L'Armée nationale populaire (ANP) ne battra pas de sitôt le pavé de l'avenue de l'ALN. «Aucun défilé militaire n'est prévu pour le cinquantième anniversaire de l'indépendance», a affirmé hier un officier supérieur de l'état-major de l'ANP. Lors de la cérémonie de sortie de promotions à l'Académie militaire interarmes de Cherchell (AMIA), l'ANP s'est offert une parade militaire, presque de compensation, en place et lieu des imposants défilés, organisés d'antan sur l'avenue de l'ALN. A l'AMIA, lors de la sortie de trois promotions Belhadj Bouchaïb, du nom du militant de l'Organisation secrète (OS), membre du Groupe des 22, l'état-major de l'ANP a voulu faire les choses en grand, mais à huis clos. Les gros moyens ont été mobilisés pour la circonstance. Même l'ENTV a sorti sa grosse artillerie et ses «girafes», ses caméras montées sur perche, et qui permettent des plans en travelling et en contre-plongée. Survols d'hélicoptères de combat, manœuvres «recherche et sauvetage» de la Marine nationale au large de Cherchell (retransmises en temps réel sur écrans géants), exhibitions d'arts martiaux, des troupes d'élite, fanfare de la Garde républicaine, parade d'armes, ne manquaient que les blindés et missiles longue (ou courte) portée. Faute de météo clémente, la démonstration de saut en parachute que devaient exécuter les troupes spéciales a été annulée. La brume, basse et humide, les vents contraires, ont contraint l'aviation de l'armée à abandonner la partie, de crainte de provoquer de fâcheux accidents. Le président Bouteflika, attendu tôt la matinée, n'est arrivé dans l'ancienne capitale de Juba II, Césarée, que vers midi. Dès l'aube, la coquette ville est quadrillée par une armée de gendarmes et de policiers, et autres services de la Présidence, tous à cran, échaudés qu'ils sont par le double attentat kamikaze qui a ciblé en août 2011 l'AMIA, faisant 18 morts. L'avenue principale, longeant l'AMIA, a été fermée à la circulation (piétonne et automobile) obligeant les automobilistes à faire un détour par le port de pêche, créant ainsi une longue file de bouchon. A son arrivée à l'académie, sous les youyous, le chef de l'Etat a été accueilli par Abdelmalek Guenaïzia, ministre délégué auprès du ministre de la Défense nationale, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'Armée nationale populaire (ANP), le général-major Tafer Ahcène, commandant des forces terrestres, le général-major Habib Chentouf, commandant de la 1re Région militaire et le général Sidane Ali, commandant de l'AMIA. Des ministres, Nacer Mehal du département de la Communication, Noureddine Moussa de l'Habitat, etc., ont été du cortège présidentiel. Après avoir salué le comité d'honneur composé des commandants de forces et du commandement de la 1re Région militaire, le président de la République a suivi une présentation du programme de la cérémonie et entendu un exposé sur les promotions sortantes. Visage crispé, le regard placide, Abdelaziz Bouteflika a suivi, de sa tribune d'honneur, à la lettre, les rituel et usage en pareille cérémonie. Pas une phrase de prononcée, même pas pour rompre un «jeûne» qui aura duré bientôt deux mois, depuis son fameux discours du 8 mai, à Sétif. Pendant que le Président se taisait, les militaires dissertent. Le ton déférent à la limite de l'obséquiosité, à l'endroit du président Bouteflika – les mots «fakhamatouhou», «conduite éclairée», «haute autorité», etc., répétés plusieurs fois –, le chef d'état-major a (ré) affirmé dans son discours, lu d'une traite et sur un rythme saccadé, le soutien de l'institution militaire aux «réformes politiques» du président Bouteflika. «C'est dans le sillage des intérêts de l'Algérie (…) que s'insère, dit-il, le système des réformes politiques dont vous avez énoncé les grandes lignes lors du discours du 15 avril 2011.» L'armée apporte, ainsi, en terme sibyllin, un démenti, à ceux qui accusent la hiérarchie militaire d'avoir «torpillé» les réformes du président. Le chef d'état-major louera par là même la contribution de l'ANP à la «réussite» du scrutin législatif du 10 mai, et a stigmatisé, en des termes enveloppés, les personnalités politiques qui avaient osé dénoncer aussi bien le «détournement» des voix de l'armée au profil du FLN, vainqueur des dernières élections, que l'inscription massive des militaires dans certaines régions du pays hors des délais impartis. Réponse du berger à la bergère : «Ils (les membres de l'ANP) ont favorisé l'instauration de l'environnement favorable à leurs frères pour qu'ils s'acquittent de leur devoir électoral (…), tout en accomplissant eux-mêmes leur devoir constitutionnel, un droit civique et de citoyenneté, dès lors qu'ils sont partie intégrante de leur peuple.» «L'ANP, ajoute le général, demeure une armée disciplinée (…) attachée à ses missions constitutionnelles, fidèle au respect des lois de la République.» Abdelmalek Guenaïzia fera également allusion à la résolution du président Bouteflika d'en «finir» avec la légitimité révolutionnaire, de transmettre le flambeau aux jeunes générations, vœu exprimé lors du discours du 8 mai passé : «Conformément aux orientations et au soutien de Son Excellence (…), dit le général de corps d'armée, nous avons laissé les portes ouvertes à notre jeunesse au sein de l'ANP (…) pour qu'elle fasse ses preuves (…).J'ai la certitude absolu que l'Algérie dispose d'hommes capables de porter haut ce précieux legs, digne de porter le message de nos glorieux martyrs.»
