Télemly. 67, boulevard Krim Belkacem. Nous sommes au «Sous-Marin», un espace à la déco chaleureuse et cosy qui fait corps avec le MDS, lui-même abrité dans un sous-sol d'immeuble, ce qui explique d'ailleurs ce choix «onomastique». Ce nouvel écrin artistico-citoyen qui se veut un espace culturel alternatif a ouvert officiellement ses portes au public le 30 décembre 2016 avec une exposition intitulée «Intaj wa intajia». L'expo est signée El Moustach, artiste hors du commun qui s'amuse depuis quelques années à détourner malicieusement des éléments de notre culture populaire et de notre mémoire collective dans une démarche pop art algérianisée. Le Sous-Marin se veut à la fois une galerie d'art et un café littéraire, ouvert à toutes les formes d'expression artistique. Administrativement, il relève du Cercle du MDS. Pour tous ceux qui avaient au moins une fois dans leur vie rendu visite à nos amis du MDS, quelle ne fut leur surprise en découvrant la transformation heureuse du hall d'accueil et du long couloir transversal qui donne sur les bureaux du parti. Le siège a sacrément pris des couleurs, mariant élégamment le blanc et le noir, avec du mobilier de couleur orange ponctuant le parcours du visiteur. Au fond, à droite, un petit espace de restauration est improvisé. Le couloir se prolonge ensuite dans les boyaux de l'ensemble immobilier qui domine le site. Là, c'est proprement la partie qui reste à aménager, et où sera installé le Café littéraire. La partie de la galerie qui a été livrée a nécessité deux mois et demi de travaux, nous dit Kader. C'est lui-même qui s'est chargé de tout, avec la précieuse contribution de l'indispensable Naziha Farès. «On a tout fait : la conception, la maçonnerie, la menuiserie, la peinture, les lumières…Tout ce que tu vois-là, c'est Naziha et moi», lâche Kader Affak. S'il gagne un peu sa vie comme TS en urbanisme, Kader Farès Affak est également comédien. Il avait fait d'ailleurs une prestation très remarquée dans le fameux Gabla, le bijou de Tarik Teguia. «Je viens de tourner un film avec Sofia Djama. Dès que j'ai reçu mon cachet, je l'ai versé dans le projet, et demain, si je fais un autre film, je donnerai encore mon cachet», promet-il. C'est vrai que les financements ont cruellement manqué pour l'aménagement de cette première tranche. La suite des travaux est estimée à quelque 60 millions de centimes, une somme pour laquelle un appel aux dons a été lancé. «La culture ne doit pas être le privilège d'une élite» Le Sous-Marin a déjà à son actif nombre d'événements artistiques de qualité, avec une programmation éclectique entre poésie populaire (avec Abdelmadjid Arab), lectures, musique, et même un «couscous citoyen» pour fêter Yennayer. Revenant sur la genèse du projet, Kader explique que Le Sous-Marin est le fruit d'une réflexion engagée il y a déjà plusieurs années, et matérialisée par une conférence organisée au siège du MDS le 2 février 2013 autour du thème : «Cultures alternatives/Lieux alternatifs». Les espaces culturels, plaide Kader, «doivent être accessibles à tous les citoyens. La culture ne doit pas être le privilège d'une élite. Ce n'est pas un espace d'initiés. C'est un bien commun qu'on doit partager. Donc, l'idée c'était d'offrir avant tout un espace de partage.» Le café littéraire prévoit une bibliothèque participative où l'on peut venir «déguster» un livre, à loisir, ou échanger des livres entre bibliophiles. Mais il n'y a pas que les bouquins dans cette «qahwa» culturelle. «S'il y a un musicien de passage qui est là pour prendre un café, et que ça lui chante d'occuper la scène et de jouer un morceau de musique, qu'il le fasse, mais devant un public qui ne l'attendait pas. Pareil pour le théâtre. On ne vient pas jouer pour un public déjà acquis. Mais il y aura sûrement deux ou trois personnes qui vont rester et les écouter. Et c'est comme ça que faisaient nos aînés. C'est de cette manière que Kateb Yacine, Issiakhem, Khadda, Alloula... pratiquaient leur art, ce n'est pas nouveau. Il y a une tradition. Kateb Yacine le faisait avec des fellahs. Les gens connaissaient