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Sauver l'université pour sauver la société
Enseignement supérieur
Publié dans El Watan le 14 - 05 - 2006

Nous proposons d'apporter par notre intervention une dimension historique au débat portant sur l'université algérienne. Mais nous souhaitons rappeler, au préalable, la gravité des enjeux liés au thème soumis à notre réflexion.
Le défi des défis
Le système d'enseignement et en particulier l'université qui en constitue la clé de voûte tendent à occuper une place centrale dans la société contemporaine où toutes les sphères d'activité reposent sur le savoir et sa maîtrise. De nos jours encore plus qu'auparavant, les succès d'une nation comme ses échecs trouvent leur source dans leur système d'enseignement. La principale richesse d'un pays réside dans la qualité des ressources humaines qu'il a su former : la compétitivité de celles-ci représente aujourd'hui, notamment pour les pays en voie de développement, un enjeu de survie, une question d'être ou de ne pas être dans le contexte d'une économie de la connaissance globalisée où les nations se livrent une concurrence sans merci. Situé au fondement de la réussite des autres secteurs stratégiques, défi des défis, le système éducatif interpelle l'ensemble de la société et en premier lieu ses dirigeants politiques qui sauront, par le sens de leur haute responsabilité, par leur courage politique et leur clairvoyance, en faire la priorité des priorités. C'est de la valeur que ces dirigeants accordent au savoir et aux porteurs du savoir, de leur capacité à mobiliser la société pour construire l'école et l'université que dépend le destin de la nation.
Une perspective historique
Afin d'analyser une situation universitaire devenue confuse, caractérisée par la surabondance et l'enchevêtrement complexe des problèmes et où l'essentiel est noyé dans l'accessoire, nous privilégions une approche par l'histoire, afin de démêler les questions de fond et d'en retracer la genèse. Nous nous demanderons comment et dans quelles conditions a été produite dans les trois dernières décennies l'université d'aujourd'hui. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quelles solutions pourrait-on envisager ? Le système organisationnel actuel de l'enseignement supérieur a été mis en place au début des années 1970, et il n'a pas cessé depuis de développer ses logiques pour produire les caractéristiques de l'institution présente. Nous tenterons de montrer que l'université algérienne sera dans l'incapacité de se réformer et de s'adapter aux défis que lui posent la société et la mondialisation tant qu'elle reste captive d'un système organisationnel qui, paradoxalement, accorde la primauté à la fonction administrative sur les fonctions d'enseignement et de recherche. Il s'ensuit le désintérêt pour la recherche pédagogique ainsi que pour les études évaluatives et prospectives, qui est la cause de la perte de maîtrise par l'institution de son fonctionnement et de son devenir.
L'université des années 1960
Dans une première étape de son histoire correspondant aux années 1960, l'université nationale maintenait les standards les plus élevés au niveau international. C'était une institution prestigieuse, de haute culture, mais elle n'était algérienne que par le territoire où elle se trouvait. L'institution était demeurée un prolongement de l'université française de 1962, par son organisation administrative, par la langue, les méthodes et les programmes d'enseignement, par ses enseignants coopérants et donc par ses diplômes reconnus de plein droit par l'Etat français. Ce modèle universitaire était mis en cause pour son caractère exogène et aussi pour sa conception élitiste de la science pour la science, ses programmes abstraits et théoriques, ses faibles effectifs d'inscrits et les déperditions massives qui le caractérisent. L'université n'apportait qu'une contribution négligeable à la résorption de l'énorme déficit en cadres du pays qui constituait la première contrainte au développement.
Le défi démographique
La rentrée de 1969 a représenté le commencement d'un processus de démocratisation massification qui a marqué le début d'une rupture avec la logique élitiste de l'institution héritée et l'entrée de l'université dans une seconde étape de son histoire. Les transformations quantitatives et qualitatives de l'enseignement secondaire en amont vont alors commencer à transformer l'université jusqu'à finir par complètement la bouleverser. Sur un plan quantitatif, entre 1962 et 1968, l'université était passée de 3000 à 10 000 étudiants avec une croissance moyenne annuelle d'un millier d'inscrits. Mais à partir de la rentrée de 1969, l'institution a connu un doublement, en deux années, du nombre des étudiants qui sont brusquement passés de dix à vingt mille, entre la rentrée de 1968 et celle de 1970. De 1968 à 1976, les effectifs des étudiants ont été multipliés par cinq, passant à cinquante mille. Cette explosion démographique qui va se poursuivre de manière pratiquement ininterrompue jusqu'à nos jours a représenté, représente et représentera le lieu nodal des problèmes de l'université algérienne.
