Ils sont juste derrière, massés et soudés, retenant du pied et des mains la porte entrouverte que la foule pousse de l'autre côté, compacte et agitée. Cette porte est ce qui sépare les deux versants du pays, l'intérieur et l'extérieur, le sérail et la foule, les abonnés du Club Privilège et la jungle maladroite des zones hors champ. Ceux qui sont du bon côté de la porte veulent y rester, convaincus qu'il n'y a pas de place pour tout le monde, ceux qui sont du mauvais côté veulent entrer, conscients qu'il fait meilleur vivre sur l'autre versant. Sous la pression, on fait parfois passer quelqu'un, qui généralement se met à retenir la porte derrière lui plus fort que les autres pour ne plus laisser passer personne. Quelques-uns ont formulé l'idée que sans porte, il n'y aurait plus de porte à pousser et attaquent régulièrement la porte à coups de hache. Mais très vite, les menuisiers qui travaillent des deux côtés la retapent. Ce n'est pas aussi manichéen, la porte ne sépare pas deux mondes tout à fait différents, car il y a des gens qui font semblant de pousser des deux côtés, un pied dans l'un, deux mains de l'autre. Mais d'une façon générale, cette porte qui s'est entrouverte à l'occasion du Printemps arabe en laissant passer un agréable courant d'air, s'est lentement refermée, poussée par les forces de l'inertie. Dans l'entrebâillement de ces centimètres qui se réduisent, on a pu voir quelques lois s'engouffrer, deux ou trois idées voyager, mais vite stérilisées par une logique de videur. Il suffirait pourtant d'inverser les charnières et le cadre pour que la société n'ait plus à pousser mais à tirer. Le régime qui, au lieu de se contenter de retenir la porte, devra tirer lui aussi. Tout comme le dialogue, la poignée étant cassée depuis longtemps, toute la difficulté sera d'essayer de tirer une porte qui n'en a pas. En attendant que tout le monde passe par la fenêtre.