Issiakhem parce que c'était quelqu'un qui était là, avec la société, il offrait ses tableaux gratuitement à plein de gens ; il disait : ‘‘Mon art, c'est pour les gens''. Donc, c'est ça l'idée. C'est un espace qui appartient à tous les citoyens. A eux d'en prendre possession !» Galerie d'art et Café littéraire, Le Sous-Marin va également se doter d'une salle de projection, une aubaine pour tous les films qui sont empêchés de rencontrer leur public faute d'un visa d'exploitation. «Tous ceux qui ont fait des films au niveau national, ils peuvent venir ici les projeter. Et pas que ceux d'Alger. Si quelqu'un a fait un documentaire ou un court-métrage à Illizi et qu'il veut le montrer ici, marhba bih. Il y a une grande salle qui sera aménagée pour les projections cinéma, et qui peut recevoir jusqu'à 200 personnes.» «Essaie au moins d'agir dans ton quartier» En nous faisant visiter les coulisses du Sous-Marin, nous nous arrêtons dans un interstice du sous-sol où sont entreposés des sacs remplis, les uns de vêtements, les autres de chaussures. Il s'agit d'articles d'habillement déjà utilisés, et que trois machines à laver s'emploient à blanchir avant de les offrir à des familles en difficulté. Car il faut savoir que le siège du MDS héberge aussi une association qui s'appelle Le Cœur sur la Main, et qui fait un travail formidable, apportant une aide précieuse aux sans-abri et aux familles démunies. Kader est ainsi un militant intégral, engagé sur tous les fronts, lui qui, comme un signe, est né un 1er novembre (de l'an de grâce 1969). Ayant adhéré au PAGS en 1987 alors que le parti était encore dans la clandestinité, c'est aujourd'hui l'un des piliers du MDS. Et il a en horreur les réflexes des politiciens d'appareil. Il préfère encore et toujours la militance par le bas, car, professe-t-il, si on n'a pas connu les frémissements du «petit» militant de quartier, on aura tôt fait de perdre la tête. Aussi ne rechigne-t-il jamais à mettre la main à la pâte, ne dédaignant aucune initiative, aucune cause, pour peu qu'elle fût juste. Au prix parfois de sa propre santé et du temps qu'il est censé réserver à ses deux enfants, Randa (9 ans) et Rachid (7 ans). «C'est pour eux que je fais ça, je me bats pour leur avenir», glisse-t-il affectueusement. Faisant la synthèse de tout ce qu'il entreprend avec une égale ardeur, pour lui on aurait tort d'y voir une forme de dispersion. L'action culturelle, l'action sociale et l'action politique participent — il en est convaincu — d'un même engagement matriciel. «Je ne vois pas beaucoup de militants politiques qui activent dans des associations», estime l'infatigable baroudeur. «Pourtant, la proximité, c'est la base de tout ! Je suis membre de la direction d'un parti politique, ça ne m'empêche pas de toucher à tout. Je trie les vêtements, je lave, je recouds, je distribue des repas aux SDF, je participe à des collectifs d'artistes, je défends les droits des cancéreux, les droits des femmes, je suis féministe… En quoi tu es militant si tu ne connais rien de tout ça ? Essaie au moins d'agir dans ton quartier. Tu ne participes même pas au nettoyage de ton quartier. Peut-être que ta propre famille ne sait pas que tu es militant et tu veux convaincre le peuple...». Pour Kader, le changement commence par le bas, et dit dans sa bouche, cela n'a rien d'une formule bateau. «Tout ce qui se fait avec le citoyen, ça fédère», résume-t-il. «Les questions socio-économiques, les droits sociaux, ce sont les questions fondamentales. Il faut s'y investir, sinon on restera une secte. Il faut multiplier ces initiatives-là, réinvestir le terrain des luttes, aller vers le citoyen. Il faut tisser une toile d'araignée, tisser autant de liens que possible, entre gens du Sud et du Nord, lier les aspirations des uns et des autres. Il faut construire un cadre organisé pour capitaliser toutes ces luttes.» Un beau manifeste citoyen qu'il conclut en clamant : «Il faut un sous-marin national. Il faut des sous-marins partout, autant de sous-marins que possible. Ce n'est que comme ça qu'on pourra changer les choses.»