Les objectifs de la réforme de 1971
L'emballement des effectifs entre 1968 et 1970 avait hâté l'adoption d'un projet de refonte de l'université qui a eu lieu à la rentrée de 1971. Le réformateur de 1971 avait bien vu que ce rythme vertigineux d'augmentation des effectifs ne pouvait s'effectuer dans le cadre demeuré inchangé de l'université traditionnelle. Sinon, il impliquerait une croissance en proportion des moyens de tous ordres, notamment en enseignants qualifiés, qui était sans rapport avec les capacités du pays. L'université ne pouvait relever le défi de la montée vertigineuse du nombre des étudiants sans d'abord modifier l'équation traditionnelle de l'enseignement et recourir aux formules de la pédagogie rationnelle permettant de multiplier les capacités d'accueil des établissements et d'action des enseignants. Le problème démographique se traduit donc par un défi d'ordre pédagogique et institutionnel plus que par un défi en termes de moyens. Autrement dit, l'augmentation rapide des effectifs demandait certes des moyens supplémentaires considérables ; mais elle impliquait aussi et surtout de développer la capacité à adopter et maîtriser des modes plus performants d'organisation et de gestion de ces moyens. Le projet de réforme de l'enseignement supérieur initié en 1971 visait à recentrer l'université sur la culture et les besoins de développement du pays, à opérer la refonte de l'institution héritée pour créer une identité éducative nouvelle : « l'université algérienne ». Cependant, la poursuite d'une démographie galopante dans le cadre de structures de l'université traditionnelle incompatibles avec le grand nombre entraînerait mécaniquement une accumulation rédhibitoire des déficits qui viderait de leur signification les grands choix de la politique éducative « d'algérianisation », de « démocratisation », « d'arabisation » et « d'orientation scientifique et technique ». Aussi, le concepteur de la réforme, a-t-il projeté de reconstruire l'enseignement supérieur algérien sur la base des innovations les plus performantes dans le domaine de la pédagogie universitaire. Afin d'assurer selon la formule utilisée « une formation maximale au moindre coût » de cadres opérationnels pour le développement du pays le réformateur avait opté pour :
Une université intégrée pluridisciplinaire fondée sur une organisation modulaire et semestrielle des études et de la progression ;
pour des méthodes actives d'enseignement et le contrôle continu des connaissance. Il préconisait de faire de la participation à la base des enseignants et des étudiants « la cheville ouvrière » de la réforme selon le discours officiel. Le projet de refonte de 1971 présente de fortes similitudes avec la réforme actuellement en cours du LMD. On peut en tirer des enseignements sur les conditions préalables que doit réunir cette dernière réforme pour éviter le sort connu par sa précédente de 1971.
L'origine de tous les maux : un système organisationnel contre nature
Mais à l'opposé de ce principe de participation, la réforme de 1971 a été abordée en mettant un terme aux éléments d'autonomie de l'université qui restaient. Au lieu de les renforcer, elle a commencé par la suppression de l'élection par les enseignants des doyens des facultés, de leurs assesseurs et des chefs de section. Le syndicat libre des étudiants (UNEA) n'a pas tardé à être dissous. Une énorme machine administrative centralisée a alors été mise en place à travers laquelle le ministère gérait directement les universités, nommant les responsables aux différents échelons de celles-ci et appliquant autoritairement la réforme au moyen d'une réglementation nationale uniforme, vétilleuse. La communauté universitaire a ainsi été dessaisie de sa responsabilité de gérer collégialement ses activités scientifiques et pédagogiques. Le pouvoir au sein de l'université a été concentré au niveau de l'administration centrale où les préoccupations politico-administratives prenaient le pas sur les préoccupations académiques. La hiérarchie des fonctions universitaires a été inversée : la fonction administrative s'est subordonné les fonctions pédagogiques et de recherche au lieu de les servir ; corollairement, les finalités extra-universitaires ont pris le dessus sur les finalités universitaires. La porte a dès lors été grande ouverte et l'est restée à toutes les instrumentalisations politiques et idéologiques de l'institution, à toutes sortes de dérives, d'atteintes aux valeurs académiques et à l'éthique universitaire. Ce sont les anti-valeurs de la société qui vont se répandre dans l'université et non l'inverse.
