La gouvernance du secteur de l'énergie est en crise. Conséquence d'un dessèchement sous la décennie de poigne et de fric de Chakib Khelil. Mais pas seulement. L'avenir énergétique de l'Algérie continue d'être pensé par des pétroliers. Or il n'est pas pétrolier. Même plus gazier au-delà de l'horizon très proche de 2030. Cet enjeu, trop subtil pour parvenir à la vigilance d'un président de la république omnipotent, mais spécialiste de rien, n'est pas traité dans le Haut conseil de l'Energie. Instance de pilotage stratégique mise entre parenthèse durant les trois mandats de Abdelaziz Bouteflika. Trois décisions de l'ère balbutiante de Youcef Yousfi montrent la grande rigidité actuelle de la réflexion collective dans le secteur. La première est la confirmation de l'option du nucléaire civil en pleine panique de Fukushima. Qui permet aujourd'hui à Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, de demander à Alger, droit dans ses bottes, la relance du protocole de coopération entre les deux pays dans le nucléaire civil. Alors que le reflux hors nucléaire est amorcé partout autour de nous, cette semaine encore en Italie. Un pilotage éclairé de la politique énergétique algérienne aurait peut-être d'abord, avant tout commentaire, lancé une étude systémique sur les nouvelles conditions financières du déploiement du nucléaire civil dans les normes de l'après-Fukushima. Le maintien de la piste de la production d'électricité par réaction atomique dans le futur mix énergétique algérien dénote un flottement persistant sur l'option forte de l'après-énergie fossile. Critiquable avant Fukushima. Aberrant après. La deuxième décision peu inspirée de la gouvernance à huis clos du secteur est sans doute la machine arrière sur les acteurs-clés du renouvelable. C'est Sonelgaz qui a été choisie pour coiffer le développement industriel de la filière. Au détriment de NEAL, la joint-venture de Sonatrach et de Sonelgaz — comprenant aussi le groupe privé SIM — dédiée aux énergies renouvelables. La première est en grande difficulté dans son propre métier de base : la production classique (fossile) d'électricité et sa distribution. Son utilisation du parc installé ne dépasse pas les 35%. La seconde, NEAL, a réalisé un première équipement, la centrale solaire hybride de Hassi R'mel — 150 mégawatts dont 20 en solaire —, mais est aujourd'hui mise sous l‘éteignoir, alors qu'il s'agit sans doute d'une des rares bonnes anticipations du ministre Chakib Khelil. La prétention de Sonelgaz de devenir un grand producteur de panneaux photovoltaïques de couches fines est très discutée par les spécialistes. Le solaire déconcentré est propre au modèle européen, Allemagne principalement. L'ensoleillement exceptionnel du Sahara et la disparition de la contrainte de l'emprise au sol des champs solaires font du CSP, la production concentrée d'électricité solaire l'atout totalement unique de l'Algérie. Qu'elle ne partage même pas avec les autres pays de la région. En effet, la transition vers un coût du kilowattheure compétitif du solaire concentré repose sur l'hybridation avec le gaz naturel. La grande alternative devient naturellement : l'Algérie doit elle continuer à construire son modèle exportateur d'énergie sur le transport de la matière première gaz vers les centres de consommation européens, ou doit-elle stratégiquement entamer un virage vers l'exportation de l'utilité que génère ce gaz en Europe, l'électricité. En couplant sur son territoire le gaz aux champs solaires pour produire de l'électricité verte ? La troisième décision algérienne est une non-décision. Les Européens attendent un signal. Maintenant. Ils sont acheteurs. Desertec et le plan solaire méditerranéen le disent haut et fort. A Alger, la réaction se veut prudente. Il s'agit en réalité de la prudence de ceux qui n'ont fait aucun vrai choix. Que celui de vendre du pétrole bientôt insuffisant et du gaz naturel qui a besoin de renouveler ses gisements. Et de voir venir. Les arguments pour ce temps de latence sont peu convaincants. Le ministère de l'Energie veut se donner 5 ans pour observer la maturation des différentes technologies du renouvelable. L'Espagne assure jusqu'à 5% de sa consommation d'électricité par le solaire. Plusieurs filières techniques sont éprouvées. Cevital est plus avancé dans la réflexion. Le groupe, membre de Desertec, opte pour la technologie qui utilise le plus sa production de verres à plat. Le fond du problème se précise. Les pétroliers qui gouvernent le secteur — et dont la légitimité n'est pas discutable — n'arrivent pas à se projeter en dehors de l'énergie fossile. Il faut que les politiques les aident en cela. Or, les politiques qui, eux, ont une grosse panne de légitimité, n'arrivent pas à se projeter au-delà de 2012. Les idées et les arbitrages attendront.