Devant l'abondance, les différents mets et plats préparés en ce mois de Ramadhan, mon père, qui garde encore vivaces en mémoire les moments de misère qu'il a endurés en haute montagne des mois durant, ne peut s'empêcher de hocher la tête et de remonter le temps. Tout en gardant les yeux rivés sur la table garnie du f'tour et ayant l'esprit ailleurs, il entame son récit pour relater un pan de la vie dure et pénible de sa jeunesse, en jour de Ramadhan. « Je me rappelle des moments de misère lorsqu'il n'y avait presque rien à manger. Le peu qui existait était rationné. Il n'y avait ni blé, ni farine, ni autres céréales. On possédait un peu de semoule d'orge que ma mère gérait avec grand soin. Elle était réservée pour exclusivement en faire du couscous ou de la galette, l'essentiel de nos plats. » Sa petite-fille qui l'écoutait attentivement comme d'ailleurs tous nous autres, lui dit : « Vous pouviez acheter et manger ce que vous vouliez ? » « J'y arrive et écoute-moi bien », lui a-t-il dit, en poursuivant : « Je me rappelle aussi de notre retour des champs, fatigués après un labeur sans grand bénéfice puisque les terres étaient devenues arides et où rien ne poussait. Et durant le mois sacré, pas de changement dans notre alimentation axée sur la galette et le couscous d'orge. C'était pareil pour tout le monde. Rares sont ceux qui pouvaient se permettre du petit lait. Après Adhan El Maghreb, on se retrouvait regroupés autour d'un grand plat en argile pour rompre le jeûne avec un couscous d'orge dont la semoule n'était pas de bonne qualité. La sauce était à base de fèves sèches. Souvent, on ne mangeait pas à notre faim. Car une fois la quantité servie terminée, il faut se résigner à ‘'quitter la table''. » « Les plus nantis pouvaient se permettre un oignon pour accompagner le couscous. Mais pour la majorité, c'était un luxe. Les femmes, ah oui, les pauvres femmes, elles, ne mangeaient jamais à leur faim. Elles se contentaient d'un couscous de moindre qualité préparé à base de semoule d'orge ajoutée à du son d'orge. Pour le s'hour, on se contentait d'un bout de galette d'orge avec de l'huile d'olive », a-t-il ajouté. Comme surpris par ce récit qui relève de l'imaginaire surtout pour les plus jeunes, mon père se saisit d'une bouteille d'huile d'olive posée sur la table et tout en la serrant dans ses mains, il dira : « Heureusement qu'on avait de l'huile d'olive qu'on mélangeait à toutes les sauces et qu'on consommait à satiété. C'est une huile devine, on l'associait à tout même comme remède. » Au moment de poser la bouteille sur la table, l'appel à la prière d'El Maghreb l'arrache de son « évasion » et c'est avec un sourire qu'il accepte une figue sèche tendue par son petit-fils pour rompre le jeûne.