Une réforme dénaturée
A peine définie dans ses lignes théoriques, la réforme a été mise en œuvre à la rentrée de 1971 par un train de décrets, d'arrêtés et de circulaires qui ont remplacé l'ancienne réglementation. Le projet de 1971 reposait sur les principes de la pédagogie rationnelle qui opère un renversement du paradigme de la pédagogie traditionnelle ; l'une est centrée sur l'enseignant, l'autre sur l'apprenant. La mise en œuvre de ce projet ne pouvait donc s'effectuer que dans la mesure où elle s'accompagnait d'une profonde reconversion des attitudes des enseignants grâce à leur sensibilisation et leur formation au système de références et aux nouvelles méthodes de la pédagogie moderne. L'action de réforme se définit par la capacité de dépassement du présent vers un avenir à inventer ; son succès est conditionné par la créativité pédagogique dont on fait preuve pour imaginer le futur et donc par la capacité à organiser et à mobiliser le potentiel de recherche sur l'université. Le développement de la recherche était d'ailleurs une condition préalable pour la reconversion des attitudes des enseignants. La recherche permet en effet de s'informer sur les nouveaux savoirs pédagogiques, de les repenser en fonction des problèmes l'enseignement supérieur algérienne pour enfin les diffuser largement. Mais, la fonction pédagogique étant minorée dans l'université, ces deux conditions de reconversion des mentalités et de recherche pédagogiques sont demeurées à l'état de vœux pieux. le réformateur avait conçu un projet cohérent et séduisant sur le plan théorique des orientation politiques et des principes directeurs organisant l'institution nouvelle, mais ils l'a appliqué au moyen d'un cadre organisationnel incompatible avec ses principes de départ sans s'appuyer sur la recherche pour traduire ces orientations et ces principes du plan théorique vers le plan opérationnel des pratiques pédagogiques, et donc sans pouvoir faire évoluer les anciennes mentalités demeurées traditionnelles et qui continuaient à orienter les comportements. Les meilleures idées éducatives ont été prônées par le réformateur, mais elles ont été dénaturées par la machine administrative qu'il a mis en place et réinterprétées dans la logique de l'ancien système pédagogique. Sous l'apparente rénovation du système universitaire, la réforme de 1971 n'avait abouti qu'à ébranler l'ancien système sans instaurer le nouveau, multipliant les discordances et les dysfonctionnements. Les choix rationnels et idéaux sur le papier que le décideur central, isolé des réalités par une chaîne hiérarchique infinie, a effectués, allaient sur le terrain se révéler les pires parmi tous des choix possibles. Le système de progression modulaire et semestriel, qui constituait le cœur du dispositif institutionnel instauré par la réforme de 1971 et qui a été adopté comme la solution idoine pour réaliser « l'objectif de formation maximale au moindre coût », sera appliqué sous une modalité qui généralisera les déperditions, contribuant au contre-objectif de « formation minimale au coût maximal ». Dans les rapports d'évaluation de la réforme effectués 1977, on s'étonnait que même dans les formations où le taux de succès aux examens dans chaque module avait atteint 90%, plus de 80% des étudiants avaient des dettes dès la fin de leur second semestre et que celles-ci allaient vite s'accumuler tout au long de leur parcours. La réglementation aurait abouti, si elle avait été rigoureusement appliquée, à complètement paralyser la progression des étudiants. Devant la désorganisation croissante et la contestation généralisée, ce système a été supprimé par la contre-réforme du début des années 1980 qui a effectué un repli définitif vers les positions sécurisantes de la pédagogie traditionnelle . Nous soutenons ainsi, à l'encontre des idées reçues, que la réforme de 1971 n'a pas constitué une rupture, ni contribué à rénover le système pédagogique ou à favoriser la démocratisation massification de l'institution, mais qu'elle a plutôt contribué au résultat inverse.
