial College de Londres, et Roger Bilham, sismologue et chercheur en sciences de l'environnement à l'université du Colorado, aux Etats-Unis, ont établi une relation insolite entre les décès survenant lors d'effondrements d'immeubles pendant des tremblements de terre et les chiffres de la corruption, tirés de rapports de Transparency international et de la Banque mondiale. «Le bilan à six chiffres (230 000 victimes, ndlr) des décès dans le séisme de janvier 2010 à Haïti, comparé à l'absence de morts dans le séisme de magnitude identique (7, ndlr) en Nouvelle-Zélande est un rappel sévère que les pratiques de construction primaires sont largement à incriminer lorsque des séismes modérés se transforment en catastrophes majeures», peut-on lire dans Nature (janvier 2011). Or, si construire en respectant des normes parasismiques dépend d'une gouvernance responsable, son application peut être sapée par la corruption ou la pauvreté, via l'utilisation de matériaux ou des méthodes d'assemblage inférieurs aux standards, ou via le mauvais choix de sites. «Les effets de ces éléments sont difficiles à démêler, car les nations les plus pauvres sont souvent les plus corrompues, poursuivent les chercheurs. Pour essayer d'isoler ces influences, nous avons quantifié la relation globale entre la corruption nationale et le revenu par habitant. Cela a montré que certains pays sont plus corrompus qu'on ne s'y attendait et c'est dans ces pays que 83% des décès sont survenus dans des tremblements de terre ces trente dernières années.» Pots-de-vin Haïti et l'Iran sont des exemples extrêmes de nations où les victimes de séismes sont excessives et où les niveaux de corruption sont au-dessus de la moyenne. L'étude avance aussi que la croissance rapide des populations urbaines, particulièrement dans les pays en voie de développement (Chine, Pakistan ) a influencé la qualité de la construction. En clair, le développement rapide des zones urbaines (par nécessité) empêche les contrôles de constructions et l'application des normes de constructions. Ce développement se fait dans l'anarchie et aux dépens de la qualité des matériaux de construction et des règles parasismiques. «L'industrie de la construction qui pèse actuellement plus de 7000 milliards de dollars par an - et doit doubler dans les dix prochaines années - est reconnue pour être le segment de l'économie mondiale le plus corrompu, ajoutent-ils. Cette corruption, qui prend la forme de pots-de-vin pour corrompre les inspections et les processus de délivrance de permis, et d'activités secrètes pour réduire les coûts, compromet donc la qualité des structures. Quant à l'assemblage d'une construction, du moment où les fondations sont coulées jusqu'à la dernière couche de peinture, elle n'est qu'un processus de dissimulation qui se prête idéalement aux oublis ou à la dilution de composants chers mais essentiels.»
Le cas d'Haïti Des rapports sur l'effondrement spontané de nouveaux immeubles témoignent d'un manque de supervision (Shangaï en 2009, Delhi en 2010). Pendant les séismes, les conséquences de constructions mal faites sur des dizaines d'années se produisent à une échelle dramatique. «Les deux auteurs regrettent que l'article ait été publié à la même date, un an après la catastrophe de Haïti, car cela implique que cette catastrophe serait uniquement due à la corruption. Or, ce n'est pas le cas, car avant le séisme, Haïti souffrait déjà : i) d'une absence totale d'information sur les évènements sismiques historiques et autres travaux scientifiques (pourtant suffisamment connus et publiés); ii) d'une absence d'éducation et de formation sur les pratiques et méthodes de construction parasismiques ; iii) d'une absence des moyens nécessaires pour des projets de construction parasismiques, précise Mustapha Meghraoui, physicien spécialiste des séismes à l'Institut de physique du globe de Strasbourg. L'utilisation d'une des solutions à ces trois problèmes durant la décennie précédent la catastrophe aurait permis une qualité bien supérieure des constructions à Port-au-Prince et sa région. Ces solutions seraient applicables à tous les pays, notamment ceux en développement.» n (*) Les deux auteurs ont travaillé aux USA, en Italie, Inde, Iran, au Pakistan, en Indonésie, Turquie, Grèce, et dans toute l'Afrique du Nord, y compris en Algérie.