L'un remixe, l'autre réalise les illustrations des morceaux diffusés sur les réseaux sociaux. Une quête du revival, du patrimoine et de l'engagement, du témoignage. Rencontre avec les deux artistes les plus viraux de la Toile DZ. Si ce n'est le turban bleu à la mode des Hauts-Plateaux de l'un, les deux comparses débonnaires passeraient presque inaperçus. Leur véritable identité importe peu à leurs yeux, ils préfèrent glisser discrètement parmi les passants et le monde plein de bruit en silence : eux, leur vacarme ils le génèrent ailleurs, sur la Toile, dans nos oreilles et dans notre mental. Les deux jeunes hommes sont discrets, certes, mais vous les connaissez — du moins pour les adeptes des réseaux sociaux et de la nouvelle scène : El3ou et El Moustach, le musicien qui remixe nos mémoires même oubliées et le graphiste qui ressuscite le patrimoine et l'histoire millénaire ou immédiate. Les deux comparses se sont retrouvés pour fusionner leurs talents depuis quelque temps pour mettre en musique et en couleurs flashy pop-art des thèmes, des personnages, des événements qui leur tiennent à cœur, des sources d'inspiration ou des fixations traumatiques, d'Ezzahi et Hasni à l'assassinat de Boudiaf et de Matoub. Revival C'est El3ou qui démarre l'aventure, dès 2014 : sur SoundCloud, plate-forme de partage musciale, puis sur YouTube, il publie des remix en revisitant des sons anciens, variétés ou chaâbi ou autres, chinés sur internet et poussé par la curiosité : «Nous avions une belle musique, oubliée, mais aujourd'hui la musique qu'on entend n'a pas d'origine, pas de base. Qu'est-ce qu'elle a d'algérien ? Car il y a eu la grande coupure des années 1990, il n'y a pas eu de continuité», explique El3ou, aussi à l'aise avec le trip hop qu'avec El Anka ou Teldja, El Hadj Bouregâa ou Beihdja Rahal. Son ambition est de donner un souffle de revival à ce patrimoine disparu sous les tonnes de poussière déposées sur les rarissimes vinyles. «Rendre ce patrimoine plus accessible, créer une proximité», poursuit-il. Démarche parallèle d'El Moustach, qui lui veut «dépoussiérer notre incroyable patrimoine, patrimoine qu'on n'arrête pas de folkloriser, de s'en moquer». C'est pour cela qu'il arbore ce chèche en turban sur la tête, image transformée par une certaine propagande en un cliché négatif, quelque chose «qui sent le moisi». «L'authenticité ne sent pas le moisi», glisse El Moustach avec un sourire : «Nous avons une formidable richesse culturelle, la matière première est là, la pâte est là, faudra juste la ramener en 2016.» Avec quand même une «contextualisation, un engagement politique», précisent les deux complices. Quand El3ou reprend Mabanou du grand Guerrouabi, on entre dans le morceau par la diatribe d'un vieux se demandant à quoi servent les élections ! Ou encore de manière plus marquée quand des événements reviennent hanter les consciences selon nos funestes éphémérides. El Moustach ose un bouleversant détournement d'une photo d'archive du président Mohamed Boudiaf entouré par des responsables en 1992 : là ce sont des loups qui l'encadrent ! Composition saisissante illustrant le remix d'El3ou de Amar Ezzahi chantant «madrit bel ghedar…» (Je n'ai pas fait attention au traitre…). Ou encore Matoub, qu'El Moustach fixe dans un tableau se défendant à la kalach dans sa voiture criblée de balles, sur le son revisité de Lefraq. Ou encore Ali La Pointe, ou plutôt Brahim Haggiag qui joua son rôle inoubliable dans La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo, braquant son pistolet, cri capturé par le graphiste, sur un morceau d'El3ou, 2962, où se mêlent la bande son du film mythique Ikhwani la tansouw echouhada (Mes frères n'oubliez pas nos martyrs) et l'appel du vieux sentinelle dans Patrouille à l'Est de Amar Laskri : «Yaw alikoum lebendi» ! «Regardez ce que font les Américains avec des héros inventés, comme dans l'univers Marvel, dit El Moustach. Nous, nous avons de vrais héros, je veux leur donner un nouveau souffle.» Pas étonnant que leur label fort soit le hashtag «chedd fel al asl », «sois fidèle à tes origines» !