Une course poursuite désespérée
Faute de réussir à changer l'équation de l'enseignement, les pouvoirs publics se sont engagés dans une course poursuite désespérée derrière le rythme explosif d'augmentation des effectifs qui sont passés de dix à cinquante mille entre les rentrées de 1969 et de1976. Le ministère fera procéder au recrutement massif de tous les candidats fraîchement licenciés à un poste d'assistant. Le nombre des assistants passera de 225 en 1969 à 1509 en 1975 ; Le nombre des assistants coopérants étrangers augmentera de 420 en 1969 à 2781 en 1977. Le taux d'encadrement pédagogique a pu être maintenu et même amélioré, mais au prix d'une baisse de la qualification des enseignants algériens et d'une plus forte dépendance étrangère. Par ailleurs, les retards importants accusés dans le programme de construction des grandes universités prévu par les deux plans quadriennaux ont fait que les effectifs supplémentaires d'étudiants attendus seront accueillis soit dans des établissements encore en chantier et dépourvus d'équipements pédagogiques (bibliothèques, laboratoires, salles de T.P.), soit pour le reste dans des locaux de fortune (casernes désaffectées, écoles, lycées...) aménagés à la hâte, à la veille de chaque rentrée. Ainsi, à la place des programmes prévus par les deux plans quadriennaux, c'est une série deprogrammes prévus par les deux plans quadriennaux, c'est une série de mesures conjoncturelles qui ont imprimé au développement du réseau universitaire une direction inattendue.
L'enfermement dans la logique quantitativiste
Constamment débordés par le surnombre, et recevant des lycées eux-mêmes en difficulté, des étudiants moins bien préparés pour l'enseignement supérieur, les enseignants universitaires tendaient naturellement à ajuster leur enseignement au niveau de leur public, abaissant année après année leurs critères d'exigence. Sous la pression de l'arrivée des nouvelles promotions toujours plus nombreuses, ils étaient tenus sous peine d'engorger les cursus de faire réussir un maximum d'étudiants. Le système d'évaluation des acquis de ces derniers avait perdu dans ces conditions toute signification. L'obsession des responsables des établissements était d'assurer avant tout une place physique aux étudiants. Faute de leur accorder les conditions minimales d'étude, ils étaient prêts à toutes les concessions pour maintenir la paix sociale à l'université. La gestion administrative des flux tendait à remplacer la gestion par les critères scientifiques et pédagogiques. L'ensemble du fonctionnement de l'université a fini par s'enfermer dans l'engrenage d'une logique purement quantitativiste qui façonnera les mentalités, précipitant l'érosion des valeurs académiques et la perte de crédibilité de l'institution. Les responsables institutionnels étaient sommés de faire du chiffre, de caser coûte que coûte des étudiants en sureffectif croissant chaque année, de les inscrire en plus grand nombre encore dans les sections arabophones et dans les filières de la science et de la technologie. La croissance rapide des effectifs et des constructions universitaires avait d'abord pour fonction d'illustrer les pas de géant réalisés par le pouvoir révolutionnaire dans la voie de la « démocratisation », de « l'arabisation » et de « l'orientation scientifique et technique » de l'université ; il importait peu que cela se fasse au prix de solutions de façade qui vidaient ces orientations de leur contenu. Les aspects les plus visibles, les plus quantifiables, ont ainsi été privilégiés sur les aspects pédagogiques et scientifiques moins tangibles qui définissent l'université dans son essence.
La négation du pédagogique
Sous la pression des sureffectifs et des contraintes idéologiques et politiques, les responsables aux différents niveaux du système étaient dans l'incapacité d'adopter une approche stratégique. Ils étaient trop obnubilés par les problèmes du jour pour penser à prévoir ceux de demain, et consacrer ne serait-ce que 3 à 5% des ressources aux études évaluatives et prospectives. C'était un luxe pour eux que d'accorder de l'intérêt à la recherche sur l'enseignement supérieur, au perfectionnement pédagogique des enseignants ou aux autres conditions d'une formation de qualité dont les effets ne se manifestent qu'à plus long terme. Au temps des certitudes politiques et de l'unanimisme populiste, les études évaluatives sur l'enseignement supérieur étaient d'ailleurs jugées inutiles, voire suspectes politiquement par leur intention critique. Le réseau universitaire s'était ainsi considérablement étendu à coup d'investissements énormes depuis le début des années 1970, alors que les capacités de conception et d'études pédagogiques indispensables pour la maîtrise de son fonctionnement ont été abandonnées à l'état embryonnaire. De plus, l'université algérienne avait connu des réformes incessantes et contradictoires tout au long des années 1970 à 1980 impliquant des besoins accrus en études et recherches pédagogiques pour résoudre les problèmes de plus en plus complexes qui s'étaient posés. Le problème de fond de l'université algérienne provient ainsi de ce que l'on ne s'est pas préoccupé de mettre en place toute une infrastructure de recherche en éducation et en formation pédagogique qui aurait au cours des trois dernières décennies constitué une pépinière de chercheurs et de spécialistes dans tous les domaines de l'enseignement supérieur. Il en aurait résulté une plus grande capacité institutionnelle et de gestion ainsi que la diffusion chez une masse critique d'enseignants d'une culture pédagogique moderne qui fait gravement défaut aujourd'hui.
L'instrumentalisation politique de l'institution
Il peut paraître paradoxal qu'une institution éducative renonce à la pédagogie ; qu'elle se refuse les moyens de son efficacité, comme si elle se désintéressait de ses propres fins ; qu'une institution de recherche éclaire les pratiques des autres secteurs de la société, mais renonce à retourner ses propres lumières sur elle-même. L'occultation sur le long terme de la pédagogie est à rapporter au système institutionnel d'un état qui monopolisait à son sommet, les pouvoirs politiques, économiques, culturels et éducatifs de la société et subordonnait directement le champ universitaire au champ politique. Le système étatiste privait l'université à l'instar des autres champs sociaux de l'autonomie relative qui leur est nécessaire pour fonctionner, tout en faisant prévaloir leur rationalité et leurs valeurs propres. Son pouvoir de décision en matière de gestion pédagogique et scientifique excentré, la communauté universitaire ne pouvait éclore en tant que communauté autonome et organiser l'institution en fonction de ses fins propres : celles-ci ont été subverties par les fins de légitimation du pouvoir central et une politique populiste qui a pu mettre en place rapidement un imposant réseau universitaire et un système éducatif étendu, mais sans réussir à construire chez les acteurs les compétences et la culture pédagogique nécessaires à la maîtrise de son fonctionnement.
Pour sauver l'université algérienne
Se refermant sur lui-même et mettant en place les conditions de sa propre reproduction, le système universitaire des années 1970 a survécu à son contexte sociopolitique de création. Il a continué à développer ses logiques à contre-courant du mouvement de la société initiée après octobre 1988. Les responsables, comme l'ensemble des autres acteurs de l'université, sont captifs d'une impuissance structurelle à maîtriser le fonctionnement d'un système ingouvernable par son opacité et qui, quels que soient leur bonne volonté et les efforts qu'ils déploient, finissent toujours par retourner contre eux leurs propres actions. Le premier problème, celui dont la solution conditionne la résolution de tous les autres, est de parvenir à libérer l'enseignement supérieur des pesanteurs bureaucratiques d'un système hiérarchisé, replié sur lui-même, qui enferme le fonctionnement de l'université dans la routine et le stérilise. Il s'agit de réorganiser l'institution en remettant le système actuel sur ses pieds, de rétablir la hiérarchie naturelle des fonctions universitaires en accordant la primauté aux fonctions pédagogique et scientifique sur la fonction administrative ; autrement dit de redonner à l'université, la marge d'autonomie qui lui est nécessaire pour fonctionner correctement. Les solutions les plus pertinentes, envisagées ces dernières années par les décideurs du secteur pour remettre l'institution à flot, n'ont pas pu être introduites dans le cadre d'une organisation close, inerte, fermée au changement. Le projet de création de centres réformes d'excellence d'enseignement et de recherche, par exemple, est demeuré sans suite, bien qu'il date d'une quinzaine d'années déjà ; ces centres étaient destinés à servir de référence au reste du système universitaire pour le tirer vers le haut et l'inscrire positivement dans le champ de la compétition scientifique internationale. Par ailleurs, un important effort financier est consenti depuis 1999 pour intégrer les technologies de l'information et de la communication (TIC) dans l'université pour laquelle elles représentent un facteur essentiel de performance. Grâce au formidable potentiel éducatif qu'elles renferment, les TIC offrent, en effet, aux universités qui connaissent une pénurie structurelle de ressources, l'opportunité de contourner celle-ci et de faire face aux problèmes posés par le surnombre d'étudiants, par le déficit qualitatif de la formation et la faiblesse de la recherche. Ces technologies favorisent la transparence de la gestion et l'éclosion d'une intelligence collective par la constitution de réseaux virtuels nationaux d'enseignement et de recherche ouverts sur les réseaux académiques régionaux et mondiaux. Incontournables pour sortir l'université algérienne de son impasse actuelle, les TIC ne révèlent leurs potentialités éducatives révolutionnaires que portées par une institution dynamique, préparée à les accueillir. Récemment, la réforme du LMD se fonde dans son principe même sur l'autonomie des universités et une large décentralisation permettant la responsabilisation des personnes et des collectifs mobilisés autour de projets. Il ne peut ainsi être mis un terme à une sclérose mortelle qui ferme l'université algérienne à tout changement sans revoir les structures d'autorité du système d'enseignement supérieur et introduire une saine gouvernance et une gestion démocratique dans les établissements. Dans cette perspective, l'administration de tutelle devra progressivement se délester des missions de contrôle a priori par voie réglementaire du fonctionnement interne des établissements qui la détournent de ses véritables prérogatives. La gestion directe de ces derniers est d'ailleurs devenue impossible à assurer à ce niveau, en raison de la multiplication des universités et de la complexité de leurs activités. Le ministère se recentrera sur ses activités stratégiques d'orientation et de coordination d'ensemble du système universitaire, d'évaluation et de prospective. Il sera accordé davantage d'autonomie en matière d'organisation interne et de fonctionnement aux universités qui seront pilotées a posteriori par l'administration de tutelle, sur la base de leurs résultats, au moyen d'un système d'évaluation des performances. Les universités deviendront alors de véritables lieux de décision, des partenaires qui entretiennent des relations contractuelles avec les institutions de l'Etat et avec les entreprises économiques. Les responsables des établissements auront moins à administrer, c'est-à-dire appliquer des directives de la tutelle dont ils seraient de simples relais, qu'à gérer, à optimiser l'utilisation des moyens à disposition ; ils susciteront et soutiendront les initiatives, encourageront la participation de tous aux décisions et favoriseront l'insertion des universitaires dans les réseaux scientifiques internes et externes. C'est donc une mutation en profondeur de l'administration de l'enseignement supérieur qui doit être mise en œuvre progressivement, impliquant la diffusion d'une nouvelle culture organisationnelle et la création de compétences nouvelles chez les dirigeants et les différents acteurs de l'université. La réussite de cette mutation institutionnelle est une condition pour que l'université algérienne déploie toutes ses potentialités et se mette au diapason des tendances mondiales de l'enseignement supérieur. Le passage à l'autonomie n'est cependant pas chose aisée. II suppose un changement profond des rapports de pouvoir au sein du système d'enseignement supérieur qui remet en cause des privilèges et des situations acquises, entraînant de fortes résistances. La reconversion progressive de mentalités, façonnées dans le moule bureaucratique et fossilisées depuis trois décennies, constitue aussi un défi important à relever. L'autonomie appelle, en effet, une révolution de pensée, une mutation en profondeur du système administratif universitaire ; elle doit s'accompagner de la diffusion d'une nouvelle culture organisationnelle et de la création de compétences nouvelles chez les dirigeants et les différents acteurs de l'université. Les difficultés de l'entreprise et son ampleur font qu'elle ne peut être menée à bien sans un fort engagement du politique au plus haut niveau, puisqu'il s'agit de réaliser une reconfiguration organisationnelle globale de l'institution et de la reconstruire progressivement sur des bases entièrement nouvelles. c'est devenu un impératif d'existence pour le service public de l'enseignement supérieur que de mener à bien sa refondation pour faire face aux défis que posent la globalisation et l'émergence de la société de l'information. L'imminence des accords d'adhésion du pays à l'OMC et d'association avec l'Union européenne laisse peu de temps, si la volonté politique existe, pour sauver l'université algérienne et par voie de conséquence la nation.
Les années 1980 : la politique des faux-semblants
Les mécanismes mis en place pendant les années 1970 vont monter en cadence pendant la décennie suivante. Celle-ci se singularise par la contre-réforme, l'arabisation totale des sciences sociales et la prédominance de la technologie. Pendant les années 1970, les sections arabophones se sont rapidement étendues dans les sciences sociales jusqu'à compter dès 1988, plus d'étudiants que les sections francophones, mais avec 3 à 4 fois moins d'enseignants dans la plupart de ces disciplines. On a laissé ces sections se dégrader, tout au long de la décennie 70 et manquer de tout, sans se préoccuper, d'inciter et d'aider les enseignants francophones à s'arabiser pour les renforcer progressivement. L'arabisation des sections francophones de sciences sociales, juridiques et économiques a été décidée subitement, à la veille de la rentrée de 1980, à la hâte, sans préparation. Les francophones, qui constituaient la grande majorité des enseignants dans les sciences sociales les plus expérimentés et les mieux formés, ont été mis en jachère dans ce secteur stratégique pour le pays et remplacés par le recrutement d'un grand nombre d'assistants arabophones, le plus souvent titulaire d'une simple licence. La filière de technologie va, pendant la décennie 1980, davantage encore que les sections arabisées, être gonflée artificiellement : n'accueillant que 14% de l'ensemble des étudiants en 1979-1980, elle va en recevoir 40% en 1989-1990, soit un bond incroyable de 60 000 unités. Mais la multiplication rapide, notamment dans les centres universitaires des villes moyennes, d'instituts de technologies démunis du minimum de moyens humains et matériels pour fonctionner, atteste du peu de sérieux accordé aux valeurs de l'université par une politique de fuite en avant, fondée sur les faux-semblants.
La « mort lente » de l'université
Privée d'un appareil efficace d'information et de références pour l'action, aveugle à elle-même, l'université s'était condamnée à naviguer à vue et perdre la maîtrise de son devenir. Elle a, dès le milieu des années 1980, été analysée par la plupart des auteurs comme une institution complètement submergée par les vagues démographiques successives et empêtrée dans un désordre pédagogique inextricable. La crise économique à partir de la deuxième moitié des années 1980 puis la situation sécuritaire des années 1990 n'ont fait qu'enfoncer davantage l'institution dans son marasme : investissements dérisoires sans rapport avec l'augmentation explosive des effectifs, dégradation des conditions de vie et de travail des enseignants et des étudiants, fuite des cerveaux, absence de débouchés pour les diplômés, obsolescence des enseignements, enclavement d'une université coupée sur le long terme d'une science internationalisée et en rapide renouvellement etc. La désorganisation des cadres de travail collectifs de l'université fait de celle-ci un univers anomique, atomisé, caractérisé par le laisser-aller et où chacun est replié sur lui-même, n'étant soumis à aucune exigence, sinon la sienne. Isolés, désorientés et déstabilisés dans leur travail, la grande majorité des enseignants chercheurs n'est pas en mesure de mener une activité de recherche qui est nécessaire pour actualiser ses cours. Ils transmettent indéfiniment le même stock de connaissances obsolètes et en dégradation continue d'une année à l'autre. Il en résulte une déprofessionnalisation des universitaires qui fait entrer l'institution et ces derniers dans « une mort lente ». L'université ne semblait pas avoir d'autre finalité que son autoreproduction élargie, approfondissant son propre sous-développement. Elle a perdu le sens de l'acte éducatif en même temps que celui de sa vocation sociale. L'histoire de l'université algérienne se présente ainsi comme celle d'une institution qui, malgré les efforts déployés pendant au moins une décennie et demie pour la faire naître, pour la construire conformément à ses principes, a été perpétuellement déstabilisée par des crises successives. Cette déstabilisation est multiforme : elle est démographique, mais aussi institutionnelle, pédagogique, scientifique, éthique, linguistique, spatiale etc. L'institution semble avoir perdu pendant la deuxième moitié de la décennie 1980, tout répondant, toute force de réaction aux forces destructrices qui l'agressaient. L'université algérienne n'est pas parvenue jusqu'à nos jours, à s'affirmer comme une collectivité relativement autonome et à assurer son décollage, mettant en place les conditions d'une accumulation irréversible d'expérience pédagogique, scientifique et organisationnelle.
• Communication présentée au débat d'El Watan sur l'Université le jeudi 13 avril 2006.


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